Sublimation
Article de notre Dictionnaire des mots transfuges, exilés ou usurpés. Les mots transfuges sont ceux qui passent du camp de la vie au camp de la machine ou inversement. Leur sens est indiqué par les acronymes MV et VM. Les mots exilés sont ceux qui ont été chassés du camp de la vie et réduit à l'errance.
Sublimation est un mot transfuge MV
«En psychanalyse, c'est un mécanisme inconscient ayant pour effet de dériver la libido vers des actions socialement et culturellement valorisante.» Lexique de psychanalayse en ligne, geopsy.com
En physique, la sublimation est le passage direct d'un corps de l'état solide à l'état gazeux, sans passer par l'état liquide. Par conséquent, cette transformation se fait sans passer par une étape de fusion (de solide en liquide), ni une étape d'évaporation (de liquide en gaz). Le procédé inverse se nomme déposition ou condensation solide ou encore sublimation inverse.
C'est le sens donné au mot en psychanalyse qui s'est imposé dans le langage courant. Il est passé sans transition de la physique à la psychologie.
Sans l'avoir inventée, Niezsche a eu recours avant Freud à la notion de sublimation. «Il l'applique à l'instinct sexuel et à l'instinct d'agressivité. Il y voyait l'effet d'une inhibition et d'une processus intellectuel. C'était selon lui une manifestion très répandue. ''Les bonnes actions ne sont que des mauvaises actions sublimées.'' Même sous leur forme sublimée, les instincts gardent toute leur importance: « La force et la qualité de notre sexualité trouvent leur expression juste dans nos plus hautes réalisations spirituelle.''» Henri F. Ellenberger, À la découverte de l'inconscient, Simep-Éditions, p.232
Chez Freud, et d'une façon moins marquée chez Nieszche, le mot même de sublimation comporte une dépréciation des activités humaines réputées les plus élevées, à commencer par la contemplation. Cette dépréciation repose sur l'hypothèse d'un flux énergétique de bas en haut, laquelle incite à penser que les oeuvres de l'esprit sont le produits d'une énergie dégradée.
Ce n'est là qu'une hypothèse qu'il faut mettre en balance avec l'hypthèse inverse, que l'on retrouve chez Platon notamment, selon laquelle le flux de l'énergie est descendant. Dans ce contexte c'est la sexualité qui apparâit comme de l'énergie dégradée. Il se pourrait que l'hypothèse de Nietzsche et Freud rende mieux compte que l'autre de la situation en Europe à la fin du dix-neuvième siècle. Cela ne nous autorise pas à conclure qu'elle a une portée unviverselle.
On peut se réjouir de ce que la notion de sublimation incite à la lucidité les personnes portées à la contemplation, mais on ne peut que regretter qu'elle la discrédite dans l'esprit de la plupart des gens. D'où ce commentaire de Simone Weil:«L'idée de sublimation ne pouvait surgir que dans le stupidité contemporaine.» La pesanteur et la Grâce
Nietzsche, dans un poème qui le rapproche de la vie et l'éloigne de la physique, s'est rapproché de Simone Weil Je veux, dit-il, être «à la fois colombe, serpent et cochon.» Le serpent suggère l'idée d'un lien subtil entre la colombe et le cochon lesquels doivent composer entre eux, se respecter mutuellement pour exister dans leur plénitude. Faudrait-il voir là une ressemblance avec la tradition hindoue selon laquelle il existe deux flux d'énergie, l'un descendant et l'autre ascendant et que la santé est assurée si ces flux ne se heurtent à aucune obstacle.
Scharf und milde, grob und fein,
Vertraut und seltsam, schmutzig und rein,
Der Narren und Weisen Stelldichein:
Diess Alles bin ich, will ich sein,
Taube zugleich, Schlange und Schwein!
Sévère et doux, grossier et fin
Familier et étrange, malpropre et pur,
Rendez-vous des fous et des sages :
Je suis, je veux être tout cela,
En même temps colombe, serpent et cochon.
1-F.Nietzsche, Das Spruchwort Sprich, Scherz, List und Rache, Vorspiel in deutschen Reimen., Die fröliche Wissenschaft. Plaisanterie, ruse et vengeance.