Progrès

Le progrès est la forme moderne du rêve millénariste d'un paradis sur terre assuré par l'avancement de la science et de la technologie.

Charles Baudelaire définissait le progrès ainsi: «J'entends par progrès la diminution progressive de l'âme et la domination progressive de la matière.» (Cité par Pierre Emmanuel, dans Choses dites, DDB, 1970, pp. 19-20.)

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Essentiel

«Faute de pouvoir réaliser ses aspirations, le "progrès" baptise aspiration ce qu'il réalise.»

Nicolás Gómez Dávila, Les horreurs de la démocratie, Anatolia/Éditions du Rocher, 2003, p. 28.
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«Aucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l'ordre des faits naturels, ne tient de plus près à la famille des idées religieuses que l'idée de progrès, et n'est plus propre à devenir le principe d'une sorte de foi religieuse pour ceux qui n'en ont plus d'autre. Elle a, comme la foi religieuse, la vertu de relever les âmes et les caractères. L'idée du progrès indéfini, c'est l'idée d'une perfection suprême, d'une loi qui domine toutes les lois particulières, d'un but éminent auquel tous les êtres doivent concourir dans leur existence passagère. C'est donc au fond l'idée du divin; et il ne faut point être surpris si, chaque fois qu'elle est spécieusement invoquée en faveur d'une cause, les esprits les plus élevés, les âmes les plus généreuses se sentent entraînés de ce côté. Il ne faut pas non plus s'étonner que le fanatisme y trouve un aliment, et que la maxime qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l'excellence de la fin justifie les moyens, corrompe aussi la religion du progrès.»

Antoine Augustin Cournot [1801-1877], Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, Paris, Boivin, Ed. François Mentré, 1934, t. II, p.353 (Livre VI : Révolution française ; ch. VI : ... La Révolution est-elle finie ?).

Enjeux

«Il y eut un temps où le mot progrès signifiait amélioration. Aujourd'hui il signifie changement, ce changement fût-il un recul manifeste.»

Henry de Montherlant
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Alberto Moravia a consacré à cette grave question un article définitif que bien des amateurs éclairés mais sans prétention appelaient depuis longtemps de leurs voeux. Il s'intitule «L'esthétique terroriste» (Harper's, juin 1987).
«À bas la tradition! Ce cri résume la terreur dans le domaine artistique: un autre cri, «Pas d'ennemi à gauche!», résume la terreur dans le domaine politique. La terreur n'admet pas qu'il puisse exister des choses telles que des valeurs stables. Elle est liée à l'idée de progrès; un progrès, il convient de le noter, qui n'a toutefois rien à voir avec le concept d'amélioration, mais seulement avec celui du déplacement dans le temps. Une idée, un homme, un groupe sont en progrès dans la mesure où ils sont en mouvement, et non dans la mesure où ils s'élèvent vers la perfection. Il s'agit donc d'un progrès au sens le plus étroit du terme: et il importe peu que ce progrès soit vers le bas ou vers le haut, vers la décadence ou vers une régénérescence.»
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«Derrière une découverte scientifique, il y a une multitude d'autres découvertes, et les récentes oblitèrent les anciennes, même si certaines, tel l'héliocentrisme, restent acquises irrévocablement. Par contre, s'il y a une multitude d'oeuvres derrière un chef-d'oeuvre, celui-ci n'annule pas les précédents. Le progrès existe en science et en technique, mais non en littérature, pas plus d'ailleurs qu'en art et en philosophie.»

Jean-Marie Domenach, Ce qu'il faut enseigner: pour un nouvel enseignement général dans le secondaire, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 116
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L'art ignore le progrès, la science se confond avec lui. C'est la thèse que défend Victor Hugo dans son Shakespeare. Après l'avoir lue, on a peine à imaginer que l'art (et tout ce qui dans la vie s'apparente à lui) puisse être encore possible dans un monde dominé par la religion du progrès. En voici un extrait. «La beauté de l'art, c'est de n'être pas susceptible de perfectionnement. Un chef-d’œuvre existe une fois pour toutes. Le premier poète qui arrive, arrive au sommet. Vous monterez après lui aussi haut, pas plus haut. Le chef-d’œuvre d'aujourd’hui sera le chef-d’œuvre de demain. Shakespeare change-t-il quelque chose à Sophocle? Cordélia dépasse-t-elle Antigone?... L'art n'est pas susceptible du progrès intérieur. De Phidias à Rembrandt, il y a marche et non progrès. Les fresques de la Chapelle Sixtine ne changent rien au métope du Parthénon. Les chefs-d’œuvre ont un niveau, le même pour tous, l'absolu. Cette quantité d'infini qui est dans l'art est extérieure au progrès... elle ne dépend d'aucun perfectionnement de l'avenir...

... La poésie ne peut décroître. Pourquoi? Parce qu'elle ne peut croître. Le génie est toujours dans son plein: toutes les pluies du ciel n'ajoutent pas une goutte à l'océan... Comme la mer, la poésie dit chaque jour tout ce qu'elle a à dire, puis elle recommence avec cette variété inépuisable qui n'appartient qu'à l'unité...

... La science est autre. Le relatif qui la gouverne s'y imprime, et cette série d'empreintes successives constitue la certitude mobile de l'homme. En science, des choses ont été chefs-d’œuvre et ne le sont plus. La machine de Marly a été chef-d’œuvre...

... La science cherche le mouvement perpétuel: elle l'a trouvé, c'est elle-même... Tout remue en elle, tout change, tout fait peau neuve... La science va sans cesse se raturant elle-même... Elle est l'asymptote de la vérité : elle approche sans cesse et ne touche jamais....

Hippocrate est dépassé; Archimède, Paracelse, Vésale, Copernic, Lavoisier sont dépassés. Pascal savant est dépassé, Pascal écrivain ne l'est pas...»

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