Saint-Saëns Camille

1835-1921
"Élève de Maledev et de Stamaty, il donna son premier concert de piano à peine âgé de dix ans, et il n’en avait que seize lorsqu’il fit exécuter à la Société Sainte-Cécile sa première symphonie. Il étudia, au Conservatoire, la composition avec Halévy et l’orgue avec Benoît dans la classe de qui il remporta un premier prix en 1851. Organiste de Saint-Merri (1853-1858), puis de la Madeleine, il professa à l’École de musique religieuse.

Exécutant et improvisateur hors ligne, en 1867, il présentait au concours organisé pour l’Exposition universelle une cantate : Les Noces de Prométhée, qui fut couronnée. Il fonda, en 1871, avec Romain Bussine, la «Société nationale de musique». Membre de l’Académie des beaux-arts (1881). Les voyages qu’il entreprit chaque année n’avaient point interrompu son labeur. Il visita l’Espagne, les Canaries, Ceylan, l’Indochine, l’Algérie, l’Égypte d’où il devait rapporter le Ve Concerto pour piano; et c’est à Alger que la mort l’atteignit, au sortir d’une représentation à l’opéra.

Saint-Saëns laisse une œuvre considérable. Il a donné à la scène entre autres : La Princesse jaune (Opéra-Comique; 1872); Le Timbre d’argent (1877); Samson et Dalila, opéra, son chef-d’œuvre, représenté par les soins de Liszt à Weimar en 1877, à Rouen en 1890 et à l’Opéra en 1892; Étienne Marcel, opéra (Lyon, 1879), Henri VIII, opéra (1883); Ascanio, opéra (1890); Déjanire, tragédie lyrique (1898); Les Barbares, tragédie lyrique (1901); Parysatis, drame lyrique (1902); Hélène, poème lyrique (1904); L’Ancêtre, drame lyrique (1906). Il faut y ajouter un opéra-comique, Phryné (1893); un ballet, Javotte (1896); une satire de la musique moderne : Le Château de la Roche-Cardon.

On lui doit d’autre part quatre symphonies, dont la troisième, en ut mineur, avec orgue et piano (1886), est la plus célèbre; quatre poèmes symphoniques : Le Rouet d’Omphale (1871), Phaéton (1873), La Danse macabre (1874), La Jeunesse d’Hercule (1877); des suites d’orchestre, comme la Suite algérienne, Une nuit à Lisbonne, la Jota aragonaise (1880), Ouverture de fête (1909), des concertos pour piano, pour violon, pour violoncelle; des romances pour flûtes et pour cor et orchestre; des fantaisies comme la Rapsodie bretonne, la Rapsodie d’Auvergne, Africa, pour piano et orchestre; une suite humoristique : Le Carnaval des animaux, publié seulement en 1922.

Il a écrit, en outre, de la musique de scène pour Horace (1860), Antigone (1893), Lola (1900), Andromaque (1903), On ne badine pas avec l’amour (1917); des cantates et des oratorios, dont Le Déluge (1875), La Fiancée du Timbalier (1887), La Nuit persane (1891), Hymne à la paix (1919), Ivanhoé; de la musique religieuse : une Messe (1856), l’Oratorio de Noël (1858); de la musique de chambre, entre autres un Septuor avec trompette (1881), un Quintette avec piano (1855), un Quatuor avec piano (1875), deux Quatuors à cordes (1899 et 1918), deux Trios pour violon, violoncelle et piano; des sonates pour instruments divers; des pièces pour piano à deux mains, entre autres des Études, ou à deux pianos comme les Variations sur un thème de Beethoven (1874), le Scherzo (1889), le Caprice arabe (1894), le Caprice héroïque (1898); des pièces d’orgue, principalement : Trois rapsodies sur des cantiques bretons (1866), Trois Fantaisies, six Préludes et Fugues (1894 et 1898), sept Improvisations (1898); de la musique vocale, mélodies comme Le Pas d’armes du roi Jean, La Cloche, etc.

Poète, Saint-Saëns a publié : Rimes familières (1890), Ode à Berlioz (1908); auteur dramatique : La Crampe des écrivains (1892), Le Roi Apepi (1903), Botriocéphale (1908). Il a écrit de nombreux articles de critiques musicales, où il exprime sur l’art et sur les musiciens des jugements ingénieux, mais partiaux.

Esprit encyclopédique, la personnalité de ce musicien se manifeste surtout par un éclectisme universelle et une prodigieuse faculté d’assimilation.

Défenseur opiniâtre de la musique française et admirateur fervent de Rameau, il a représenté de son temps, avec éclat, l’esprit classique."

Source: Larousse du XXe siècle en six volumes. Paris, copyright 1933. Tome sixième, p. 143-144.



Le jugement critique d'un contemporain

"[…] Depuis que fut envoyé aux Écrits nouveaux la dernière chronique musicale, M. Camille Saint-Saëns s’est éteint paisiblement à Alger. Trépas rapide et enviable comme le fut celui de Massenet, et dont le contraste fait plaindre davantage l’horrible et lente agonie de Debussy ou le brutal assassinat de Magnard. Il semble bien que la mort ne soit guère plus juste que la vie.

Reconnaissons-le sans hypocrisie, nous entourons ce pompeux cercueil de plus d’admiration que de tendresse, et les roses de France dont nous ne lui refusons pas l’hommage ont conservé leurs épines. Bien que l’entreprise soit malaisée, nous nous efforcerons pourtant de traiter avec équité et pondération la mémoire d’un artiste qui manqua à tel point de ces qualités, et dont la vieillesse, loin de se faire indulgente et sereine, multiplia les intempérances de langage et les manifestations d’une polygraphie brouillonne et saugrenue. Le bagage d’écrivain de M. Saint-Saëns n’a certes pas ajouté beaucoup à sa gloire; les articles qu’il publia pendant les hostilités furent un des divertissements de choix de cette période sombre, et la lettre n’est guère flatteuse pour sa mémoire, où il déclare préférer la peinture de M. Bonnat et de ses collègues de l’Institut à celle de Cézanne qui n’en fut point. Mais il ne faudrait pas reporter sur le musicien la juste défiance que nourrit l’opinion publique envers le journaliste et le critique, ni se contenter à son égard de l’exécution hâtive et sommaire à laquelle nous incitent l’ignorance, la légèreté, l’incompétence, et aussi, pourquoi le cacher, le parti pris de certains milieux de ravaler tout ce qui est français ou passe pour tel, car, à notre avis, Saint-Saëns ne représente nullement l’authentique tradition française, la belle route royale de Jeannequin, de Couperin, de Rameau, de Berlioz, de Gounod, de Debussy, mais simplement un pseudo-classicisme étriqué, dont la dévotion allait à des idoles étrangères. Malgré le chauvinisme qu’il professait avec tant d’ardeur à L’Écho de Paris, Saint-Saëns n’a jamais eu qu’hostilité et dédain pour la musique française contemporaine, qu’elle soit de Franck ou de d’Indy, de Debussy, de Ravel ou même de ce Paul Dukas qui est pourtant son continuateur éclairé. Par contre, il ne dissimulait pas son penchant pour le prussien Meyer-Beer, et réservait ses sourires au plus bas vérisme italien des Mascagni, Puccini et Leoncavallo.

Pour apprécier son œuvre, il ne faut point la confronter à d’autres œuvres postérieures qui l’éclipsent facilement, mais à la musique que l’on écrivait couramment dans les dernières années du Second Empire et après 1870. Elle marque alors un progrès incontestable et méritoire sur l’esprit de l’époque. Camille Saint-Saëns a contribué dans une large part au redressement et à l’épuration du goût musical; il a trouvé un antidote à la corruption environnante dans l’étude des maîtres classiques qui lui ont fourni à la fois un enseignement et une défense. Comme l’a fort justement remarqué M. Roland-Manuel dans L’Éclair, ne se sentant pas l’étoffe d’un révolutionnaire ni d’un réformateur, son effort s’est porté vers la pureté. Son écriture, modèle d’élégance et de limpidité, son métier impeccable sous son apparente facilité, son extrême simplicité de moyens seront toujours goûtés par ceux qui refusent de se pâmer devant un lyrisme cahotique et sans contrôle, et d’excuser les pires fautes d’orthographe au nom des droits sacrés de la passion.

Saint-Saëns aura été un grand musicien plutôt qu’un grand artiste. Sa culture tout universitaire était restée hermétique aux courants qui, depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle, ont entraîné l’évolution des idées et des arts. Sa jeunesse contemporaine pourtant d’un Baudelaire, d’un Verlaine, d’un Manet, pour ne citer que ceux-là, ne semble pas avoir été mieux informée que sa vieillesse. Il est resté complètement en marge de son époque, n’étant pas influencé par elle, n’ayant sur elle aucune influence. Alors qu’autour de lui un Duparc, un Fauré surtout, témoignaient un humanisme si averti, il se complaisait en les résidus d’une littérature surannée. Intelligence sèche, fermée au rêve, à la poésie, au mystère, à la tendresse, à la vie introspective, comme aux séductions du pittoresque et de la couleur, il n’a rien produit de vraiment brillant à l’orchestre, rien de profond ni d’émouvant dans le domaine du lied ou de la musique de chambre.

Au théâtre, il était demeuré le dernier et courageux champion de l’opéra historique, découpé en morceaux conventionnels et ne laissant pas de place à la vérité psychologique. Sauf avec Samson et Dalila qui est plutôt un oratorio, il n’a point remporté à la scène de véritable succès. L’habileté de la facture et l’application au genre faux qu’il prônait des éminentes qualités que nous lui reconnaissons n’ont réussi à communiquer une vie durable ni à son Ascanio, ni à son Henri VIII, ni à son Étienne Marcel.

Le meilleur de son œuvre, ce qui maintiendra sans doute son prestige devant la postérité, ce sont ses poèmes symphoniques, ses concertos, formule particulièrement favorable à la mise en valeur de ses dons uniques de composition et d’écriture, enfin ses symphonies. Malgré les préjugés contraires inspirés par la mode, ayons la bonne foi de saluer dans la Symphonie avec orgue un des chefs-d’œuvre dont la musique française a le droit de s’enorgueillir. Écrite à l’heure opportune, lorsque l’auteur, en possession de la plénitude de ses moyens, conservait encore une certaine fraîcheur d’inspiration, elle montre, à côté des vertus habituelles à Saint-Saëns, une ampleur, une noblesse de style, une abondance mélodique, un souffle soutenu auxquels peu d’auditeurs sincères avec eux-mêmes peuvent se déclarer insensibles.

C’est une grande figure musicale du passé qui disparaît, le dernier survivant d’un âge révolu, car si M. Gabriel Fauré, le nouveau doyen de notre musique, est à peine de dix années le cadet de Saint-Saëns, il appartient au contraire tout entier à l’âge présent; il est plus jeune que le plus jeune et c’est vers l’avenir qu’est tourné son ardent visage à cheveux blancs."

Source: René Chalupt, «Chronique: La musique», Les Écrits nouveaux, tome IX, no 6, juin 1922, p. 75-77 (publication du domaine public).

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