Gélinas Gratien

8 décembre 1909-16 mars 1999
« Créateur de Fridolin, stand-up comic avant Yvon Deschamps et les Juste pour rire, père de Bousille et de Ti-Coq, directeur de théâtre, acteur à la scène mais aussi à l’Union des artistes, Gratien Gélinas a tracé des sillons pour une ou deux générations d’artistes qui émergeront ensuite de la Grande Noirceur duplessiste. Marcel Dubé, Françoise Loranger et plus tard Michel Tremblay lui doivent d’avoir soulevé la chape d’un théâtre jusque-là très franco-français sur les scènes d’ici.

Né à Saint-Tite, en Mauricie, le 8 décembre 1909, Gélinas « monte » à Montréal pour le collège et s’oriente d’abord vers les Hautes Études commerciales. Initié à la vie artistique dès 1929 par le théâtre amateur – il fonde même sa troupe avec des anciens camarades du Collège de Montréal – Gratien Gélinas devient comédien professionnel en 1936.

L’année suivante, il crée à la radio son fameux personnage de Fridolin, gamin espiègle qui décortique avec candeur mais ironie la vie quotidienne de la société canadienne-française d’avant-guerre. Le succès, instantané, mène son personnage sur la scène du Monument national en 1938, et jusqu’en 1946, avec les revues annuelles Fridolinades.

Le pouvoir, l’argent, le Canada anglais, l’Église même - ô sacrilège - sont passés en revue (musicale) dans des sketches, monologues et chansons populaires. C’est Yvon Deschamps et Les unions, qu’ossa donne? bien avant leur temps, mais bien au goût de son temps à lui, Gélinas, qui utilise les genres populaires (revues musicales à la Ti-Zoune) pour éditorialiser sur le quotidien de ses contemporains.

Pendant cette période des Fridolinades, qui recouvre toute la Deuxième Guerre, Gélinas trouve encore le temps de fonder une compagnie de cinéma, Excelsior; il écrit et réalise en 1942 le film-parodie La Dame aux camélias, qui serait le premier film parlé de fiction en couleurs au Canada.

Après la guerre, il abandonne Fridolin pour un nouveau personnage, Ti-Coq, un orphelin qui a « adopté » une famille et qui s’éprend de la belle de la maison, avant de partir pour la guerre. Mais la belle n’attendra pas le « bâtard ».

Grand succès sur scène dès sa création, en 1948, Ti-Coq est ensuite adapté pour le cinéma en 1952, alors que la version anglaise de la pièce fera le tour du pays, et même une virée aux États-Unis. Ici, la pièce sera jouée sans interruption de septembre 1948 à juin 1949.

En 1957, Gélinas fonde la Comédie canadienne, qu’il dirigera jusqu’en 1972. Il affirme alors sa volonté de « fonder un mouvement de théâtre dont la fonction première est de contribuer, par la création d’oeuvres canadiennes, à l’établissement d’une identité nationale dans les arts de la scène ».

Jamais si bien servi que par lui-même, il crée en 1959 à la Comédie canadienne sa nouvelle pièce, Bousille et les justes, satire comique mais cruelle de la société québécoise paysanne, tricotée serrée, fourbe sous ses allures généreuses de catholiques. La Révolution tranquille pointe côté jardin.

Il participe à la fondation de l’École nationale de théâtre, en 1960, où des dizaines d’acteurs pourront acquérir une formation sans apprendre « sur le tas » ou avec le père Legault.

En 1966, il crée à « sa » Comédie canadienne Hier les enfants dansaient, dans laquelle une famille est divisée jusqu’à l’éclatement par les divergences politiques – les fils sont souverainistes, peut-être même terroristes, le père doit renoncer à une nomination au gouvernement.

Gélinas y suit toujours de près la société qui l’entoure - la première bombe du Front de libération du Québec avait éclaté en 1963. Et en 1969, Gélinas accepte - justement - une nomination au gouvernement fédéral : président du conseil de la toute nouvelle Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne, ancêtre de Téléfilm Canada, poste qu’il occupera pendant neuf ans.

Il publie en 1980 la « compilation » de ses Fridolinades, qui pourront ainsi être reprises en partie par des plus jeunes - le comédien Denis Bouchard l’a fait en 1990 chez Duceppe.

Et en 1986, il crée avec sa femme, Huguette Oligny, La Passion de Narcisse Mondoux, qu’ils joueront aussi bien en français qu’en anglais un peu partout au Canada et aux États-Unis.

On l’a vu aussi à l’écran dans la série Les Tisserands du pouvoir, Bonheur d’occasion et Agnes of God, en plus bien sûr de ses propres films.

Son statut de pionnier de la dramaturgie d’ici n’a pas échappé au Centre d’essai des auteurs dramatiques, qui a créé en 1991 le Fonds Gratien-Gélinas pour la promotion de la dramaturgie québécoise.

Le cinéaste Claude Godbout lui a consacré en 1982 un documentaire, Gratien Gélinas : le gagnant. »

"Le théâtre québécois perd son père", Bulletin Amérique, Assemblée parlementaire de la Francophonie, Région Amérique, vol. 9, no 2, novembre 1999

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À l'occasion des funérailles de Gratien Gélinas,
la ministre de la Culture et des Communications déplore la mort d'un géant

«Québec, le 19 mars 1999. - Au moment où tout le Québec et particulièrement la communauté artistique déplorele décès de monsieur Gratien Gélinas, la ministre de la Culture et des Communications et députée de Taschereau, madame Agnès Maltais, actuellement en mission en France, tient à rendre hommage à ce grand homme de théâtre, dont la vie fut entièrement consacrée à la création et à l'écriture. « Nous venons de perdre un géant, un des pères fondateurs de notre dramaturgie moderne. Tout au long de sa belle et longue carrière, Gratien Gélinas a profondément marqué le Québec. Nous nous souviendrons longtemps des personnages qu'il a créés, Fridolin, Ti-Coq, Bousille, et tant d'autres. Leurs visages, leurs histoires, leurs rires et leurs tragédies sont gravés à jamais dans les annales du théâtre québécois, dans notre imaginaire collectif, dans nos coeurs et dans nos mémoires », a déclaré la ministre.

Gratien Gélinas était en outre un formidable animateur, qui a encouragé et suscité l'émergence et la visibilité de plusieurs auteurs - tels Marcel Dubé, Françoise Loranger et Jacques Languirand - en les invitant à la Comédie-Canadienne, théâtre dont il a été le directeur pendant les belles années des débuts de la dramaturgie québécoise.

Le Québec a été enrichi par sa création, par la vérité de ses personnages et par sa grande générosité. « Nous sommes riches maintenant du précieux héritage qu'il nous lègue. L'homme tenace et inventif que fut Gratien Gélinas a toujours su garder le cap sur ses rêves. Nous lui en sommes profondément reconnaissants. Nous devrons dorénavant être privés de sa chaude présence, mais puisse-t-il être pour les générations à venir, le grand inspirateur qu'il a été de son vivant. Peut-être alors pourrons-nous mieux supporter la grande tristesse que nous éprouvons aujourd'hui », a-t-elle ajouté.»

Communiqué officiel du Ministère de la Culture et des Communications, 19 mars 1999

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