Fermat Pierre de
Voici comment Lagrange, un juge compétent, caractérise l’œuvre scientifique de ce précurseur:
- Dans sa méthode De maximis et minimis il égale l’expression de la quantité dont on recherche le maximum ou le minimum à l’expression de la même quantité dans laquelle l’inconnue est augmentée d’une quantité indéterminée. Il fait disparaître dans cette équation les radicaux et les fractions, s’il y en a, et après avoir effacé les termes communs dans les deux membres, il divise tous les autres par la quantité indéterminée qui se trouve les multiplier; ensuite il fait cette quantité nulle, et il a une équation qui sert à déterminer l’inconnue de la question. Or, il est facile de voir au premier coup d’œil que la règle déduite du Calcul différentiel, qui consiste à égaler à zéro la différentielle de l’expression qu’on veut rendre maximun ou minimum, prise en faisant varier l’inconnue de cette expression, donne le même résultat, parce que le fond est le même et que les termes qu’on néglige comme infiniment petits dans le Calcul différentiel, sont ceux qu’on doit supprimer comme nuls dans le procédé de Fermat.
La théorie des nombres, délaissée depuis tant de siècles, fut reprise seulement au XVIIe siècle par Fermat et Pascal. Le génie du premier se complut surtout dans cette étude, et ses idées à ce sujet semblent avoir été très particulières. Plusieurs de ses théorèmes, après avoir exercé la sagacité des Euler et des Legendre, sont même restés sans démonstration. C’est au cours de recherches exécutées en vue d’une nouvelle édition de Diophante, qu’il se tourna de ce côté et sut, grâce à une méthode dont nous ignorons le secret, « s’avancer plus loin que ses successeurs» (2).
La plus célèbre de ses propositions arithmétiques est la suivante :
- La somme ou la différence de deux cubes n’est jamais un cube, ou d’une manière plus générale au-dessus du carré aucune puissance n’est décomposable en deux puissances de même nom. (3)
Le magistrat de Toulouse fut donc un des plus grands noms de l’histoire des Mathématiques. Malgré le peu de temps que ses fonctions lui permettaient de consacrer à la science, il sut comme Viète se créer une place à part. En appliquant l’Algèbre à la Géométrie, il se fit l’égal de Descartes. Qui pourrait dire si Leibniz et Newton ne doivent pas à ses vues le trait de lumière qui les a guidés vers l’analyse infinitésimale? Avec l’auteur des Provinciales il fut un des pionniers de la théorie des hasards, et surtout s’il a des rivaux dans les autres branches, ses découvertes sur les nombres lui assurent une supériorité unique. Dans ce domaine, on chercherait en vain son émule. Géant sublime, sphinx impénétrable, il s’est frayé des routes qu’aucun savant n’a encore pu retrouver malgré les ressources modernes. C’est un privilège sans exemple dans les annales de la Science."
Notes
(1) Lagrange, Leçons sur le calcul des fonctions, Paris, 1806
(2) Libri. In Revue des Deux-Mondes (…).
(3) En d’autres termes, l’équation Xn – Yn – Zn ne peut être satisfaite pour aucune valeur entière de X, Y et Z si n est supérieur à 2. Cette proposition, dite théorème de Fermat, n’a été démontrée que pour des valeurs particulières de n.
source: Jacques Boyer, Histoire des mathématiques, Paris, G. Carré et C. Naud, 1900, p. 125-127.
À propos des observations de Fermat "où sont énoncées les théorèmes sur les nombres premiers, sur les nombres polygonaux, sur la possibilité ou l’impossibilité de certaines équations indéterminées en nombres entiers":
"Dans cette branche de l’arithmétique, Fermat se fraye une voie nouvelle où il a été bien difficile à ses successeurs de le suivre, parce qu’il a presque toujours caché la méthode qui le guidait dans ses recherches, et qu’il n’a pas publié l’ouvrage sur la théorie des nombres qu’il avait projeté. Cette méthode devait sans aucun doute différer des procédés actuels, fondés la plupart sur une savante analyse. L’usage restreint des signes algébriques dans les solutions qu’il nous a laissées, montre assez qu’il arrivait à ses théorèmes par des raisonnements subtils et des procédés originaux d’investigation entièrement perdus. D’ailleurs l’exactitude constante de ses énoncés, les fragments de démonstrations très-difficiles qu’il a laissés, ses affirmations précises, ne permettent pas de supposer que des inductions imparfaites, ou de simples tâtonnements le dirigeaient dans la recherche de ses théorèmes."
Émile Brassinne, "Introduction" de: Précis des oeuvres mathématiques de P. Fermat et de l'Arithmétique de Diophante. Textes réunis par Émile Brassinne. Toulouse, Imprimerie de Jean-Mathieu Douladoure, 1853, p. 8-9