L'Encyclopédie sur la mort


La mort et le destin en Mésopotamie ancienne

Jean Bottéro

Jean Bottéro, directeur d'études assyriologiques, École Pratique des Hautes Études, Philologie et Histoire, Paris, est l'auteur de L'Épopée de Gilgamesh: Le grand homme qui ne voulait pas mourir, (traduit de l'akkadien et présenté par Jean Bottéro), Paris, Gallimard, 1992. Les antiques mésopotamiens nous ont transmis et légué leurs sentiments, leurs pensées, leurs croyances, leur savoir, leur histoire depuis qu'ils ont inventé l'écriture. Il nous en reste bien de quoi entrer dans leur mythologie de la mort ...
Dans l'Épopée de Gilgamesh*, une de nos pièces d'archives les plus éloquentes, en l'espèce, le héros du Déluge, toujours vivant, par privilège divin, et que Gilgamesh est venu trouver au bout du Monde pour lui soutirer les secrets de son immortalité, lui parle de la Mort et lui dit (X/VI: 13ss):

La Mort, personne ne l'a vue,
Nul n'en a aperçu le visage,
Ni entendu la voix, la Mort cruelle,
Qui brise les hommes...
On n'a jamais reproduit Son image:
Et pourtant l'Homme,
Depuis ses origines,
En est prisonnier...

En d'autres termes, elle est universellement active, terrible et inflexible, mais on ne la connaît pas, on ne la comprend pas: on ne sait pas ce qu'elle est.

[...]

Mais les vieux Mésopotamiens [...] ne se sont jamais préoccupés du «Comment?» de la Mort, de cette chute dans le profond Oubli définitif, mais seulement de la transformation physique radicale de l'Homme, à ce moment fatal. [...] De l'Homme-vivant qu'avait été jusque-là le trépassé, il subsistait d'abord son corps, sa masse,comme endormis: «Endormi et mort, c'est tout un», dit encore le même héros du Déluge à Gilgamesh, dans la même Épopée (X/VI :25).

Le coutumier invariable du pays voulait que l'on ensevelît obligatoirement le défunt: qu'on le confiât à la terre, à nu ou dans une tombe, où il disparaissait lentement, «retournant à l'argile»: à la matière première d'où il avait été tiré. Il ne resterait alors plus rien de lui, si ce n'est son «fantôme». Quel en serait le sort? [...]

Ainsi l'existence entière, indéfiniment prolongée, des Fantômes de tous les Trépassés, se déroulait-elle principalement sous la terre. [...] L'Hémisphère supérieur, l'«En-haut», le «Ciel», lumineux, chaleureux et allègre, recouvrait de sa clarté le cadre, l'existence des Hommes-vivants, en même temps qu'il abritait les plus grands dieux, les plus universels. Par antithèse, la calotte inférieure et souterraine, l'«En-bas», l'«Enfer» [...], caverne immense, ténébreuse et sinistre, était donc réservée aux Hommes-morts, aux etimmu, aux Ombres des Défunts, que l'ensevelissement y avait introduits, comme par autant d'orifices ou de puits.

[...]

L'entrée dans leur séjour définitif se faisait naturellement, et sans autre formalité particulière: car leur nouveau sort, répondant à leur nouvel état, composait le second et dernier volet de leur existence, dont le premier avait été leur condition d'Hommes-vivants, d'awîlu.
Il n'y avait donc pas, en Mésopotamie d'autrefois, comme en tant d'autres cultures de la Mort, de jugement discriminatoire, pour assigner à chacun, dans l'Au-delà, un sort conditionné par quelque donnée «morale» antérieure que ce fût, à commencer par les «mérites» qu'il aurait amassés au long de sa vie d'Homme. L'existence souterraine et définitive des «Fantômes» était rigoureusement la même pour tous.
[...]
Qu'y faisaient-ils? Quelle était leur existence fantômatique sans fin? Elle est au moins suggérée par une demi-douzaine de vers qui introduisent la Descente d'Ishtar aux Enfers, et se retrouvent également, sans qu'on sache la direction de l'emprunt, à la septième tablette de l'Épopée de Gilgamesh, au cours d'un cauchemar, dont Enkidu, sur le point de mourir, est la victime, qui se voit déjà traîné aux enfers (VII, iv:33 ss.):

Dans la Demeure obscure
La Résidence d'Ishtar
Le Logis d'où ne ressortent jamais
Ceux qui y sont entrés;
Par le chemin à l'Aller sans Retour;
En la Demeure où les arrivants
Sont déprises de lumière;
Ne subsistant plus d'humus,
Alimentés de terre,
Affalés dans tes ténèbres,
Sans jamais voir le jour;
Revêtus comme des oiseaux,
D'un accoutrement de plumage,
Tandis que la poussière s'entasse
Sur verrous et vantaux...
Sans jamais voir le jour
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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