Napoléon III
Élection présidentielle dans la foulée de la révolution de 1848
Il y avait deux candidats sérieux à la présidence de la république : le général Cavaignac, chef depuis le 24 juin du pouvoir exécutif, et le prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’Empereur, qui, deux fois de suite, avait été élu représentant par trois, puis par cinq départements. Le général Cavaignac, qu’honorait un noble caractère, eut 1 448 107 voix contre 5 434 226 données au prince (10 décembre).
Présidence de Louis-Napoléon Bonaparte
Charles-Louis-Napoléon, né aux Tuileries le 20 avril 1808, troisième fils d’Hortense Beauharnais et de Louis Bonaparte, roi de Hollande, avait pris part, en Italie, dès 1831, au mouvement insurrectionnel des Romagnes contre le Saint-Siège. À deux reprises, en 1836 et en 1840, il avait essayé sans succès, à Strasbourg et à Boulogne, de réveiller les sympathies pour le nom de Napoléon et la gloire de l’Empire. Après la dernière tentative, il fut condamné par la cour des pairs et enfermé au château de Ham, d’où il s’échappa en 1846. La révolution de Février 1848 ranima ses espérances. Une active propagande lui concilia de nombreux suffrages; les fautes des républicains, la puissance magique de son nom firent le reste.
Les ateliers nationaux, les déclamations des clubs, la bataille de juin et l’arrêt du commerce avaient irrité la bourgeoisie; l’impôt des 45 centimes ajoutés au principal des quatre contributions directes avait fait perdre la cause de la république auprès des paysans. L’élection du prince à la présidence fut une protestation contre le gouvernement que Paris avait, le 24 février, imposé à la France.
La constitution du 12 novembre 1848 n’était pas née viable pour le temps et dans les conditions où elle s’était produite. Les deux pouvoirs d’exécution et de délibération avaient une même origine, puisqu’ils procédaient tous deux du suffrage universel et qu’ils étaient renouvelés, l’un après trois, l’autre après quatre années d’exercice. Mais le Président avait cet avantage, qu’élu par des millions de suffrages, il semblait représenter la nation tout entière, tandis que, dans l’assemblée, on pouvait ne voir que des députés dont chacun représentait seulement quelques milliers de voix. En outre, tout en constituant un antagonisme inévitable, on avait prétendu subordonner l’exécutif au législatif. Ainsi, le Président nommait aux innombrables emplois de l’administration, négociait les traités et disposait de l’armée; mais il n’était pas rééligible; il n’avait ni le droit de prendre le commandement des troupes ni celui de dissoudre l’assemblée ou d’arrêter un projet de loi qui paraîtrait funeste. Il avait trop ou trop peu; et on lui avait donné, avec la tentation de reprendre les prérogatives habituelles de l’autorité publique, les moyens d’y parvenir.
La Président et l’Assemblée s’entendirent cependant tant qu’il s’agit de rétablir l’ordre et de comprimer les partis extrêmes. Ainsi le 29 janvier et le 13 juin 1849, l’armée de Paris, sous leur direction, triompha de l’émeute sans verser de sang. (…)
L’Assemblée législative (1849-1851)
La nouvelle Assemblée (28 mai 1849) comptait moins de républicains ou de socialistes et un plus grand nombre de membres réunis par la dénomination générale d’amis de l’ordre; le prince Louis-Napoléon semblait donc devoir s’entendre avec le pouvoir législatif ainsi constitué. Mais durant les vacances de l’Assemblée, en août et septembre 1849, plusieurs membres de la majorité, partisans de la branche aînée des Bourbons, allèrent en Allemagne porter leurs hommages au comte de Chambord; d’autres, partisans de la branche cadette, se rendirent en Angleterre, auprès des princes de la maison d’Orléans. De leur côté, les républicains exilés, les sociétés secrètes lançaient des diatribes qui se croisaient avec les manifestes monarchiques, et le Président voyageait à travers la France pour exercer sur les populations l’influence d’un pouvoir nouveau qui s’abritait sous le grand nom de Napoléon.
La session de 1850 fut marquée par la loi du 31 mai qui raya trois millions d’électeurs, en exigeant pour l’obtention d’un bulletin de vote, la preuve d’une résidence effective de trois années dans le canton électoral. Dans celle de 1851 des discussion irritantes prirent la place des affaires. Le Prince Président révoqua de ses fonctions le général Changarnier, chef de la garde nationale et de l’armée de Paris, qui avait eu des démêlés avec le ministre de la guerre. La Chambre, en revanche, refusa de s’entendre avec le Président sur le choix d’un ministère durable.
Par une coïncidence fâcheuse, les pouvoirs du Président et ceux de l’Assemblée se terminaient l’année suivante, 1852, à trois mois d’intervalle, et le suffrage universel devenu le suffrage restreint, allait être appelé presque en même temps à renouveler les deux pouvoirs de la république. Dans l’anxiété où cet avenir douteux jetait le pays, des pétitions qui atteignirent le chiffre de 1 500 000 signatures furent adressées à l’Assemblée pour la révision de la Constitution; quatre-vingts conseils généraux et un grand nombre de conseils d’arrondissements émirent le même vœu.
Mais l’Assemblée était profondément divisée. Beaucoup demandaient qu’on ne changeât rien au fond des choses; ceux-ci acceptaient la révision de l’article qui interdisait la réélection du président en fonctions; les autres voulaient une révision complète qui pût ouvrir la porte à la restauration de l’une ou de l’autre des trois monarchies déchues. Mais il fallait les trois quarts des voix pour que l’Assemblée pût procéder légalement à la révision et ce nombre ne fut pas obtenu. À ce trouble dans le monde officiel répondirent des désordres dans plusieurs départements : le Cher et la Nièvre furent mis en état de siège.
La Président demanda, le 4 novembre 1851, le rétablissement du suffrage universel par l’abrogation de la loi du 31 mai. L’Assemblée persistant à exclure du vote la foule nomade et flottante repoussa la proposition présidentielle; mais, en vue de contrebalancer l’avantage que le Prince venait de se donner auprès du peuple, la majorité essaya de s’emparer de l’armée en précisant le droit reconnu par la Constitution au Président de l’Assemblée de requérir directement les troupes, quand il croirait sa sûreté en péril (17 novembre). Ce projet fut aussi rejeté. Les jours suivants, d’irritants débats rendirent la situation encore plus difficile; quelques-uns parlaient d’enfermer le Prince à Vincennes. Mais une assemblée est toujours bien faible pour l’action. Dans celle-ci d’ailleurs aucun parti ne dominait : certaines propositions importantes ne passaient qu’à une voix de majorité. Le Prince, au contraire, avait pour lui l’armée, une partie de la population parisienne, presque toute la France fatiguée de ce désordre moral, et l’unité de commandement; il pouvait donc attendre l’attaque, il préféra la prévenir et la France compta une journée de plus.
La présidence pour dix ans
Le 2 décembre, au matin, les chefs des différents partis de l’Assemblée sont arrêtés chez eux, le palais de l’Assemblée est occupé par la force armée, quelques représentants qui s’étaient réunis dans une mairie sont saisis ou dispersés. En même temps un décret du Président déclare l’Assemblée dissoute, le suffrage universel rétabli, et propose au peuple les bases d’une nouvelle Constitution avec un chef responsable élu pour dix ans. « Je suis sorti de la légalité, disait le Président, pour rentrer dans le droit. » Le 3 et le 4, la résistance fut essayée au centre de Paris et sur les boulevards, mais sans l’appui de la population. L’armée, conduite avec décision, resta, après une courte lutte, maîtresse des rues, et quelques essais d’insurrection, sur différents points du territoire, furent réprimés. La mise en état de siège des départements où des troubles avaient éclaté, la transportation à Cayenne des malfaiteurs en rupture de ban, en Algérie de membres des sociétés secrètes, ramenèrent promptement le calme. Les partis comprirent qu’ils auraient affaire, cette fois, à un pouvoir résolu. Le peuple, par 7 437 216 votes affirmatifs contre 640 737 négatifs, accepta la Constitution qu’avait proposée le Président et lui conféra le pouvoir pour dix ans. Ainsi la France effrayée se donnait à Louis-Napoléon, et le grand courant de 1789 était encore une fois dévié. Pendant ces 60 années, au lieu d’avancer lentement et sûrement par progrès successifs, nous étions allés par sauts et par bonds, courant en quelques mois d’une extrémité à l’autre du monde politique; la veille, en république avec toutes les licences démagogiques; le lendemain sous la dictature, avec la grandeur mais aussi les dangers d’un gouvernement personnel.
La présidence décennale ne fut qu’un acheminement à l’Empire. La Constitution nouvelle, publiée le 14 janvier 1852, avait emprunté ses principes aux institutions du Consulat et de l’Empire, et sous des apparences libérales cachait l’omnipotence du Prince. Le chef de l’État était responsable et gouvernait avec des ministres qui dépendaient de lui seul. Deux assemblées étaient institutées : le Corps législatif, issu du suffrage universel, avait le vote de lois et de l’impôt; un Sénat, composé des illustrations du pays, veillait à la conservation et au développement de la Constitution. Des conseillers d’État, nommés comme les sénateurs par le Prince, préparaient les lois, les soutenaient devant le Corps législatif et examinaient les amendements. Cette Constitution n’enfermait pas cependant dans un cercle infranchissable les destinées de la nation. Elle laissait la voie ouverte à des améliorations qui pouvaient faire revenir les libertés un instant écartées.
Avant de mettre la Constitution en pratique, le Président, revêtu de la dictature, remania, pendant quatre mois, toute l’administration. Un de ses premiers actes fut la vente forcée des biens personnels de la maison d’Orléans avec retour au domaine de l’État de ceux qu’avant son avènement le roi Louis-Philippe avait cédés à ses enfants. La réorganisation de la garde nationale restreinte et mise à la disposition du pouvoir, la presse replacée sous la juridiction des tribunaux correctionnels, l’autorité départementale concentrée entre les mains des préfets, la nomination des maires revendiquée par le gouvernement, furent les principaux traits de ce remaniement, conçu pour fortifier le pouvoir.
L’ordre renaissant, le travail reprit son activité. Aussi le Président fut-il bien accueilli dans un voyage à travers les provinces de l’est et du midi. Parti de Strasbourg aux cris de Vive le Président! il arriva à Bordeaux aux cris de Vive l’Empereur! que le 16 octobre Paris lui-même répéta. Entraînée par le mouvement qui l’avait saisie depuis le premier vote en faveur de Napoléon en 1848, la nation croyait trouver le repos et l’ordre au sein d’une monarchie héréditaire, et la satisfaction de son orgueil, en face de l’étranger, dans la dynastie napoléonienne.
Le Second Empire (1852-1870)
Rétablissement de l’Empire (1852)
Un sénatus-consulte délibéré dans la première assemblée de l’État, proposa au peuple le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive; les comices populaires adoptèrent cette proposition les 21 et 22 novembre, par 7 839 552 votes affirmatifs contre 254 501 négatifs, et l’Empire fut solennellement proclamé le 2 décembre 1852. Ainsi la nation ratifiait le coup d’État du 2 décembre 1851, comme elle avait ratifié celui du 18 brumaire, et elle liait volontairement ses destinées à celles des Napoléons.
Le nouvel empereur prit le nom de Napoléon III. De son mariage avec Eugénie de Guzman, femme de grand cœur et de haute noblesse, qu’il choisit en dehors de tout calcul politique pour la faire asseoir sur le trône, naquit, le 16 mars 1856, le Prince impérial. L’Empire avait une immense popularité, l’Empereur n’en fit pas une royauté fainéante. Il se proposa deux buts : à l’intérieur, donner satisfaction aux besoins généraux du pays ainsi qu’aux intérêts populaires; au dehors, relever la situation politique de la France, qui était encore sous le coup des grands revers de 1815. Viendrait ensuite le développement progressif des libertés publiques par l’amélioration successive de la Constitution.
source: Victor Duruy, «Résumé des événements de 1815 à 1871», dans Histoire de France. Tome second. Paris, Hachette, 1879, p. 700-705
Consultation des 20 et 21 décembre 1851: un point de vue critique
« La Commission consultative, instituée par Louis-Napoléon le 3 décembre, fut chargée de dépouiller le scrutin de l’appel au peuple. Elle constata 7 439 216 oui et 646 737 non, 36 880 bulletins nuls. À Paris, il y avait eu 132 181 oui, 80 691 non, 3 200 bulletins nuls. 75 000 électeurs n’avaient pas voté.
Quelle était la valeur de ces chiffres? Que la violence et la fraude les aient notablement grossis, c’est ce dont on ne peut douter. Quelle surveillance avait-il été possible d’exercer sur les votes? Quels scrupules pouvait-on attendre de la part d’un grand nombre des hommes qui présidèrent aux élections? Les populations votèrent sous la terreur dans beaucoup de départements, où tout ce qui n’était pas en prison ou en fuite vota oui pour apaiser le vainqueur. L’immense majorité de dix contre un que proclama la Commission consultative fut donc évidemment factice; néanmoins, terreur à part, Louis-Napoléon eût obtenu une majorité beaucoup moindre, mais réelle encore, dans la plus grande partie de la France : le prestige napoléonien subsistant chez les uns; les autres, chose inévitable en pareil cas, cédant à la peur de l’inconnu, à la crainte d’une nouvelle crise après la crise. »
source: Henri Martin, Histoire de France depuis 1789 jusqu'à nos jours. Tome sixième. Paris, Furne , Jouvet, 1883, p. 73