Nous sommes entrés dans l’ère du capitalisme de la finitude. C’est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué, Essai sur le capitalisme de la finitude (XVI - XXI siècle), paru chez Flammarion au début 2025. Orain est économiste et historien. Il est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en France.
Dans ce troisième essai portant sur la personnalité et l’œuvre de Pierre Teilhard de Chardin, nous avons voulu montrer que l’ampleur de la nouvelle cosmologie dont le brillant jésuite a charpenté sa foi chrétienne ne doit pas occulter certains aspects dépassés et problématiques de son regard sur le monde. Teilhard a abordé l’évolution spirituelle de l’humanité en conquistador religieux entièrement voué à l’avènement d’une ultra-humanité capable de s’affranchir de la matière pour rejoindre un Christ cosmique érigé en moteur et en finalité de l’aventure humaine. Un post-teilhardisme s’impose devant l’évidence des ravages physiques et spirituels de l’ère industrielle. L’écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l’écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.
Un reportage de TV5Monde présentait également le pontife défunt comme « premier pape non occidental de l’ère moderne. » Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu’il venait d’Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l’Occident ? Ce genre de jugements reflète aussi une certaine manière de considérer l’Occident, notion floue, fluctuante, à géométrie variable, qu’on élargit ou restreint selon les ingrédients ou les cultures que l’on aimerait voir se rapprocher ou s’éloigner les uns des autres.
Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu’une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l’humanité et pour la philosophie classique. Si Vance instrumentalise ainsi la pensée catholique, c’est que la grande culture a un prestige qui touche encore un grand nombre de gens. Si ce prestige ne peut être mise au service des vertus catholiques authentiques, il faut à tout le moins lutter contre ce qui est rien de moins qu’une trahison de ces vertus.
Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J’ai quelque chose pour toi. » Il revint avec des dizaines d’hameçons et de leurres. On échangea un moment sur les meilleurs endroits où pêcher dans les environs. Mais alors que notre conversation allait prendre fin, ses yeux furent voilés par l’inquiétude et sa voix se fit hésitante; il semblait se rappeler soudainement d’une chose désagréable dont il voulait m’entretenir.
Depuis mon insomnie de la nuit dernière, j’ai peur…peur de Donald Trump…et de tous ceux qui exécutent ses volontés parce que ce sont des ordres, ses ordres auxquels ils ont l’obligation d’obéir ; j’ai peur de ce que Hannah Arendt appelaie la banalité du mal : le chef l’a dit, il faut le faire.
Le premier Trump me faisait rire, le second me terrifie. Les États-Unis s’aoute à ma liste des régimes terroristes. C’est ce que signifie à mes yeux le mot arbitraire appliqué à tant de ses décrets. On sous-estime déjà l’effet de cette terreur. Ce que me rappelle une manifestation devant le consulat de l’URSS à Montréal vers 1985, à la défense de Sakharov et de sa femme. Plusieurs de ceux que j'ai solloicté en vain ont eu la franchise de m’avouer qu’ils craingnaient d’être fichés par KGB. Or l’URSS donnait déjà des signes de son effondrement et Montréal n’était que l’une des dizaines de villes dans le monde où une manifestation semblable avait lieu
Petites causes, grands effets : la terreur se répand comme l’effet papillon. Meilleure façon d’en réduire l’effet : la qualité, le nombre, la variété des protestations de mê que la notoriété des partipants.J’ai repris espoir quand l’Université Harvard a fait preuve de résistance.
Je ne connais rien d’aussi joyeux, texte et musique confondus, que l’hymne marquant la cérémonie du cierge éternel pendant la Veillée pascale. Ce qui a retenu mon attention cette année, c’est le rôle des abeilles dans cette symbolique si inspirante. On les évoque dans le texte. C’est le fruit de leur travail qui nourrit la lumière. Donnant déjà le sucre et la lumière naturelle aux autres vivants, elles leur donnent désormais aussi la lumière surnaturelle. Leur cire est le bûcher de l’Agneau Mystique.
Difficile de mieux célébrer les liens unissant dans la nature les éléments (carbone, oxygène…) puis la vie végétale, animale et humaine. L’homme ici, comme l’ours, court le risque d’une piqûre pour mériter le fruit des abeilles. Il n’est pas le prédateur protégé. L’univers lui fait une juste place sans faire graviter tout autour de lui. L’univers n’est pas anthropocentrique,
Cette interdépendance des composantes de l’univers, du naturel au surnaturel, est la grande caractéristique de ce que, dans son encyclique Laudato si, publiée il y a dix ans déjà, le pape François appelle la Maison commune.
À l’Agora, nous avons attaché la plus grande importance à cette encyclique. Nous avons tenu un colloque sur le sujet, animé principalement par notre amie la regrettée Andrée Mathieu, laquelle avait obtenu du physicien Fritjof Capra l’autorisation de traduire en français son article sur l’approche systémique dans Laudato si.
Exultez dans le ciel, multitude des anges !
Exultez, célébrez les mystères divins !
Résonne, trompette du salut,
pour la victoire d’un si grand Roi !
Que la terre, elle aussi, soit heureuse,
irradiée de tant de feux :
illuminée de la splendeur du Roi éternel,
qui recouvrait le monde entier !
***
Dans la grâce de cette nuit,
accueille, Père saint, en sacrifice du soir
(la flamme montant de) cette colonne de cire (œuvre des abeilles)
que la sainte Église t’offre par nos mains.
Chaque fois que je clique sur Google ou Facebook, je donne à ces géants des parts de mon attention qu'ils vendront à des agences de publicité souvent de ma région. J'enrichis ainsi des Américains déjà démesurément riches. Dans le calcul de la balance commerciale entre le Canada et les États-Unis, est-ce qu'on tient compte de ces dépenses invisibles mais bien réelles?
Hypatie d'Alexandrie (vers 360-415) est la seule femme philosophe, mathématicienne et astronome de l'Antiquité. Le roman historique de Jean Marcel Hypatie ou la fin des dieux est, à mon avis, le meilleur livre québécois, mais si je le tire des oubliettes en cette Journée de la femme, 8 mars 2025, c'est d'abord parce qu'il nous plonge dans une époque charnière, fin de la Grèce, triomphe du christianisme, qui rappelle celle que nous traversons aujourd'hui, marquée par ce qui semble être la fin du christianisme et l'entrée dans je ne sais quelle civilisation dominée par les technologies numériques. (Voir ci-après l'entretien de Michel Onfray et du père Michel.)
«Comment te convaincre que ce qui meurt autour de moi m'afflige plus encore que ma propre perte ? Nos dieux sont en péril de mort, Synésios, mais à qui en appeler quand il n'y a plus personne ? Nos dieux sont en détresse, et je suis seule avec eux?»
Bien des précédents rendent ce danger manifeste, mais quand j'ai vu l'ascension d'Elon Musk dans l'espace américain, c'est d'abord à Nicolas Fouquet que j'ai pensé. Ce richissime français avait fait construire le Château de Vaux-le-Vicomte, le plus somptueux de France. Il avait invité le jeune Louis XIV à l'inauguration. Commentaire de Voltaire : « Le 17 août 1661, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France ; à 2 heures du matin, il n'était plus rien. »
104 ans le 8 juillet 2025. Bon anniversaire ! Sociologue français. El pensador planetario, dit-on de lui dans cette latinité dont il est plus proche que du monde anglo-saxon.
Transgressant les frontières entre les pays et les continents comme entre les disciplines, les religions et les visions du monde, il a domestiqué cette idée de complexité rendue nécessaire actuellement aussi bien par l’état de la planète que par celui de la science et de l’humanité. Il faut agir localement sans cesser de penser globalement. Penser, agir : Edgar Morin sait, parfois jusqu’à l’excès trouver le style qui convient aux sujets les plus abstraits comme il sait trouver celui qui incite à l’action.
Lire la suite dans notre dossier Egard Morin dans la série les Pionniers de l'écologie.
« Au Québec, Victor-Lévy Beaulieu, ou tout simplement VLB, entre assurément dans la catégorie des écrivains politiques dont l’œuvre, qui en impose et déconcerte, se rie des frontières savantes. Or, dans la littérature québécoise contemporaine, c’est Victor-Lévy Beaulieu qui a rendu à l’Irlande, à sa littérature et à son histoire tragique le plus bel hommage qui soit, un hommage en forme d’épopée et de mausolée narratif qui défient les genres littéraires usuels. Cet hommage est d’autant plus étonnant que la référence à l’Irlande dans la littérature et la politique québécoises contemporaines avait été intermittente, sinon chétive.
Victor Lévy-Beaulieu est assurément l’un des plus prolifiques de nos écrivains, il a à son actif au-delà d’une soixantaine de titres. Né en 1945, l’écrivain est un boomer, qui a suivi une trajectoire atypique, en portant plusieurs chapeaux dans l’espace public : éditeur, écrivain, polémiste et défenseur notoire de l’indépendance québécoise. Il a pratiqué tous les genres, le théâtre, le roman, la poésie, l’essai, le téléroman. VLB a dans sa besace plusieurs essais consacrés à des géants de la littérature, Victor Hugo, Jack Kérouac, Herman Melville, Voltaire, Léon Tolstoï. Son essai hilare sur James Joyce apparaît donc comme un aboutissement, un magnum opus ; c’est le plus volumineux de ses hommages, 1080 pages, contre 750 pour son Melville. C’est peut-être le plus achevé, le plus complexe, le plus étourdissant. C’est dire la place que VLB accorde à Joyce dans son panthéon.
La fascination de VLB pour Joyce est ancienne. Il l’aurait découvert dès 1964, et depuis n’aurait cessé de le lire, de l’étudier. Son Joyce raconte même l’histoire de cette découverte. Ce n’est pas le seul ouvrage où VLB révèle sa fascination pour Joyce, plusieurs ouvrages précédents l’avaient annoncée. Quant à l’ouvrage lui-même il aurait été écrit entre 1973-2005. Il est donc le fruit de près de quarante ans de lectures et d’écriture, livrées au lecteur comme une somme. « [L]a rédaction de James Joyce… a été en soi une véritable odyssée », écrit Jean-François Chassay. D’ailleurs, pour le bénéfice du lecteur, VLB fournit une abondante bibliographie sur l’histoire d’Irlande, James Joyce, plusieurs des ouvrages qui y sont indiqués sont annotés par VLB lui-même. […]
« Les peuples vaincus n’ont jamais d’histoire par-devers les autres et par beaucoup plus par devers eux-mêmes. Ne naissant pas au monde, ils ne naissent pas chez eux non plus. » Le Québec du reste, lance VLB, est une nation plus « hystérique qu’historique » En racontant l’histoire d’Irlande, VLB historicise son propre travail d’historien et étend le champ de l’histoire québécoise, qui inclut désormais celle d’une nation jumelle, qui partage avec lui une communauté de destin. Le Québec et l’Irlande sont deux nations « catholiques à gros grains », dit-il. C’est pour lutter contre le défaut d’histoire, la tendance à l’oubli qui est le sort des nations vaincues que VLB ambitionne de donner à son écriture une profondeur historique. Il agit ce faisant comme un écrivain national, non pas chantre du repli sur un récit national étriqué, mais héraut d’un récit surdimensionné, cosmique, gourmand, à plusieurs voix, où les chants celtes se mêlent aux chansons à répondre québécoises. C’est aussi une façon de s’inscrire en faux contre la littérature québécoise contemporaine, devenue à ses yeux fade, ignorante de tout héritage historique, au style pauvre et uniforme. L’errance cosmopolite dont se gavent les écrivains globe-trotter québécois masque selon lui une grande indigence. Ils ont aboli la référence à la France et la Grande-Bretagne dans leurs expériences d’écriture centrées sur des moi individuels sans épaisseur collective. VLB emprunte un tout autre chemin; il ose rétablir la filiation à l’Irlande, à l’aune de laquelle la Grande-Bretagne est prise à partie, à la fois comme nation conquérante et culture assimilatrice. […] »
Extraits de l’article suivant : Marc Chevrier « Victor-Lévy Beaulieu, James Joyce, les langues et le Québec hibernien », dans Linda Cardinal, Simon Jolivet et Isabelle Matte (dir.). Le Québec et l’Irlande, Québec, Septentrion, 2014, p. 214-235.
La communauté LGBTQ a fait de nombreux gains au cours des dernières années. Mais, loin de se contenter de ces victoires, le mouvement s'est radicalisé comme le déplore Andrew Sullivan, un militant gay de la première heure, auteur de ce texte d'opinion très nuancé publié dans le New York Times.
2S.L.G.B.T.Q.I.A.+
« Les mots " gay " et " lesbienne " ont pratiquement disparu. L.G.B.T. est devenu L.G.B.T.Q., puis L.G.B.T.Q.+, et d'autres lettres et caractères ont été ajoutés : L.G.B.T.Q.I.A.+ ou 2S.L.G.B.T.Q.I.A.+ (pour inclure les personnes intersexuées, asexuées et les autochtones bispirituels). Le signe + fait référence à un nombre apparemment infini de nouvelles identités de niche et, selon certains, à plus de 70 nouveaux " genres ". L'idée est qu'il s'agit d'une seule et même communauté révolutionnaire et intersectionnelle de personnes différentes sur le plan du genre, et qu'elle est liée à d'autres causes de gauche, de Black Lives Matter à Queers for Palestine. »
État d'urgence
« En 2023, la Human Rights Campaign, le plus grand groupe de défense des droits civils des gays, des lesbiennes et d ses transsexuels du pays, a déclaré un " état d'urgence " pour la première fois dans l'existence de l'organisation. Elle ne l'avait pas fait lorsque des homosexuels étaient emprisonnés pour avoir eu des relations sexuelles en privé ou lorsque l'épidémie de SIDA a décimé des centaines de milliers d'homosexuels [...]. En fait, cette « urgence » est avant tout une réponse aux nouveaux projets de loi de l'État proposant des restrictions sur le traitement médical des mineurs souffrant de dysphorie de genre, des interdictions dans les salles de bain et les vestiaires, et des questions relatives aux transgenres dans les programmes scolaires et les sports. »
Pour réduire leur dépendance vis-à-vis la technologie américaine, de grandes villes européennes ont adopté récemment des plans de migration vers des suites logicielles open source ou encore vers des outils développés en territoire européen. Les politiques tarifaires agressives de l'administration Trump ont sonné l'alerte et éveillé l'Europe à l'urgence de muscler sa souveraineté technologique. Les annonces se multiplient, au Danemark, en France et en Allemagne. À Bruxelles, la Commission européenne a annoncé évaluer la possibilité de migrer ses données d'Azure (Microsoft) vers OVHCloud, un service européen (disponible ici en Amérique).
« Cette dépendance stratégique est particulièrement remise en question depuis le retour du tempétueux Républicain au pouvoir et ses menaces tous azimuts sur le Groenland, les droits de douane ou l'Ukraine. Et la proximité affichée de certains patrons de la tech avec le président américain.
La crainte est que Washington ne fasse de sa domination technologique une arme dans son bras de fer avec Bruxelles si les relations transatlantiques, déjà au plus bas, venaient à se détériorer.
"Nous devons développer nos propres capacités technologiques", a exhorté la commissaire européenne Henna Virkkunen. »
Des textes à lire sur Le Monde Informatique et France24.com.
On a tendance à l'oublier, mais il y n'a pas que des mauvaises nouvelles. C'est que ce que nous rappelle Jacques Attali dans son dernier éditorial.
« Sans nier la gravité des périls, je voudrais rappeler ici une évidence trop souvent tue : la partie n’est pas terminée: