Dépression
Prévalence
La dépression du commun des mortels a peu à voir avec la dépression «médicale». Un sérieux problème pour l'interprétation des résultats d'études épidémiologiques.
Lors de l'Enquête Santé Québec 1987, menée auprès de 19 000 personnes, 1,5 % des Québécois se sont identifiés eux-mêmes ou ont été identifiés par le répondant du ménage comme ayant «un problème de dépression». Or, deux chercheurs viennent de démontrer qu'en analysant les autres réponses de cette même enquête en fonction de critères médicaux définis dans la bible des maladies mentales, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-III) , la prévalence de la dépression s'établirait plutôt à 4,4 % au Québec.
Cette différence, déjà intéressante en soi, cache un autre fait révélateur: la concordance entre le diagnostic populaire et le diagnostic DSM n'est que de 9,5 %. «Seulement 11,5 % des cas de dépression DSM sont reconnus par le diagnostic populaire et, à l'inverse, seulement 35,5 % des cas de dépression au sens populaire sont identifiés comme des dépressions selon les critères du DSM», explique l'un des auteurs de l'étude, Raymond Massé du Département d'anthropologie.
«Les critères diagnostiques de la dépression majeure du DSM conduisent à l'identification de cas de dépression qui, dans une forte proportion (88,5 %), ne se reconnaissent pas eux-mêmes ou ne sont pas reconnus par les membres de leur entourage comme souffrant de dépression», rapporte-t-il dans un article qu'il signe avec son collègue Michel Tousignant de l'UQAM, dans le dernier numéro de la Revue canadienne de psychiatrie. Les deux diagnostics reposent sur un ensemble de symptômes différents qui font que la dépression au sens populaire a peu de liens avec la maladie définie dans les dictionnaires de psychiatrie, concluent les deux chercheurs.
Cette non-concordance montre qu'il y a deux logiques, deux façons de voir les choses, poursuit Raymond Massé. Les gens se font une idée de ce qu'est la dépression et cette idée ne correspond pas à celle des dictionnaires psychiatriques. La représentation psychiatrique de la dépression est définie à partir de symptômes reconnus alors qu'on commence à peine à s'intéresser à la conception populaire de la dépression.
La différence entre les sens populaire et médical donnés à différents troubles de santé mentale pose un sérieux problème pour l'interprétation des résultats d'études épidémiologiques. En effet, comme le démontre bien le cas de l'Enquête Santé Québec, les résultats d'enquêtes reposant sur des outils de mesure auto-administrés ou administrés par des interviewers doivent être rapportés et interprétés avec la plus grande prudence car un large fossé sépare parfois la culture médicale et la culture populaire.
JEAN HAMANN
http://www.ulaval.ca/scom/au.fil.des.evenements/1996/02/depression.html