L'Encyclopédie sur la mort


Analyse du récit de la mort

Gilles Ernst

Gilles Ernst analyse le récit de mort chez Bataille.Conduite extrême et proximité de la mort caractérisent ce volume qui donne le goût d'ouvrir les Oeuvres Complètes de Bataille, de vérifier la justesse et d'apprécier la portée des analyses ou tout simplement de lire ces récits de mort. En terminant la lecture de ce livre fouillé, on s'estime mieux armé pour situer la nécrophilie des personnages à l'intérieur de la religion de mort ou du thanatocentrisme de ce romancier, poète et penseur. La mort n'est d'ailleurs qu'un autre mot pour le silence, l'impossible, le rien, l'infini, Dieu. Dans sa conclusion fort suggestive, appelée «Creux», l'auteur note: «Beaucoup d'écrivains ont parlé de la mort; mais rares sont ceux qui, comme lui (Bataille), ont trouvé d'instinct le ton juste et la matière profonde, au point que son texte ne se lit jamais sans stupéfaction: si peu de mots, et tant de choses essentielles qui blessent tout de suite» (op. cit., p.237).
La structure du récit de mort chez Bataille peut se définir de deux points de vue. Premièrement, le récit «a pour centre un mort qui est le signe à visage humain de la mort» (p. 115). La mort silencieuse parle par la bouche du mort. La mort elle-même est inaccessible au langage, car elle échappe à notre observation et à notre entendement. Étant «une histoire sans paroles» (p. 9), elle est silence et stupeur. Le récit n'est donc pas habilité à «dire» la mort, mais, par contre, il peut parler du mort. C'est ainsi que Bataille ruse avec la mort et rapporte, en des termes laconiques et brutaux, les faits et les circonstances du décès d'un personnage. Cet événement mortel, qui met en scène moins l'auteur que l'acteur du récit, devient central dans la trame du texte. Bien qu'absente et ineffable, la mort est donc présente sous les apparences d'un mort et souffle dans les coulisses du récit.

Deuxièmement, «le récit est la relation d'un seul événement par deux séries narratives liées» (p. 116) entre elles, mais dont l'une a la primauté sur l'autre. La «mort finale» d'un personnage est l'événement fondateur d'une «mort seconde» ou du «mourir érotique». Le récit commence par un cadavre, présent ou recherché, par un cadavre que l'on évoque ou dont on se souvient. Ce cadavre déclenche, par la suite, la réunion des amants ou la communication intime et charnelle de deux êtres, qui s'accomplit sur le mode de la transgression. Le mort transgressé devient source de l'amour transgressé. Avec maîtrise et minutie, Ernst dévoile ainsi devant le lecteur la structure des deux schémas narratifs d'une mortalité unique, telle qu'elle se déploie dans les oeuvres de Bataille.

Selon Bataille, la poésie est le plus de la prose, parce qu'elle exprime mieux le fond de l'être, à savoir le monde de l'en-bas et de l'amour charnel, le monde de l'impossible et de la négativité. Il n'est donc pas étonnant de lire sous la plume d'Ernst, son commentateur, en fin de chapitre: «Le récit de Bataille qui nie les pouvoirs ordinaires du discours se définit au contraire, pour reprendre un mot de Jankélévitch au sujet du silence essentiel de la mort, comme une poétique de l'apoétique>> (p. 57).

Source: Éric Volant, «Gilles Ernst, Georges Bataille. Analyse du récit de Bataille», Paris, PUF, 1993, Frontières, hiver 1994, p. 52.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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