Pomerleau René
Si les maladies des arbres avaient pour les humains autant d'importance que leur propres infirmités, René Pomerleau serait sans doute aussi célèbre que le torontois Banting, à qui nous devons la découverte du traitement du diabète par l'insuline. C'est René Pomerleau qui a diagnostiqué au Canada la maladie hollandaise de l'orme. C'était en 1934. Auparavant, il avait étudié la maladie des feuilles de l'orme avec les méthodes de la microbiologie, alors en plein essor. Depuis Pasteur et Koch, on connaissait le rôle joué par les microorganismes dans la genèse des maladies frappant les êtres humains et les animaux. Il allait de soi qu'on étende les hypothèses aux maladies des plantes. René Pomerleau était particulièrement bien placé pour faire progresser la recherche dans ce domaine. Il avait en effet profité d'un séjour de 3 ans en France, de 1927 à 1930, séjour où il se spécialisa en phytopathologie, pour parfaire sa connaissance des champignons (fungi), auxquels il avait été initié à l'école secondaire par un frère des écoles chrétiennes venu de France après l'affaire Dreyfus. Sa thèse de maîtrise, présentée en 1927 au Collège McDonald de l'Université McGill, portait sur une famille de champignons appelés les Pyrénomycètes, dont il a découvert une nouvelle espèce, le Myrmaecium prunicola. Les travaux que fit René Pomerleau en mettant à profit sa connaissance des fungi s'inscrivaient dans la grande effervescence des années 1930, laquelle devait conduire non seulement à la découverte des antibiotiques, mais aussi à l'analyse des propriétés bactériostatiques de plantes comme l'ail et l'oignon.
L'étude sur la maladie des feuilles de l'orme, grâce à laquelle René Pomerleau obtint son doctorat, parut en 1937 dans le Naturaliste Canadien sous le titre de Recherches sur le Gnomonia ulmea. Cette étude de biologie, d'écologie et de cytologie fut considérée comme un modèle du genre. Le parasite Gnomonia ulmea y est décrit avec précision tout au long de son cycle et dans toutes ses interactions avec le milieu. René Pomerleau poursuivit ses travaux sur les maladies des arbres à l'Université Laval jusqu'en 1970.
C'est toutefois en tant que mycologue qu'il est le plus connu. Par son ouvrage sur les champignons de l'Est du Canada et des États-Unis paru simultanément en Français et en Anglais en 1951, il s'est imposé comme le plus grand mycologue canadien et l'une des autorités mondiales dans ce domaine. Il profita de ses années de retraite pour rassembler ses connaissances sur les champignons** dans un grand ouvrage intitulé La Flore des champignons du Québec.
Les champignons et la symbiose
Le carbone est le principal élément constitutif de la matière organique. Les plantes vertes l'obtiennent par la photosynthèse, les animaux, en consommant les plantes vertes ou d'autres animaux. Il existe cependant des végétaux dépourvus de chlorophylle, à qui par suite, le soleil est inutile. C'est pourquoi ils poussent sous les arbres ou dans des caves. Ce sont les champignons. Qu'ils soient microscopiques ou qu'ils pèsent plusieurs kilos, les champignons sont tous réduits à se procurer le carbone dont ils ont besoin, soit dans de la matière organique en décomposition, soit dans des organismes vivants. On dit qu'ils sont parasites d'un organisme quand, sans rien apporter à cet organisme en retour, ils lui prennent du carbone dont il aurait lui-même besoin; on dit qu'ils sont les commensaux d'un organisme, quand ils mangent les restes de sa table, autrement dit quand ils absorbent son trop plein de carbone; on dit enfin que l'organisme et le champignon sont en symbiose, quand ils sont nécessaires l'un à l'autre.
Au cours des dernières décennies, on a découvert que de nombreux champignons sont en symbiose avec les arbres. C'est l'un des disciples de René Pomerleau à l'Université Laval, le Dr André Fortin qui fut l'un des pionniers dans ce champ de recherche dont l'importance est de plus en plus reconnue. Si les pluies acides détruisent tel champignon dans le sol, elles détruisent aussi l'arbre qui est en symbiose avec ledit champignon
Mais peut-être la contribution la plus significative de René Pomerleau au progrès de l'humanité fut-elle l'organisation, en 1952, à l'occasion du centenaire de l'Université Laval, d'un symposium international intitulé Conservation des richesses naturelles renouvelables. Vingt ans avant la conférence de Stockholm qui marqua le début de ce qu'on pourrait appeler l'ère de l'écologie, des savants du monde entier s'étaient réunis à Québec, à l'invitation de René Pomerleau, pour réfléchir sur la façon de prévenir les catastrophes écologiques.
Dans son allocution d'ouverture, René Pomerleau posa les questions suivantes:
«Existe-t-il des frontières au prélèvement massif (d'arbres), frontières que nous ne devons jamais franchir? Peut-on sans danger altérer constamment la surface de la terre, ou déranger l'ordre naturel établi depuis des millénaires, sans provoquer des chocs en retour?...».
Et il ouvrit des perspectives planétaires: «Il convient d'ajouter que l'idée de la Conservation des richesses naturelles renouvelables bien que directement reliée au comportement de chaque pays en particulier, à son économie, et à l'avenir de ses habitants, dépasse nécessairement les frontières politiques.»
René Pomerleau et les français dans les sciences
Peut-on se passionner pour des champignons, les révéler à tout un peuple, sans aimer la bonne cuisine et sans étendre le souci de la qualité à tous les aspects de la vie humaine? René Pomerleau est aussi un fin mélomane... et parmi les choses précieuses auxquelles il a étendu sa sollicitude, il y eut la langue française. Voici un extrait de l'allocution qu'il a prononcée lors du colloque sur la situation et l'avenir du français dans les communications scientifiques au Canada. «Longtemps considérée souveraine pour les communications orales et écrites et la dialectique des savants, tel que Pascal, Lavoisier, Buffon, Cuvier, Laplace, Lagrange, Pasteur, Pointcarré, Langevin, Perrin, Maurice et Louis de Broglie, Carnot et bien d'autres, la langue française avait une réputation et une vocation heuristique bien établies. Dans son discours sur l'universalité de la langue française, à l'académie de Berlin, en 1772, Rivarol démontrait que cet idiome, en raison de ses qualités, notamment de son ordre lumineux, convenait mieux que toute autre langue européenne à cette époque pour rendre avec précision et limpidité des idées dans divers domaines de portée internationale comme la diplomatie, la politique, le commerce, l'industrie et, bien entendu, la science et la technique. Mais depuis un siècle et surtout depuis la fin de la dernière guerre mondiale, il ne faut pas se le cacher, la langue anglaise a envahi tous ces secteurs et est devenue le véhicule le plus employé dans les communications scientifiques et techniques.
Cette prépondérance, qui a fortement ému nos collègues français d'Europe depuis 25 ou 30 ans, prend une signification singulièrement aigüe pour nous, francophones d'Amérique, et nous préoccupe au premier chef...