« Chaque navire est une création complète; ceux qui l’ont lancé sur les eaux l’ont doué d’un caractère, d’une individualité, de qualités et de défauts. D’autres apprendront à le connaître dans une intimité plus grande que celle de l’homme avec l’homme, à l’aimer d’un amour presque aussi grand que celui de l’homme pour la femme et souvent aussi aveugle dans son infatuation.
Un navire est une créature délicate; il faut tenir compte de ses idiosyncrasies, si vous voulez qu’il s’en tire à son honneur et au nôtre dans les vicissitudes de ce monde. Le bon navire s’affirme dans les épreuves; dans la tempête il révèle son courage, son agilité, l’exhibition constante de qualités d’élite… Il y a des navires qui voient certainement : s’il n’en était pas ainsi, je ne pourrais comprendre pourquoi certaine barque de 1000 tonnes – de ma connaissance – refusa un jour d’obéir à la barre et sauva de la sorte deux vaisseaux d’une collusion terrible et de plus la réputation d’un homme de mérite. Je connaissais ce navire depuis deux ans et jamais auparavant il n’avait rien fait de semblable. »
JOSEPH CONRAD, passage tiré de The Mirror of the Sea – The Fine Art. Traduction française (édition non précisée, vraisemblablement Mercure de France) citée par Joseph de Smet, « Joseph Conrad », Mercure de France, 1er mai 1912, p. 69.