Guignolée
Le gui, cette plante toujours verte, d'où vient le mot guignolée (Au gui l'an neuf!) était pour les Gaulois une plante sacrée. On trouve cette plante parasite notamment sur le chêne, autre plante sacrée. Éternellement vert sur un arbre qui, l'hiver, semble mort, le gui était pour les Gaulois un symbole de l'immortalité.
Le gui n'existe pas au Québec et l'arceuthobie, petite plante parasite sur les conifères, appelée Petit Gui, ne peut nous consoler de son absence. «L'une des plus infimes et des plus curieuses plantes phanérogames de notre flore, écrit Marie-Victorin, dans la Flore laurentienne. C'est notre seul Gui et notre seul représentant de la famille tropicale des Loranthacées.»
Un naturaliste du XIXe siècle, Paul Constantin, dont il est question dans un site instructif sur le gui, pose la question suivante: «Le cri: "Au Gui l'an neuf !" avec lequel autrefois, dans plusieurs de nos provinces, les pauvres frappaient aux portes des maisons pour demander la charité, la veille du nouvel an, et le mot "aiguillan, aguignettes", appliqué aux étrennes pour les enfants, sont-ils un souvenir de l'ancienne cérémonie gauloise et du prestige attaché au Gui ? On le croit communément, et non sans quelque vraisemblance.»
Lorsqu'il explique les divers degrés dans les rapports de voisinage dans les campagnes du Québec à la fin du XIXe siècle, le sociologue Léon Gérin évoque ainsi la guignolée: «La veille du jour de l'An, on fait une tournée spéciale. Les jeunes gens, par troupes, parcourent les rangs, se présentent à la porte de chaque maison et chantent les traditionnels versets de la guignolée, ou du gui l'an neu', avec leur saveur de druidisme antique. Les sacs s'emplissent de beignes, de tourtières et d'autres victuailles qui, le lendemain, égayeront la table du pauvre. En 1886, on a couru la guignolée dans le Trompesouris pour le vieux Dubé et la veuve Crochetière; dans l'Ormière, pour le père Lafontaine.»
Le passage d'où est tiré ce paragraphe mérite un moment d'attention:
«Dans les rapports du voisinage à Saint-Justin, il y avait lieu de distinguer trois degrés: le premier voisin, le rang, la paroisse. Ici, comme chez les familles quasi-communautaires de la vallée d'Ossau, dans le Béarn français, le premier voisin fait pour ainsi dire partie de la famille. À l'occasion des réunions de parents, aux repas de noces, toujours les deux voisins, celui de droite et celui de gauche, sont invités. Un habitant sur le point de marier sa fille, à qui le curé demandait s'il y aurait noces chez lui bientôt, répondit: Je ne fais pas de noces; de mon côté, j'invite seulement mon frère et mes deux voisins».
Entre voisins, on se rend force services, on se prête des instruments de travail, des voitures, des chevaux. On va chez lui veiller au chevet des malades; pour le voisin, on attelle son meilleur cheval et on va chercher le prêtre dont la présence est requise auprès d'un mourant ou d'un malade. Entre voisins, il se fait de fréquents échanges de coups de main, lesquels sont donnés à charge de revanche, mais dont il n'est pas tenu un compte rigoureux.
Chez les voisins encore, on va en corvée récréative, corvées de broyage du lin, de filage de la laine ou du lin, d'épluchage du blé d'Inde; corvées pour le levage de la charpente d'un bâtiment de ferme, lesquelles parfois réunissent un grand nombre d'auxiliaires bénévoles. Le vieux Dauphinais avait perdu son unique cheval; cinq ou six cultivateurs du voisinage s'entendirent et lui ensemencèrent ses guérets.
Chaque rang pourvoit à l'assistance de ses pauvres. À Saint-Justin, la mendicité était un fait d'occurrence très rare à l'époque où j'y poursuivais mes recherches. Quelques journaliers, pourtant, sur leurs vieux jours, y tombaient à la charge du public. C'était alors, au premier chef, à la famille du nécessiteux, à ceux de sa parenté, à voir à se charger de son entretien. Mais, à leur défaut, les habitants du rang devaient y pourvoir. Les indigents étaient logés et pourvus de toute chose au moyen de contributions volontaires. Tous les six mois à peu près, il s'organisait dans les divers rangs une collecte ou tournée au bénéfice des pauvres du rang. Les aumônes se faisaient en nature et les tournées étaient toujours fructueuses.
La veille du jour de l'An, on fait une tournée spéciale. Les jeunes gens, par troupes, parcourent les rangs, se présentent à la porte de chaque maison et chantent les traditionnels versets de la guignolée, ou du gui l'an neu', avec leur saveur de druidisme antique. Les sacs s'emplissent de beignes, de tourtières et d'autres victuailles qui, le lendemain, égayeront la table du pauvre. En 1886, on a couru la guignolée dans le Trompesouris pour le vieux Dubé et la veuve Crochetière; dans l'Ormière, pour le père Lafontaine.
D'une tournée à l'autre, les pauvres sont assistés privément. Les habitants de chaque rang ont à cœur que leurs pauvres soient assez bien pourvus et puissent se dispenser d'aller mendier dans les paroisses voisines. Chacun des grands rangs a sa fromagerie, son école, et aussi sa grande croix de bois peint, souvenir d'une retraite.
Les chemins qui desservent les divers rangs viennent tous par des routes transversales, ou des raccordements, aboutir au village, bâti à peu près au centre de la partie cultivée de la paroisse. Il ne tranche que faiblement sur la pleine campagne.
Une fromagerie-beurrerie, quelques ateliers d'artisans, quelques boutiques de marchands, l'église, le presbytère, la salle publique, les demeures du médecin, du notaire, de quelques rentiers ou rentières, c'est tout ce qu'il y avait de distinctif, à l'époque de mes premières observations entre 1886 et 1898. Et, sauf un petit couvent, il n'y avait pas beaucoup plus, lors de ma dernière visite en 1923.
Au-dessus de la solidarité du rang, il y avait à Saint-Justin la solidarité plus compréhensive de la paroisse, réservée pour des occasions exceptionnelles. Par exemple, le voisinage paroissial faisait fonction d'assurance mutuelle. Il était rare qu'un habitant de Saint-Justin assurât ses constructions contre l'incendie dans une compagnie ou société. Mais le feu consumait-il ses bâtiments, aussitôt les paroissiens se concertaient; les uns s'engageaient à fournir les pièces de la charpente, d'autres les planches, d'autres contribuaient à la main-d'œuvre, et en peu de temps notre homme se retrouvait sur pied, aussi bien pourvu qu'avant l'incendie."
Léon Gérin, , Le type économique et social des Canadiens, Montréal, Éditions de L'A. C.-F., 1937.