Taxe Tobin

«Même sans remonter dans le temps et sans revenir à un système dans l'esprit de Bretton Woods, il serait possible de brider la force destructive de l'armée électronique des négociateurs. Dans les années soixante-dix, l'économiste et prix Nobel américain James Tobin a élaboré un plan pour y parvenir. L'argument de Tobin était que le flot de capital dérégulé, avec ses changements de direction brutaux et ses variations de cours chaotiques, nuit à l'économie matérielle. Il a recommandé de glisser "un peu de sable dans les rouages de nos marchés financiers internationaux, démesurément efficaces", et de prélever une taxe de 1% sur toutes les transactions en devises» (*). Cette taxe aurait pour effet de diminuer les mouvements spéculatifs, et l'évolution des cours suivrait plutôt l'économie réelle. Le volume de capitaux liquides en circulation dans le système étant bien moins important, les banques centrales retrouveraient leur capacité de stabiliser les cours par des achats de soutien, ces derniers étant exonérés de la taxe. De plus, la taxe compenserait, au moins partiellement, l'évasion fiscale organisée par l'industrie financière. Mais les personnes concernées la refusent et, comme pour les impôts, font jouer les États du monde les uns contre les autres. La taxe Tobin ne pourrait donc fonctionner que si elle était adoptée par la totalité des États du monde.

 Cet argument ne devait pas décourager le prix Nobel d'économie qui, dans une nouvelle étude publiée à l'été 1995, a montré que les pays pourraient agir seuls. «Mais ils devraient faire un pas supplémentaire dans la fiscalisation et soumettre aussi à un impôt le prêt de leur monnaie à des instituts étrangers, y compris les filiales expatriées des banques ayant leur siège sur leur territoire. Une telle mesure serait imparable: quand on veut spéculer contre le dollar canadien, on doit d'abord se procurer des (dollars canadiens). Même si l'on en commande auprès d'une banque à New York ou à Singapour, celle-ci devra au bout du compte se refinancer auprès des banques canadiennes), qui récupéreront le surplus fiscal sur leurs clients» (*). L'impôt toucherait la spéculation indésirable à sa source: celle des crédits qui permettent de financer les transactions spéculatives portant sur une monnaie nationale, opérant sur des marges très réduites et tirant profit de variations de cours s'élevant à quelques centièmes de point. «Le commerce et l'économie réelle n'en seraient pourtant pas affectés. Cette taxe supplémentaire ne jouerait pratiquement aucun rôle sur les investissements étrangers réalisés sous forme de placements industriels ou sur les échanges de marchandises» (*). Mais les adeptes du marché considèrent qu'une telle stratégie est une dangereuse hérésie. Ils ont pu compter, jusqu'à ce jour, sur le soutien de nombreux journalistes économiques.

Jusqu'ici, aucun gouvernement n'a osé affronter les marchés financiers. Tous ceux qui ont voulu lancer des réformes ont été réprimandés. Pourtant, tôt ou tard, on devra soumettre de nouveau les marchés des capitaux à une surveillance de l'État. Car la dynamique interne et chaotique du monde des finances échappe même à ses acteurs. 

(*) Hans-Peter Martin/Harald Schumann, Le piège de la mondialisation, Solin, Actes Sud, 1997

 

Andrée Mathieu, La complexité de l'économie mondiale

 

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