Michaud Joseph
Article de l'abbé François Lanoue paru dans L'Actualité joliettaine:
Ces derniers mois, nous avons admiré le Père Pascal Drogue-Lajoie, éminent Clerc de Saint-Viateur à qui, durant plus de 50 ans, Joliette voua tout son cœur et à qui il rendait bien la pareille.
Aujourd'hui, émerveillons-nous devant un autre grand éducateur du Séminaire qui, lui aussi, durant 50 ans, a fait rayonner le nom de Joliette et celui de sa communauté, à travers tout le Canada.
En abordant ce grand homme, on se croirait en plein Moyen Âge. On croirait retrouver un Pierre de Craon, un infatigable bâtisseur d'églises, de couvents et de maisons. Un bâtisseur qui, comme au Moyen Âge, garde l'anonymat. Un bâtisseur qui parcourt le futur Canada «a mari usque ad mare». Un bâtisseur qui ne confie pas ses secrets à l'imprimerie mais les consigne dans de simples notes à ses élèves dont il fait ses compagnons. Un bâtisseur, taillé à la hache, qui ne cherche pas la gloire et la reconnaissance de ce monde. En somme, un homme et un religieux, créateur de beauté classique. En donnant son nom à l'une de ses rues aux belles maisons, dans la paroisse du Christ-Roi, Joliette s'est honorée et a honoré la communauté qui dessert les fidèles de ce quartier et avec qui la ville a noué des liens séculaires.
Cet homme, l'anecdote suivante le décrit:
«Une base, c'est une surface qui sert toujours à appuyer ou à asseoir un édifice, Messieurs. Or, regardez et comprenez... pourquoi votre tour prend des allures penchées. Elle ne repose même pas sur sa base! » Et après avoir prouvé ses dires, il salua ces savants ingénieurs du premier édifice du Parlement d'Ottawa et reprit le train vers Montréal et Joliette.
En effet, la tour de cet édifice menaçait de s'écrouler. Ingénieurs et architectes avaient beau se demander pourquoi elle ressemblait de plus en plus à celle de Pise, on ne se l'expliquait pas. C'est alors qu'un ministre canadien-français suggéra le Père Joseph Michaud, c.s.v. de Joliette, comme étant le seul capable d'éclaircir le mystère. Il le prouva!
Mais qui était ce Père Michaud ou plutôt, cet abbé Michaud, comme on disait à l'époque?
Un Michaud? – Tout de suite, on se dit qu'il doit venir du Bas du Fleuve. Les Michaud, comme les Dubé, les Sirois, les Bélanger, les Pelletier foisonnent. De fait, Joseph Michaud venait de Kamouraska (Saint-Louis) sur les bords du Saint-Laurent, de cette très vieille paroisse (1672) où l'on admire encore de belles maisons anciennes qui, par une gracieuse courbure, unissent leurs murs de façade et d'arrière à leurs larmiers qui, eux-mêmes prolongent des toits délicatement incurvés.
De ce village, la vue rejoint les mystérieuses et fascinantes montagnes des Éboulements de Charlevoix et les non moins surprenantes montagnes de roc dénudé – des monadnocks – de la région de Sainte-Anne de la Pocatière. «Peut-être n'est-on d'aucun pays que du pays de son enfance» a écrit le poète suisse Rainer Maria Rilke. Et notre compatriote géographe, Jean Sarrasin enseignait qu'il y a corrélation entre la nature du sol et le visage de l'homme. La photo du P. Michaud prouve qu'il y avait accord chez lui entre la carrure et l'aspérité de ses traits, la douceur et l'énergie de son regard et la nature à la fois revêche et enchanteresse du village où il vit le jour, le 1er avril 1822, chez le couple Joseph Michaud et Charlotte Michaud.
Comment se fait-il que du lointain Kamouraska il se présente (1848) au Noviciat que les Clercs de Saint-Viateur viennent d'ouvrir, l'année précédente, au village de L'Industrie? Le seul lien connu à cette époque entre les deux villages, c'est peut-être le curé Manseau de L'Industrie qui, en 1814, a été vicaire à la paroisse voisine de Kamouraska, Sainte-Anne de la Grande Anse (de La Pocatière)... Le jeune Michaud a fait ses études classiques de 1838 -46 et le curé Manseau a peut-être encore des relations là-bas? Toujours est-il, que deux ans après la fin de ses études, qu'a-t-il fait entre temps? On ne le sait pas – Joseph Michaud arrive à L'Industrie, le 20 octobre, en la veille de la Saint-Viateur. Il a 26 ans. Désormais, Joliette sera son port d'attache à travers les obédiences qui le mèneront du Collège Joliette (1848-51, 1852-53, 1854-55, 1862-64, 1865- 68, 1869-1880) à Chambly où la communauté enseigne au Collège de l'endroit (1851-1852, 1853-1854), au Collège de Rigaud (1855-58, 1864-65), à Victoria (1858-62), à Rome (1868-1869) et à Montréal (1880-1898). Finalement, il reviendra à Joliette finir ses jours en décembre 1902. Il avait 80 ans.
Qu'est-ce qui ressort de cette vie? – Tantôt, je l'ai comparé à Pierre de Craon, de Claudel. Or, voilà qu'il m'apparaît aussi comme un homme de la Renaissance, une espèce de Léonard de Vinci (moins le talent pour l'art pictural). En effet; le P. Michaud, en plus d'être architecte, s'est révélé physicien, géologue, numismate et sculpteur. Il travaillait aussi la terre et le cuivre.
En 1927, quand le Séminaire de Joliette construisait l'Aile Bonin, toute la Province s'émerveillait d'y trouver un étage entier consacré aux laboratoires de physique et de chimie. Eh bien! le P. Joseph Morin ne faisait que continuer la ligne tracée depuis plus de 50 ans par le P. Michaud qui y avait d'abord ouvert un cabinet de physique, puis un laboratoire au troisième étage de l'aile de brique (1875) qu'il avait édifiée et qui portait son nom. (Ce laboratoire se trouvait derrière le jubé de l'orgue de la chapelle et a ensuite servi de bibliothèque).
«Le Collège de Joliette, écrit le P. Charlebois, c.s.v. lui doit aussi les premières collections de ses musées (Il s'agit, semble-t-il, d'animaux, d'oiseaux et de minéraux), collection que le Fr. Coulombe a considérablement augmentée, par la suite).
Dans Histoire illustrée des Monnaies et Jetons du Canada (1894), l'auteur P.-N. Breton, écrit ceci: «En 1884, le Père Michaud se livra dans ses heures de loisirs à la numismatique; en moins de dix ans, il a réussi à former une des plus belles collections de monnaies du pays». «C'est un aspect qui complète la figure du Père Michaud. Esprit inquisiteur, il s'intéressait à tout». On peut facilement imaginer l'émulation qui devait se déployer entre lui et le juge G. Baby dans la course aux pièces de monnaie. (Qu'est-il advenu de sa collection?... A-t-elle subi l'odieux sort de celle du juge Baby que des escrocs vinrent subtiliser une nuit d'hiver de 1960, au Séminaire de Joliette, dans l'Aile du Centenaire où elle était soigneusement remisée).
Son «système planétaire» ses machines électriques, ses «patentes» ont longtemps intéressé les élèves des Collèges de Joliette et de Rigaud. Plusieurs contemporains se souviennent d'avoir vu «marcher les planètes» au musée du Séminaire, aux quatrième et cinquième étages de l'aile des professeurs, côté nord-ouest.
Géologue à ses heures, le P. Michaud publia pour le Gouvernement d'Ottawa, département de l'arpentage géologique, une description très minutieuse de la partie de la montagne de Rigaud, qu'on appelle «la pièce des guérets», donnant les causes hypothétiques de ce phénomène.
Mais, c'est surtout comme architecte qu'il a passé à la postérité. Malheureusement pour nous, on ne connaît pas toutes ses oeuvres qu'on dénombre par plusieurs centaines. Il ne les signait pas. Comme au Moyen Âge, quoi! Pourtant, écrit le P. O. Charlebois, c.s.v. qui l'a connu, «il a fait les plans et dirigea les travaux de plus de cent églises et de trois cents édifices religieux». A Joliette, il a fait les chapelles de Saint-Joseph (1877) et Bonsecours (1888) dont les beaux clochers ont été affreusement mutilés, ainsi que plusieurs maisons à comble français – à mansardes. Il avait un goût marqué pour les mansardes et les portiques qu'il ornait de belles colonnes.
De ces maisons de Joliette, signalons sur le Boulevard Manseau, celle du Dr. Jos. Lafortune, (1875), du juge Guy Guilbault (1887), (maintenant occupée par la Banque de commerce). On lui attribue aussi l'Institut (466, Manseau) (1858), la maison de Mary Coffin (édifice Bell), et dans les alentours de la cathédrale, la maison du Dr. Préville, le magasin Fafard. Toutes ces maisons au style différent prouvent les facettes des multiples talents du P. Michaud. Il avait aussi une préférence pour les bandes lombardes, i.e. ces bandes verticales de faible saillie reliée en haut par une suite d'arcatures. Ainsi, l'Aile de brique du Séminaire qu'il avait élevée en 1875 et qui fut incendiée en 1957, la chapelle Saint-Joseph, la façade Bonsecours et la maison Coffin, la Salle du Marché (1874-1863), probablement de lui) étaient agrémentées de lombardes.
Étant donné la similitude des clochers de l'église de Saint-Alphonse et de la première cathédrale de Victoria – dont on parlera plus loin, on peut être tenté d'attribuer au P. Michaud, les plans de cette exquise petite église du nord de Joliette. Et puisque celle-ci ressemble à celle de Chertsey (1869), ne pourrait-on pas en supposer autant? Serait-ce son influence qui aurait fait construire à Saint-Alphonse plus d'une douzaine de toits à mansarde?
On lui attribue aussi l'église de Saint-Paul l'Ermite (1877) – les archives de cette paroisse le mentionnent. On sait aussi qu'ils surveilla l'exécution des plans de Victor Bourgeau à Saint-Barthélemy (1872) effectuées par Frs-X. Archambault, et qu'en 1892, il s'occupa de la reconstruction de l'église de Saint-Thomas de Joliette.
Ce que l'on sait bien, par exemple, c'est qu'il a fait les plans des Cathédrales de Victoria et de Montréal. Comment expliquer cela?
Parlons d'abord de Victoria. On est en 1858, Mgr Modeste Demers, évêque, des prêtres, des religieux et des religieuses pour sa mission de Victoria, en Colombie anglaise, vient à Saint-Jacques-de-L'Achigan cueillir quelques Sœurs de Sainte-Anne. A l'Industrie, le P. Champagneur lui confie le frère Michaud qui ira fonder une école. Il quitte donc l'Est, le Bas-Canada, et entreprend un long périple d'une cinquantaine de jours puisqu'il faut voguer par le Canal de Panama et remonter le Pacifique, le long de la côte ouest de l'Amérique.
L'année suivante (1859), un autre joliettain, de Saint-Paul, l'abbé Cyrille Beaudry – le futur clerc de Saint-Viateur, l' y retrouvera. Ils y passeront ensemble quelque temps, le jeune abbé Beaudry devant revenir au bout de quatorze mois, à cause de son état de santé, alors que l'évêque songe à en faire son vicaire général.
Le P. Michaud vécut, quatre ans, à Victoria, «laborieusement, luttant chaque jour contre les plus apres difficultés, s'attachant à la peine comme on pourrait s'attacher au plaisir. Ce ne fut pas sa faute s'il dut revenir bientôt au milieu des siens; toute sa vie, le P. Michaud demeura profondément attaché aux rudes missions de l'Ouest, qu'il eut deux fois le bonheur de revoir, dans la suite, florissantes et prospères».
Mgr Demers dut tôt s'apercevoir des talents d'architectes de son directeur d'école. Toujours est-il qu'il lui confia le soin de lui bâtir rien de moins que sa cathédrale... Oh! toute modeste, toute menue... On dirait la plus petite de nos églises de campagne canadienne-française, avec élément spécial cependant: un portique. Le P. Michaud, dit le
P. Corbeil, aimait faire précéder ses édifices d'un portique. Le clocher je l'ai dit, ressemble beaucoup à celui de l'église de Saint-Alphonse de Joliette, élevée en 1860, du moins l'église... pendant que le P. Michaud est à Victoria. En aurait-il fait les plans avant de partir? C'est chose fort possible. Cette cathédrale de Victoria devait lui être chère, puisque c'est là, que Mgr Demers l'ordonna prêtre, le 25 mars 1860.
Qu'en est-il advenue? Elle se trouve depuis 1886 englobée dans l'Académie Ste-Anne, en face.
En 1862, il revint au Canada, à «Jolietteville», comme on avait alors tendance à appeler le village de l'Industrie, à la veille de se muer en «ville de Joliette (1864)». Il reprend son enseignement au Collège. En 63-64, il écrit, son Précis d'architecture:
92 pages à la calligraphie impeccable. Il n'en existe que deux exemplaires, tracés, l'un par «une main inconnue», l'autre, par l'un de ses élèves, James Shephard, le futur médecin de la rue Saint-Charles (terrain de stationnement du Restaurant Sainte-Rose): «Il a fini, précise-t-il, de le transcrire, le 25 octobre 1867, à 5 hres, p.m.». Il y inscrit le nom de ses confrères de classe, parmi lesquels on retrouve Médéric Thibodeau et Ulric Foucher, de Saint-Jacques, Joseph Lasalle, de Saint-Paul, Joseph Bonin, de Lanoraie. Dans le même cahier, J. Shephard transcrit le traité de minéralogie de son professeur, ainsi que celui d'astrologie. Malheureusement, les dessins du Précis d'architecture, sont introuvables.
Citons-en quelques extraits. C'est simple comme bonjour, presque des lapalissades. Voici: «L'architecture en général, est l'art de bâtir. Elle se divise en quatre branches particulières qui sont: l'architecture civile, l'architecture militaire, l'architecture navale et l'architecture hydraulique». ...Puis il indique ce que comprend chaque branche. Ensuite il décrit les 5 grands ordres: toscan, dorique, ioniques corinthien, composite et leurs parties. Les Collèges de Joliette et de Rigaud possédaient des spécimens faits par lui de chacun de ces ordres, ainsi que des moulures dont il traite ainsi que des piédestals, des colonnes, etc... des niches, des balustres, des amortissements, des frontons, des portes, des oeils-de-boeuf, etc...
Les précieux manuscrits sont conservés chez les C.S.V. de Joliette.
En 1868, le P. Michaud quitte à nouveau Joliette. Il s'en va à Rome, un peu comme aumônier du deuxième détachement des 24 zouaves pontificaux, mais surtout pour autre chose.
En effet, en 1852, un incendie avait détruit à Montréal 1122 maisons, ce qui jetait sur le pavé 1777 familles ou 9042 individus.
La Cathédrale de Mgr Bourget qui s'élevait au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Denis avait brûlée, elle aussi. On songea à la reconstruction, évidemment. Mais où? Chacun y allait de sa suggestion. Mgr Bourget étudiait la situation et priait. En 1854, il fit enfin connaître sa décision qui surprenait tout le monde, comme celle du maire Drapeau pour le site de l'Exposition Universelle à Montréal, en 1967. Décisions qui surprenaient mais qui leur donnent raison aujourd'hui.
Étant donné que Montréal, comme toute ville, s'agrandissait vers l'Ouest, Mgr Bourget irait planter sa cathédrale dans cette direction, là où les commerces anglophones et les gares s'établissaient, là, en somme où la vie devenait de plus en plus active. Il bâtit d'abord un évêché puis une cathédrale qui ne serait que provisoire (1855). Montréal mérite une cathédrale digne de sa renommée et de sa foi! Celle-là ne sera que provisoire!
En 1857, il expose à un comité exécutif de 27 membres, trois pour chaque quartier, son projet qui ne fera que traduire sa vive piété envers Rome et le Pape: une réduction de Saint-Pierre de Rome est possible, dit-il, dans Ville-Marie!
Le comité endosse les propositions de l'évêque. Et nul autre que le grand architecte de l'heure, Victor Bourgeault, sera chargé de l'entreprise. A cet effet, celui-ci ira à Rome étudier les plans de la fameuse Basilique.
Dieu sait si, de notre temps, on a critiqué cette décision de «copier» Saint-Pierre de Rome. De même qu'un «souvenir» nous rappelle telle ou telle personne ou telle ou telle ville, Mgr Bourget voulait qu'un impérissable et imposant monument s'élève pour rappeler à tous combien l'amour du Pontife de la Ville Éternelle est une valeur fondamentale en christianisme. Il a donc voulu manifester hautement son attachement à Rome en édifiant à Montréal le monument le plus prestigieux de la chrétienté. En 1974, au cours d'une audience, Paul VI nous salua, nous les visiteurs de la région de Montréal, en rappelant combien les visiteurs se plaisent à visiter cette basilique de Montréal qui évoque celle de là-bas. Mgr P. Burchési, archevêque de Montréal, disait combien ce monument l'inspirait (1896-1939).
M. Bourgeault s'en va donc à Rome, après avoir marqué le site de la nouvelle cathédrale dont la façade serait tournée vers la rue Lagauchetière, et fait commencer le creusage des fondations. Il revient de Rome avec «des plans simplifiés et très réduits» (Mgr Maurault).
«Les dispositions peu sympathiques du pouvoir civil, qui ne veut pas ouvrir de place en direction sud, peut-être le manque de confiance dans les plans de l'architecte, des doutes sur les succès de l'entreprise entretiennent si bien les hésitations que les années passent, et voilà 1868 arrivé, on est encore au creusage inauguré en 1857»
(Entre nous, Vol, 5, No 3 et 5, 1939, pp. 164-174, et 299-295).
C'est en ce moment qu'entre en scène le P. Michaud, de Joliette.
Les difficultés relatives à sa Cathédrale n'abattaient pas Mgr Bourget: il en avait vu bien d'autres!
La question romaine est à l'ordre du jour. Il connaît le P. Michaud qui construit partout églises et maisons religieuses. Pourquoi ne l'enverrait-on pas là-bas, à Rome, étudier à nouveau la possibilité de construire en terre canadienne, une réplique réduite de la basilique vaticane? Le P. Michaud se récuse et confie à Mgr le secret d'une très grave maladie qui le mine sérieusement (On ne saura ce secret que lors de son oraison funèbre, en 1902). Il est guéri par Mgr Bourget; il part pour Rome et en revient triomphant déposer le fruit de son travail: la certitude de pouvoir reproduire à Montréal le plus beau temple de la chrétientés.
On est en 1869. Il reprend son enseignement des sciences à Joliette. Avec son élève qui deviendra architecte fameux, Dangeville Dostaler (de la rue Saint-Charles sud), et le Fr Onésime Poiriau, c.s.v., il exécute d'après sa très personnelle conception, la reproduction miniature de la future Cathédrale de Montréal (environ 15 pieds de longueur). En août, la «maquette du P. Michaud» arrive à Montréal, par le train de M. Joliette jusqu'à Lanoraie, puis par le bateau.
Rien de tel qu'une maquette pour convaincre des gens hésitants, surtout celle-ci qui suscite l'admiration unanime. Immédiatement, on décide d'entreprendre la construction de la Cathédrale et l'on en pose tout de suite la première pierre.
«Les contours sont à peu près la moitié de ceux de la Basilique vaticane»: donc les surfaces sont quatre fois plus petites. Voici quelques comparaisons:
Saint-Pierre:
longueur totale: 700 pieds
largeur de la nef: 82 pieds
portique: 400 pieds
hauteur du dôme: 500 pieds
Cathédrale Saint-Jacques de Montréal
longueur totale: 335 pieds
largeur de la nef: 41 pieds
portique: 175 x 30 pieds
hauteur du dôme: 265 pieds
L'architecte Bourgeault accepte la surveillance des travaux qui seront exécutés d'après les plans du P. Michaud qui, de Joliette, viendra fréquemment s'en entretenir avec lui. Devant pareilles attitudes on peut se demander, n'est-ce pas, si pareille collaboration serait possible aujourd'hui? Le P. Michaud n'avait pas signé de plan, mais sa maquette valait toutes les signatures du monde, et le «grand Victor Bourgeault» en reconnaissait la supériorité. C'est elle qui a déclenché la réalisation du rêve de Mgr Bourget.
L'évêque de Montréal n'était pas au bout de ses épreuves avec cette construction. Pour toutes sortes de raisons, surtout financières, il fallut, en 1878, arrêter les travaux. Ils seront interrompus jusqu'en 1881. C'est alors qu'on décida d'en finir une fois pour toutes. C'est encore Mgr Bourget, qui du fond de sa retraite du Sault-au-Récollet, s'en va quêter à travers son ancien diocèse, lui, un vieillard de 82 ans, afin de pouvoir terminer la Cathédrale Saint-Jacques. Elle sera inaugurée en 1894.
Les architectes Bourgeault, Leprohon et Père Michaud travailleront de concert. Depuis 1880, ce dernier habite l'Institution des Sourds-Muets, au Côteau Saint-Louis, sur la rue Saint-Dominique, à côté de l'église du Mile-End. En 1888, Bourgeault décède. De Leprohon, il n’est plus question. Chaque matin, à pied, le P.Michaud ira sur place, diriger les travaux, durant six ans.
Revenons à la maquette. Ce n'était pas la seule que le P. Michaud ait exécutée. Après celle de Montréal, encore avec son prestigieux élève Dangeville Dostaler et le Fr. Poiriau, il fit celle de l'aile de brique du Séminaire (1875) (incendiée en 1957) et celle du Noviciat de Joliette (incendié en 1939). Le Fr. Louis Vadeboncoeur, c.s.v. va les porter à l'Exposition de Philadelphie, en 1874. La première se trouve actuellement au Musée d'Art de Joliette, avec une autre qui est peut-être celle d'un projet de collège à Berthier. Celle de Montréal, après avoir été longtemps dans la Cathédrale, puis au Collège Bourget de Rigaud, de 1921, elle fut transportée en 1938 à l'École Technique de Montréal. Est-ce encore là?...
Cet homme, ce religieux austère et pince sans rire que les élèves craignaient, semble avoir toujours été «le disponible» ou le dépanneur qui tirent les savants de mauvais pas. Ainsi, encore à Ottawa, on le fit venir pour régler un problème d'acoustique dans la Chambre des Communes de l'ancien édifice du Parlement, incendié en 1916. L'on dit que dans la Cathédrale de Montréal, aussi, l'acoustique est excellente (Technique, Vol. XVI, No 2, Montréal, février 1941, G. Ducharme, c.s.v.).
C'est donc un homme qui aurait mérité du Canada, de l'Église et de sa ville d'adoption. Joliette. Celle-ci l'a reconnu en donnant son nom à l'une de ses rues. L'Église canadienne a reconnu ses mérites. En 1899, a ses noces d'or de vie religieuse célébrées à Joliette où il était revenu l'année précédente, l'archevêque de Montréal, Mgr Paul Bruchési, lui présenta un calice d'argent doré. A ses funérailles, en 1902, 13 décembre (80 ans), célébrées à l'église paroissiale Saint-Charles Borromée de Joliette, Mgr Racicot, de l'Archevêché de Montréal, prononça l'éloge funèbre et, probablement pour mettre fin à toutes sortes de discussions, proclama ceci: «C'est bien entièrement a lui que nous devons la Cathédrale de Montréal».
Le 24 juin 1903, Mgr Bruchési présidait au dévoilement du monument érigé en face de la Basilique-cathédrale, à la mémoire de Mgr Ignace Bourget. Sur un des bas-reliefs, Louis Philippe Hébert commémore l’œuvre de la cathédrale. Au milieu de nombreux personnages, on reconnaît le P. Joseph Michaud, c.s.v., offrant à Mgr les plans de la cathédrale. C'est la reconnaissance, encore plus officielle, écrite sur le bronze, de la ville et du diocèse de Montréal envers ce modeste religieux qui cachait sous les plus humbles apparences un cœur d’artiste. Enfin,Mgr J-Alfred Archambault, premier évêque de Joliette (1904-1913), affirmait dans la Semaine religieuse de Montréal que les œuvres du P. Michaud seront son plus bel éloge aux yeux de l'histoire.
Homme entièrement donné à sa mission d'éducateur, professeur doué d'un sens pédagogique peu commun, il prônait déjà l'école active en montant des laboratoires, fabriquant toutes ,sortes d'instrument de physique, des colonnes de tous les genres architecturaux, en amenant même ses élèves, imaginez la nouveauté de la chose!, en excursion géologique au Mont Belœil (1874).
Enfin, homme de grande foi, on le vit un jour arrêter par sa seule prière, un incendie dans le village de Saint-Liguori. Religieux, austère, il franchissait à pied la distance entre Lanoraie et Joliette, homme cultivé, il maniait aussi bien la bêche, la pique, la pioche, la truelle, la scie, et le rabot que la plume et le compas.
Voilà donc cet homme «complet» cet «honnête homme» au sens classique que j'ai été heureux de faire connaître.
Par l'abbé François Lanoue
P:S. Je remercie le Rvd F. Armand Caron, c.s.v. de m'avoir si libéralement ouvert les précieuses archives de sa communauté.
Actualité joliettaine.
vol,4, no. 7 (oct. 1977),
pp. 7-8; no. 8 (nov. 1977)
pp. 10-11; no. 9 (déc. 1977),
pp. 8-9; 11.
Reproduit dans Au fil des années, recueil de textes de l'abbé François Lanoue, compilé par L.-G. Gauthier, édité par Réjean Olivier, édition privée, 1988, p. 13-19