L'Encyclopédie sur la mort


Évaluation des stratégies de prise en charge des suicidants

Matthieu Lustman

Le suicide est un objet d’étude complexe qui s’inscrit dans un champ pluridisciplinaire. Chaque discipline reste enfermée dans les limites de son domaine : pour le philosophe, l’autonomie des suicidants ; pour le sociologue, les influences du social ; pour les médecins, un problème concret auquel il faut trouver une solution. Nous avons abordé le suicide à partir de notre posture de médecin et de sociologue. L’ambition de notre étude « Evaluation des stratégies de prise en charge des suicidants » est donc de marier ces deux champs (médecine et sociologie) et d’appliquer des outils sociologiques à la pratique quotidienne des médecins.
Notre étude a pour fondement notre expérience d’interne aux urgences où il était facile de constater la difficulté des soignants à prendre en charge le suicide. Une revue de la littérature nous a confirmé tant le malaise des soignants que les difficultés d’organisation de la prise en charge du suicide par l’institution sanitaire. Ce constat partagé par quelques équipes psychiatriques a abouti à la création de nouveaux protocoles ainsi qu’à une conférence de consensus en octobre 2000, et à l’élaboration de recommandations par l’ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé)

La conférence de consensus et les recommandations, en insistant sur l’importance de la mise en route d’un suivi thérapeutique, sur les problèmes d’adressage et d’alliance avec le patient, montrent que le suicide pose tant un problème de stratégie thérapeutique qu’un problème de complaisance. Le médecin est renvoyé à la façon dont il conçoit sa pratique. Nous posons comme hypothèse qu’il ne serait pas pertinent de prendre comme unique objet d’étude les suicidants. Nous proposons d’élargir le spectre de l’analyse à l’étude des stratégies des soignants et à l’étude des interactions soignant/soigné.

En utilisant la méthode exploratoire de la sociologie qualitative (observation/interview), nous avons comparé dans quatre services (urgences d’un CHR (Centre hospitalier régional), d’un CHU (Centre hospitalier universitaire), unité de court séjour, unité d’intervention à domicile) la trajectoire des patients sur un an. Nous avons comparé leur intégration ou non dans un suivi thérapeutique en essayant d’analyser l’influence tant de la structure que des protocoles proposés. Notre étude laisse apparaître qu’il n’existerait pas de différences significatives entre les services du CHR, les services du CHU et l’unité de courts séjours. Dans ces trois cas un très petit nombre de patient (10 % environ) s’intègre dans un suivi thérapeutique, ce qui correspond aux données de la littérature. En revanche, dans le cadre de l’unité d'intervention à domicile, un nombre significativement plus élevé, intègre un suivi.

Cette différence pourrait s’expliquer par les souplesses d’adaptation au besoin du patient ainsi que par la théorie systémique qui travaille non pas sur le patient uniquement mais aussi sur l’entourage. Dans les trois premiers services le patient doit s’adapter au système hospitalier, dans le quatrième, c’est le système hospitalier qui va à sa rencontre. L’analyse de ces résultats semble montrer que la complexité de l’interaction soignant/soigné, les problèmes de structure, les a priori des théories scientifiques utilisées influencent directement les possibilités d’entrer dans un suivi thérapeutique.

En conclusion, notre étude montre les obstacles concrets qui s’opposent à la possibilité d’un suivi. La médecine est souvent l’objet d’un savoir positif et la relation médecin/malade n’est pas considérée comme un objet d’étude scientifique. Or il apparaît essentiel, pour améliorer la prévention du suicide, d’intégrer dans la recherche en suicidologie* les paramètres de cette relation, les analyser et en faire surgir des protocoles. La gestion du suicide représente le paradigme de la crise de l’évolution de la relation médecin/malade où le patient adresse une demande antinomique au médecin: respectez mon autonomie*, mais prenez moi en charge.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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