L'Encyclopédie sur la mort


«Le mort»

Georges Bataille

«L'obsession la plus importante est la mort. À ses yeux [de Bataille], le seul moyen de surmonter l'angoisse provoquée par ce dernier instant, qui supprime à jamais les conditions de toute connaissance, est de s'approcher le plus possible de la mort dans la vie même. L'idée fondamentale que Bataille formule dès ses premiers écrits est qu'il voit dans l'érotisme "l'expérience d'une sortie hors de soi dont les états limites avoisinent la mort" (Robert Sasso, Georges Bataille: le système du non-savoir. Une ontologie du jeu, Paris, 1978, p. 127). L'érotisme est ce qui rend la mort présente par un même désir d'anéantissement. L'expression littéraire de cette hantise nous montre d'une manière bouleversante, "que le mouvement de l'amour, porté à l'extrême, est un mouvement de mort" (Oeuvres complètes II, p. 130). La période pénible que Bataille traverse au temps où il écrit Le mort ranime ses obsessions sexuelles et nécrophiliques à tel point que la scène où Marie, après la mort d'Edouard, attire un homme dans la chambre du mort, fait penser à la réminiscence particulièrement troublante, que Bataille rapporte ailleurs, du jour où il s'est trouvé devant le cadavre, réel ou fantasmique, de sa mère. Ainsi Bataille retourne dans Le mort d'une manière tragique comme à l'origine de sa pensée.» (Henk Hillenaar et Jan Versteeg, Georges Bataille et la fiction, Amsterdam u.a. Rodopi, «CRIN»,1992, p. 87-88)

Selon H. Mitterand (Dictionnaire des grandes oeuvres, p. 287), Bataille a «la conscience aiguë de l'ignominie originelle», exprimée par saint Augustin: Inter faeces et urinam nascimur (Nous naissons entre les fèces et l'urine).
Lorsque Edouard retomba mort, un vide se fit en elle, un long frisson la parcourut, qui l'éleva comme un ange. Ses seins nus se dressaient dans une église de rêve où le sentiment de l'irrémédiable l'épuisait. Debout, auprès du mort, absente, au-dessus d'elle-même, en une extase lente, atterrée. Elle se sut désespérée mais elle se jouait de son désespoir. Edouard en mourant l'avait suppliée de se mettre nue.

Elle n'avait pu le faire à temps! Elle était là, échevelée: seule sa poitrine avait jailli de la robe arrachée.

[Marie se rend à la taverne où, parmi les clients ivres, elle rencontre un comte, nain monstrueux. Avec lui, elle retourne à la maison du mort ]

Elle introduisait le comte dans sa chambre.

- C'est fini, se dit-elle. Elle était à la fois lasse, haineuse, indifférente.

- Déshabille-toi, dit-elle, je t'attends dans la chambre voisine.

Le comte se déshabilla sans hâte.

[...]

Il désirait Marie et bornait ses pensées à ce désir.

Il poussa la porte. Tristement nue, elle l'attendait devant un lit, provocante et laide: l'ivresse et la fatigue l'avaient battue.

- Qu'avez-vous? dit Marie.

Le mort, en désordre, emplissait la chambre...

Le comte doucement balbutia.

-... j'ignorais...

Il dut s'appuyer sur un meuble: il débandait.

Marie eut un sourire affreux.

- C'est fait! dit-elle.

Elle avait l'air stupide montrant dans sa main droite une ampoule brisée.

Enfin, elle tomba.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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