L'Encyclopédie sur la mort


Prise en charge ambulatoire en milieu psychiatrique de personnes suicidaires

Michela Canevascini

La prise en charge ambulatoire en milieu psychiatrique des personnes ayant des idées ou des comportements suicidaires (ne relevant pas d’une situation de fin de vie ou de maladie grave) s’appuie aujourd’hui sur les valeurs d’autonomie* individuelle et de responsabilité. On peut toutefois se poser une question, à savoir : une personne en situation de souffrance et de détresse est-elle en mesure de prendre des décisions de manière autonome et responsable ? Une certaine forme d’interdit de se suicider n’aurait-elle pas une raison sociale et thérapeutique à être réaffirmée ?
Il ne s’agit pas de retourner à une vision du suicide comme étant un crime ou un péché. En ce sens, il faut lutter contre la culpabilité* qui y est associée, tant chez les personnes qui ont fait des tentatives* (ou qui ont des idées suicidaires) que pour les proches. La vie nous appartient et la vie elle-même nous a donné la possibilité de nous suicider. Mais la question éthique* ne peut pas être écartée au nom du relativisme. Il ne s’agit pas de renouveler une morale coercitive ou jugeante, mais le fait suicidaire oblige à une réflexion éthique importante et approfondie, tant au niveau individuel que sociétal. C’est par le biais de l’affirmation de valeurs positives telles que la solidarité ou l’amour que l’on peut considérer que le suicide n’est pas une solution. Cette forme d'« interdit positif » peut devenir un ancrage pour la personne en crise. Et c'est notamment en ce sens que la foi est souvent considérée comme étant protectrice dans le suicide. On fait confiance à d'autres ou à une «parole divine» pour donner une autre chance à son existence.

Dans une société pluraliste, les différents discours concernant le suicide doivent coexister, tout en évitant que l’on glisse vers l’indifférence ou le relativisme le plus total. Le danger est alors que les discours favorables au suicide occupent le débat, comme pour les associations promouvant le suicide assisté* (notamment en référence au contexte suisse). Réduire le suicide à un libre choix risque de transformer le suicide en une forme d'auto-élimination des éléments les plus faibles, vulnérables ou exclus de la société. Apporter une aide dans des situations où le sens de la vie est remis en cause nécessite une dimension éthique permettant de situer l’autonomie non pas dans un individualisme ou un relativisme désertique, mais au sein de valeurs humanistes renouvelées.

On peut alors faire le lien avec les suicides liés au travail* tels qu’ils se développent en France. Ils sont le reflet d’un système de travail ne donnant plus aucune place à l'humain et qui promeut des pratiques d'humiliation, de contrôle, de performance et de compétitivité très violentes. Dejours parle de «pathologies de la servitude», puisque les travailleurs sont amenés à se soumettre totalement (et de manière volontaire) à une logique du profit et de compétitivité qui annihile la dimension humaine de leur travail. Ceux qui ne supportent pas cette situation, souvent parce qu'ils ont une trop grande conscience morale, s’effondrent jusqu'à se suicider.

La médiatisation dont ces suicides font l'objet peut être dangereuse en raison de l'effet Werther, mais des effets positifs peuvent également s’y trouver. D'une part parce que cela permet de socialiser les difficultés liées au travail. Ces suicides surviennent en effet souvent lorsque les personnes se sentent individuellement responsables de leur situation et n'ont aucun soutien de la part de la collectivité. D'autre part, la médiatisation remet la question du management des grandes entreprises au centre du débat social et va peut-être amener ces entreprises à changer de direction (au moins pour soigner leur image publique).

L’aide psychiatrique, dans ces situations, ne peut donc pas se limiter à une injonction à l’autonomie, mais doit pouvoir se construire sur l’affirmation de certaines valeurs pouvant comprendre les idées ou comportements suicidaire dans un contexte d’injustice. Une attitude trop relativiste risque au contraire de taire les enjeux collectifs, en renvoyant finalement la responsabilité de la situation à l’individu lui-même.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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