Romnésie

La naissance d'un mot dont on pressent qu'il aura une vie longue, heureuse et fructueuse est un événement majeur dont on est honoré d'être témoin. « Les mots, qu'on le sache, sont vivants.» (Hugo). Il fallait un mot qui fustige à jamais les changements de cap opportunistes trop fréquents dans les campagnes électorales. Ce 19 octobre 2012, dans un discours prononcé en Virginie, le président Obama a fait cadeau d'un tel mot à la démocratie en soutenant que son rival Mitt Romney souffrait de romnésie. La chose était devenue évidente depuis le premier débat télévisé, pendant lequel le candidat républicain avait renié les idées de droite qu'il avait défendues pendant la campagne d'investiture républicaine pour les remplacer par des idées centristes semblables à celles des démocrates. À ce moment, Barack Obama a décu ses partisans en réagissant mollement à une telle métamorphose. Les mots d'esprit perdent leur mordant quand ils sont prononcés en retard, mais en juger par la vitesse avec laquelle la romnésie fit la une des médias, le diagnostic de Virginie fait exception à la règle.

Convenons-en tout de suite, il y eut des mots d'esprit plus fins dans l'histoire de la politique, comme celui-ci, de Talleyrand, qui s'applique également à Mitt Romney : « Les financiers ne font bien leurs affaires que quand les États font mal les leurs.» Mais puisqu'il fallait un mot qui soit au même niveau de subtilité que les volte-face de Mitt Romney, romnésie était un excellent choix. On peut présumer que les romnésiades deviendront l'équivalent des lapalissades. À la mort de ce brave monsieur de la Palice, on écrivit cette chanson :

Hélas, La Palice est mort,
Est mort devant Pavie ;
Hélas, s’il n’était pas mort,
Il f(s)erait encore envie

Dans certaines versions, le f de ferait fut remplacé par s et le cher homme, qui ne fit jamais aucune lapalissade, donna son nom aux plus plates des tautologies et fut immortalisé par une longue série de couplets :

Messieurs, vous plaît-il d’ouïr
L’air du fameux La Palisse ?
Il pourra vous réjouir
Pourvu qu’il vous divertisse.


La Palisse eut peu de bien
Pour soutenir sa naissance,
Mais il ne manqua de rien
Dès qu’il fut dans l’abondance.


Bien instruit dès le berceau,
Jamais, tant il fut honnête,
Il ne mettait son chapeau,
Qu’il ne se couvrît la tête.


Il était affable et doux,
De l’humeur de feu son père,
Et n’entrait guère en courroux
Si ce n’est dans la colère.

Retour aux romnésiades:


J'emprunte cette transcription au journal belge Le Soir : « Barack Obama a affirmé que « Monsieur Conservateur veut que vous pensiez qu’il était en train de plaisanter à propos de tout ce qu’il a dit l’année passée » pour s’assurer le soutien des républicains.

« Il a dit qu’il était le candidat idéal pour le Tea Party. Maintenant, il dit d’un seul coup ’qui ça, moi ?’ Il oublie ses prises de position, et il espère que vous les oublierez aussi », a raillé le président sortant avant de continuer : « Il nous faut donner un nom à cette maladie dont il souffre. Je pense que ça s’appelle la Romnésie ! ».

Pour que personne n’attrape cette maladie, le président américain a énuméré une série de symptômes pour déceler si oui ou non vous avez la « Romnésie ».

« Si vous dites que vous êtes pour l’égalité salariale mais que vous continuez à refuser de dire si vous promulgueriez une loi la protégeant, vous pourriez bien souffrir de Romnésie », a lancé le président.

« Si vous dites que les femmes devraient avoir accès à la contraception mais que vous soutenez une loi qui laisserait votre employeur vous en priver, vous pourriez bien souffrir de Romnésie », a-t-il poursuivi.

« Si vous dites que vous protégerez le droit d’une femme à choisir de se faire avorter mais que vous dites lors d’un débat à la primaire que vous seriez ravi de signer une loi interdisant ce droit dans tous les cas, vous souffrez définitivement de Romnésie », a soufflé le président affichant un grand sourire.

Alors que la foule était hilare, Barack Obama a terminé en prônant sa réforme de l’assurance maladie, « Obamacare ». « Si jamais vous attrapez une Romnésie et que vous ne vous rappelez pas les politiques qui sont toujours sur votre site internet ou les promesses que vous faites depuis six ans que vous êtes candidat à la présidence, voici une bonne nouvelle : « Obamacare couvre les antécédents médicaux ! », s’est esclaffé Obama avant de surenchérir : « on peut vous soigner. Il existe un remède. C’est une maladie curable ! »

Selon The Atlantic, Le mot romnesia a fait l'objet d'un Tweet le 23 mars, accompagné de cette définition : «Une forme grave d'amnésie qui frappe les politiciens malhonnêtes.» Un citoyen qui a repris le même terme sur Facebook peu après en donne cette définition :«Cas d'un politicien qui ne se souvient pas de ce qu'il a dit plus tôt dans la journée.»

Dans son article du 24 septembre dans The Guardian, George Montbiot emploie le mot romnesia pour désigner cette tendance très fréquente chez les riches à penser qu'ils se sont faits seuls, que les services publics dont ils ont bénéficié, les contacts que leur naissance leur a procurés et même l'héritage qu'ils ont reçu sont des choses négligeables par rapport à leurs mérites personnels.

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