Fauré Gabriel

12 / 05 / 1845-04 / 11 / 1924
«Gabriel Fauré est né en 1845, à Pamiers, petite ville du midi de la France. Il est mort à Paris en 1924. Dès l'âge de neuf ans, on lui trouve des dons remarquables pour l'improvisation, à quoi il se livrait avec frénésie sur l'harmonium de la chapelle de Montgauzy, non loin de Foix, où il commença son éducation. Sur le conseil d'une vieille dame, aveugle et fort bonne musicienne, et qui l'écoutait assidûment, ses parents l'envoyèrent à l'École Niedermeyer, à Paris, où il devint, quelques années plus tard, l'élève de Saint-Saëns.

Sa vie a été tout le contraire d'un roman d'aventures, ce qui dérange la croyance populaire que la vie des grands artistes est plus ou moins dévergondée. Il fut organiste à la Madeleine de Paris, inspecteur de l'enseignement musical aux Beaux-Arts, critique musical au Figaro, professeur de composition au Conservatoire de Paris, plus tard directeur de ce même Conservatoire, enfin membre de l'Institut de France. Il a vécu assez longtemps pour goûter les douceurs de la gloire, et il était célèbre depuis plusieurs années quand il est mort.

Au Conservatoire de Paris, il a formé de nombreux disciples. Depuis le passage de César Franck à cette école aucun autre maître n'a été aussi religieusement et amoureusement écouté. C'est que Fauré avait une attirance et un charme extraordinaires. Ses élèves l'adoraient. Parmi ces disciples brillants, on relève les noms de Maurice Ravel, Florent Schmitt, Louis Aubert, Roger Ducasse, Henri Février, Charles Koechlin, Paul Ladmirault, Nadia Boulanger, Georges Enesco, Raoul Laparra, Grovlez, d'autres encore.

Un musicographe français, Louis Laloy, a écrit quelque part que c'est par Fauré que la renaissance de la musique française a commencé au XIXe siècle. C'est lui, en effet, qui, un des premiers, a bouleversé les vieux systèmes où ,l'on manquait d'air et qui a soumis la musique «aux lois non écrites des belles lignes et des mouvements harmonieux ». En parlant de l'idéal d'un musicien français, Fauré n'a-t-il pas défini lui-même sa propre manière et son esprit? Cet idéal, dit-il, c'est « le goût de la clarté dans la pensée, de la sobriété et de la pureté dans la forme ». Ce sont précisément les lignes essentielles de l'art fauréen.

C'est un art de poésie, d'images et de formes sensibles. C'est un art de sentiment, de nuances subtiles, et qui ne choque jamais. Un art tendre, délicat, mais vigoureux aussi. Des harmonies chaudes, mais discrètes, séduisantes et fuyantes, ombrent avec un extrême raffinement la tonalité générale de cette musique. Et c'est quand ce jongleur semble le plus éloigné de la tonalité qu'il en est le plus rapproché. Un tour de note, et nous voilà dans le ton initial. Telles Barcarolles, tels Nocturnes, telles mélodies sont autant de pages parfaitement équilibrées et qui enchantent à la fois l'esprit et le cœur.

Les mélodies de Fauré comptent parmi les plus belles et les plus rares transpositions d'une expression poétique dans une forme musicale. Quelques mesures lui suffisent pour exprimer l'esprit et le sens d'un texte, et tels poèmes de Samain, de Baudelaire, de Théophile Gautier et de Van Lerberghe, mis en musique par ce magicien, ont une transparence, une originalité, une flexibilité, une tendresse et un charme jusque-là inconnus. Le plus beau mariage de la poésie et de la musique, il semble bien que Fauré et Verlaine l'aient consommé. Ici, la fusion est parfaite.

Dans une mélodie de Fauré, le piano et le chant ont un rôle égal. Il n'est plus question d'accompagnement, mais d'union intime et totale entre le chant et le piano. Des mélodies comme Nell , Automne, Les Berceaux, le Nocturne, le célèbre Clair de Lune, Soir, Le Parfum impérissable, L'Horizon chimérique, tout le recueil de La Bonne Chanson et celui de La Chanson d'Eve, sont autant de pages extraordinaires de passion, de vie, de lumière, de paix, d'amour et de bonheur. Nous n'en avons pas encore découvert tout le secret.

L’œuvre pianistique de Fauré est moins répandue que son oeuvre vocale. C'est qu'elle est difficile, toute intérieure, et qu'elle ne cherche pas à faire vibrer le virtuose. Mais ici, que de beauté, que de chefs-d’œuvre! Treize Nocturnes, autant de Barcarolles, six Impromptus, des Romances sans paroles, des Valses Caprices, neuf Préludes, les Pièces brèves, le beau, le somptueux, l'inégalable Thème et Variations, une Ballade et une Fantaisie pour piano et orchestre constituent un trésor encore trop peu connu des pianistes. Ainsi que le dit son biographe, Charles Koechlin, personne, depuis Chopin, n'a su mieux que Fauré exprimer la pénombre et la mélancolie des soirs, la clarté lunaire et les ténèbres de la nuit.

Fauré a touché à tous les genres de musique et à toutes les formes. Le catalogue de son oeuvre comprend une centaine de mélodies, environ soixante pièces pour piano, deux sonates pour piano et violon, deux quatuors avec piano, deux quintettes, des chœurs, de la musique d'orchestre, un Trio, un Quatuor à cordes, de la musique religieuse, etc... Son seul et unique opéra, Pénélope, qu'il écrivit dans sa vieillesse, est un pur chef-d’œuvre de musique dramatique. C'est une somme de son art. C'est tout l'art fauréen, ramassé dans une sorte de vaste symphonie dramatique d'une beauté radieuse et souveraine.

Pénélope fut écrit à un âge où d'autres eussent témoigné d'une lassitude et d'un épuisement certains. Mais Fauré sut rester jeune d'esprit et de cœur jusqu'à la fin de sa vie. Son testament musical, un Quatuor à cordes qu'il termina deux jours avant sa mort, porte l'empreinte d'une rare vigueur et d'une étonnante sûreté d'écriture. Il disait qu'il n'avait osé, jusque-là, écrire de quatuor à cordes à cause de la trop grande difficulté d'une telle composition. César Franck pensait ainsi, que c'est une forme difficile entre toutes. Avant de mourir, Fauré confia donc son Quatuor à son fidèle disciple et ami Roger Ducasse, en lui demandant de le bien examiner pour voir si, décidément, il était digne d'être joué. Les grands artistes seuls connaissent cette modestie, qui est ici d'une touchante sincérité.

Le nom de Fauré serait à jamais inscrit dans l'histoire de la musique de tous les temps, si même il n'avait écrit que ce Quatuor, quelques mélodies, par exemple L'Horizon chimérique, et quelques Nocturnes pour piano. Ce nom a d'ailleurs forcé les anthologies les plus fermées. Sa musique vivra longtemps pour l'enchantement de ceux qui cherchent dans l'art musical autre chose que de la surprise: une émotion humaine.»

Léo-Pol Morin, Musique, Montréal, Beauchemin, 1946

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