Médecine prédictive

La médecine prédictive détermine par l'étude des gènes la probabilité de développer une maladie donnée. Le mot probabilité nous rappelle qu'il faut éviter de confondre la médecine prédictive avec une médecine de diagnostic.

Jacques Ruffié, dans Naissance de la médecine prédictive, précise qu'il s'agit d'envisager non pas des pathologies constituées mais une dialectique hérédité/environnement. Dans la médecine prédictive, ajoute Ruffié, il y a toujours une probabilité, un risque, signe d'une alternance entre le culturel et le biologique.

D'après François Steudler, Les enjeux sociaux de la médecine prédictive, Colloque génomique, génoéthique et anthropologie, Université de Montréal, novembre 2004.

Essentiel

Le supplice de Térésias

J’appartiens à une lignée où la maladie d'Alzeimer est fréquente. On sait que la présence, désormais décelable, du gène Apo E, version E4, accroît le risque d'avoir la maladie? Ai-je intérêt à subir le test qui me dira si je suis ou non porteur de ce gène? Sachant que cette information ne me donnera pas de moyens de prévenir le mal et que ma compagnie d'assurances pourra un jour accéder à la même information et y voir un prétexte pour hausser mes primes?

Saurons-nous résister à la tentation de prévoir notre état de santé futur avec l'espoir d'accroître nos chances de retarder la mauvaise échéance?

On imagine très bien sur une grande chaîne de télévision, une émission de téléréalité intitulée Extreme Screening, Dépistage total, calquée sur l'emission Extreme Makeover, qui fait la promotion du remodelage total. À l'émission Dépistage total, on inviterait des personnes rendues malheureuse par l'incertitude quant à leur santé future, mais n'ayant pas les moyens d'obtenir les tests qui leur permettraient de mieux connaître et maîtriser leur avenir. À la fin de l'émission on verrait ces personnes heureuses de savoir enfin à quoi s'en tenir et d'avoir tout au moins la possibilité de retarder certaines échéances par des choix appropriés. La mode qui serait ainsi lancée aurait deux effets immédiats: une hausse significative des coûts de la santé, une discrimination à l'endroit des pauvres et un accroissement de ce que l'on pourrait appeler le coefficient d'hypocondrie dans la société. La santé est déjà une obsession. Le dépistage systématique et généralisée rendu possible par la génomique ne peut qu'aggraver cette obsession.

L'antique sagesse du corps va-t-elle être élimininée par le savant calcul des risques génétiques? Les êtres humains vont-ils encore pouvoir s'en remettre à leur inconscient et à leur culture première pour vivre avec insouciance en attendant de mourir dans l'abandon, vont-ils plutôt, crispés à l'avance devant une mort qu'ils refusent, chercher la joie et le sens de leur vie «dans un calcul silencieux et froid. »

Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne
Immobile au seul rang que le départ assigne,
Plongé dans un calcul silencieux et froid. Vigny, La maison du berger

Enjeux

Il viendra peut-être le jour où, après avoir inséré votre carte génétique dans le guichet automatique, vous entendrez une voix dire : « Si vous voulez connaître votre risque cardiovasculaire faites le 1 ;pour savoir si vous êtes sujet à l hypercholestérolémie familiale faites le 2 ; pour le diabète, faites le 3 ».
Daniel Gaudet1


C'est la « médecine prédictive » qui est évoquée dans le scénario d'anticipation du docteur Daniel Gaudet, titulaire à l'Université de Montréal de la Chaire de recherche en génétique préventive et génomique communautaire. La médecine de la prédiction dont il est ici question place, en quelque sorte, les médecins dans la position même du devin Tirésias, figure par excellence de l'ambiguïté, qui a été rendu aveugle, selon le mythe antique, pour avoir vu Athéna nue, prenant son bain. Après s'être repentie de l'avoir ainsi puni, la déesse lui conféra, dit-on, le pouvoir de la double vue qui lui donna la connaissance de l'avenir et du destin des êtres humains. La capacité de voir ce qui doit arriver demain, plus tard dans la vie d'un homme ou d'une femme, Tirésias le découvrit, fut une punition plus terrible en­core que ne l'avait été la cécité, la divination lui permettant, en effet, d'entrevoir l'avenir sans jamais pouvoir le changer. « C'est une douleur d'être sage quand la sagesse ne profite pas », dira Tirésias à Oedipe.

En novembre 2001, les auteurs d'un numéro thématique du Journal of the American Medical Association (JAMA) annonçaient que la révolution de la génomique avait fait entrer la médecine dans un nouveau paradigme que les généticiens Craig Venter, Francis Collins et Victor McKusick baptisèrent du nom de « médecine néo-vésalienne2 ». Dans leur éditorial, ils avertissent les médecins que leur pratique clinique est appelée à changer radicalement, pour s'ajuster à l'ère postgénomique, précisant que le décryptage du génome marque par rapport à la médecine d'aujourd'hui une rupture analogue à celle que les planches anatomiques de La fabrique du corps humain de Vésale ont été pour la médecine médiévale. Ils écrivent : « it is likely that within the next decade physicians will wish to obtain a genotype in certain situations before writing a prescription, to ascertain whether the drug is right for the patients ». (Gilles Bibeau, Revue Argument,vol. 6, no 2, 2004. Voir aussi, du même auteur, sur le même sujet: Entre le moléculaire et le cellulaire, un espace pour la vie)

***


La question du traitement personnalisé

La génomique ne se limite pas à offrir des tests que chacun en principe est libre d'accepter ou de refuser. Elle offre aussi des moyens de faire un usage plus efficace et plus juste des médicaments, dans les salles de réanimation notamment. Dans ces cas, il est déjà impossible d'offrir certains médicaments coûteux à tous les malades qui pourraient en tirer profit. On sait désormais, grâce à la génomique, qu'un médicament peut-être plus ou moins efficace ou nuisible même, selon le profil génétique de la personne à qui il est destiné. Qui voudrait renoncer à faire un tel usage de la médecine prédictive? Au lieu de distribuer le droit de vie ou de mort arbitrairement les médecins peuvent enfin faire des choix éclairés. Mais est-ce bien ainsi que les choses se passeront? Voici l'opinion de Michel Hasselmann.

«Mais en admettant et en espérant que l'on puisse sélectionner les malades à traiter par des thérapeutiques onéreuses, une question vient alors à l'esprit : que doit-on proposer aux malades reconnus comme étant non-répondeurs potentiels ? Deux réponses éthiquement divergentes sont possibles. La première affirme qu'il faut traiter tout de même en considérant que le déterminisme génétique n'est qu'un aspect parmi d'autres par exemple de la réaction inflammatoire et du sepsis sévère, et qu'une prise en charge « conventionnelle » peut conduire au succès. L'autre au contraire, plaidera pour une limitation thérapeutique en estimant que si la réponse à l'agression n'est pas adaptée, le malade a peu de chance de guérir et que dans ce cas les coûts induits deviennent injustifiés.

Il est difficile de dire quelle sera la réponse apportée, mais si la société n'y prend garde, il est probable que la deuxième solution s'imposera. Cette prédiction pessimiste s'appuie sur le constat souvent vérifié que, dès lors qu'une méthode nouvelle donne l'illusion de faciliter la décision, elle passe rapidement dans la pratique faisant reculer lentement l'approche médicale classique. En peu de temps, elle se voit recommandée par les Sociétés Savantes et les Conférences de Consensus et fait rapidement autorité. Des exemples nombreux confirment la tendance donnant aux biotechnologies une supériorité croissante sur la réflexion, l'expérience et le sens clinique du praticien. Dans le domaine du diagnostic de l'insuffisance cardiaque gauche par exemple, le dosage du peptide natriurétique B (BNP) récemment proposé, tant à supplanter les informations apportées par l'anamnèse, l'auscultation pulmonaire, les dosages biologiques conventionnels et la radiographie du thorax 11. Par un seul dosage, le diagnostic pourrait être assuré et le traitement entrepris. Il en est de même, entre autres, pour la troponine-i dans le diagnostic de l'infarctus du myocarde, le scanner pour l'exploration des douleurs abdominales ou les suspicions d'embolie pulmonaire, l'échographie pour la recherche de thrombose. Il est édifiant également de voir comme les scores multiples et variés qui sont proposés pour quantifier, classer prédire l'avenir du malade passent facilement dans la pratique clinique. Ainsi, l'évolution des pratiques médicales tend à faire passer au premier rang les examens médicotechniques qui jusqu'alors étaient qualifiés de complémentaires. L'interrogatoire, l'examen clinique, la confrontation d'hypothèses diagnostiques ne sont plus guère d'actualité, remplacés par les données biologiques, l'imagerie, l'ordinateur et maintenant les marqueurs génétiques. Cette évolution laisse entrevoir un effacement de la personne humaine dans la prise en charge de sa propre santé et son remplacement par son image biotechnologique. Dans ce contexte, il est à craindre que la prédiction par un test génétique du caractère non-répondeur potentiel d'un malade entraînera chez le médecin un désinvestissement, un refus de poursuivre l'engagement et finalement un abandon peut être prématuré. La vision économique, justement rappelée par l'administration et les assurances sociales, prendra une place prépondérante dans la décision faisant admettre aux soignants que l'arrêt thérapeutique est la solution la plus humaine et la plus équitable car elle sauvegarde des ressources réputées rares. La génomique fonctionnelle aura alors contribué à la sélection de personnes dignes d'être traitées, laissant en chemin celles qui ne le sont pas.» (Michel Hasselmann, Génétique fonctionnelle en soins intensifs: aide thérapeutique et danger éthique. Texte de la conférence prononcée au colloque Génomique, génoéthique et anthropologie, Université de Montréal, novembre 2004)

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