L'Encyclopédie sur la mort


Discours de la couronne (Extrait)

Démosthène

À la suite de la victoire de Philippe de Macédoine sur les cités grecques à Chéronée en 338 av. J.-C. et une fois la paix conclue, un Athénien Clésiphon proposa de décerner une couronne d'or à Démosthène pour le remercier d'avoir sauvé l'honneur d'Athènes et de la Grèce. Eschine interprète cette motion de Clésiphon comme un acte politique dirigé contre lui et le parti macédonien. Il intente à Clésiphon une action d'illégalité. La cause fut plaidée devant le tribunal des Héliastes en août 330. Après les discours d'Eschine et de Clésiphone, Démosthène prononça son discours célèbre De la couronne. L'extrait choisi dans la «Péroraison» concerne plus particulièrement une inscription tombale dont le texte est très controversé et paraît peu convenir au siècle de Démosthène. Cependant, il nous intéresse car il met en évidence que, contrairement aux dieux, les humains ne peuvent échapper à leur destinée mortelle. Pour eux,la mort est incontournable. (R. Fleury, «Notice» dans Démosthène, Discours de la couronne (Extraits), Paris, Librairie Hatier, 1958, p. 2-6)
[285] La République, Eschine, a entrepris et exécuté beaucoup de grandes choses par moi ; elle ne l'a point oublié, en voici la preuve. Quand le Peuple, aussitôt après l'événement, nomma un panégyriste pour ceux qui venaient de périr, ce ne fut pas toi qu'il choisit, malgré ta candidature et ta voix sonore; ni Démade, qui venait d'obtenir la paix (135) ; ni Hégémon, ni aucun de vous : ce fut moi. Pythoclès (136) et toi, vous vous élançâtes à la tribune. Avec quelle insolente fureur, ô ciel ! vous vomissiez les inculpations, les invectives que tu renouvelles aujourd'hui ! Eh bien ! le Peuple confirma son choix. [286] La raison, tu ne l'ignores pas ; je veux pourtant te la dire. Il connaissait et mon zèle dévoué, et votre perfidie. Car, ce que vous aviez nié avec serment durant nos prospérités, vous l'avouâtes au moment de nos revers : on vous tint donc pour d'anciens ennemis, à qui les malheurs publics donnaient le courage de se déclarer. [287] D'ailleurs, convenait-il de confier l'éloge de nos braves à l'homme qui avait logé sous le même toit, participé aux mêmes libations que ceux contre lesquels ils avaient combattu? Convenait-il que celui qui, en Macédoine, avait fait des orgies, et chanté les hymnes où les meurtriers de nos compatriotes célébraient la désolation de la Grèce, à son retour dans Athènes reçût un tel honneur? Il fallait, pour une telle infortune, non une voix et des larmes de théâtre, mais une âme pénétrée de la publique douleur. Ce deuil*, les Athéniens le trouvaient dans leurs coeurs, dans le mien, non dans les vôtres : [288] c'est pour cela qu'ils me choisirent, et non pas vous. Et non seulement eux, mais les pères, les frères chargés du soin des obsèques, agirent ainsi. Le repas funèbre, qui se donne ordinairement chez le plus proche parent, ils le donnèrent chez moi. Ils ne se trompaient point : en effet, si, par le sang, chacun d'eux tenait aux morts de plus près, comme citoyen je leur étais plus uni que personne. Oui, le plus intéressé à leur salut, à leur succès, devait, après leur malheur à jamais regrettable, prendre la plus grande part aux larmes de tous.

[289] Qu'on lise à cet homme l'inscription qu'Athènes fit graver sur leur tombeau. Ici encore, Eschine, tu reconnaîtras et ton injustice, et tes calomnies, et ta méchanceté.

Inscription.
De leur zèle pieux intrépides victimes,
Ces guerriers, que la gloire entraînait sur ses pas,
Pour abattre un tyran et pour punir ses crimes,
Au milieu des périls ont trouvé le trépas.
Tandis qu'ils repoussaient la honte et l'esclavage,
La fortune jalouse a trompé leur courage.
Entre eux et l'agresseur ils appelaient la mort :
C'est eux qu'elle a frappés! Nous les pleurons encore :
Vains regrets! du Destin tel fut l'ordre immuable.
Il n'appartient qu'aux Dieux de ne faillir jamais;
Eux seuls ont en leurs mains le bonheur, le succès.
Mortels, soumettez-vous au sort inévitable !

[290] Tu l'entends, Eschine, il n'appartient qu'aux Dieux de ne faillir jamais ; eux seuls ont le succès entre les mains. Est-ce un orateur que ces vers font arbitre de la victoire? non, ce sont les Immortels. Pourquoi donc, misérable, m'accabler d'imprécations? Puisse le ciel les faire retomber sur toi et sur les tiens !

Texte intégral:

Le site de L'antiquité grecque et latine. Du moyen âge
http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/demosthene/couronne.htm
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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