Mistral Frédéric

1830-1914
«Mistral d'abord, et c'est justice... J'ai connu l'ancienne maison où mourut sa mère, proche de celle qu'il habite aujourd'hui avec son incomparable compagne. Sur la cheminée du salon il y avait une petite tarasque, dont la tête mobile se balançait d'effrayante façon. L'arrivée de mon père était aussitôt le signal du répit, des promenades aux Baux, en Avignon, en Arles, à Vaucluse, à travers une région historique et légendaire dont les moindres pierres tirent leur gloire d'une strophe ou d'une allusion de Mireille, de Calendal, de Nerte, de La Reine Jeanne, du Poème du Rhône. C'est au cours de ces parties, je crois bien, que j'ai pris le goût des auberges du chemin, fertiles en surprises amusantes, en rencontres pittoresques et où la nourriture est souvent exquise. Mais qu'en faisaient-ils en quelques minutes, juste ciel, les “beaux diseurs” de l'accueillante auberge envahie par eux!... Un concert de chansons et de récits, auquel se joignaient bientôt, attirés par la sympathie irrésistible de la race, de la jeunesse et du langage, le patron, la patronne, les autres consommateurs, les filles de service. Aucune familiarité, aucune trivialité. Pour entendre Mistral réciter ses vers, de sa voix si nette et harmonieuse, la cuisinière, la poêle à la main, manquait de rater l'omelette, le verseur de tavel s'arrêtait, sa bouteille de rubis en l'air. Chez toi, Provence, la fraternité n'est pas un vain mot, grâce à ces cadres sociaux, à ces usages familiaux maintenus par une longue tradition ensoleillée!

Il m'est impossible de passer par Saint-Rémy, ou de suivre la route qui va des Baux à Fontvieille, sans revoir aussitôt cette petite troupe glorieuse, aujourd'hui décimée par la mort. Les années ont passé sur Mistral, sans modifier son regard ni sa voix, son port si noble ni son sourire. N'ayant jamais quitté Maillane, il est dans le fameux village comme dans sa maison; toutes les pierres et tous les tournants y sont en quelque sorte humanisés par sa présence. Son ombre projetée est partout. On l'a comparé souvent à Goethe. Il est lui-même. Ce qui frappe le plus, dans ses propos, c'est l'harmonie des plans, la perspective qu'il a dans l'esprit, comme un descendant d'aïeux qui ont longtemps contemplé le ciel étoilé et la plaine. Tel il était il y a trente ans, et plus loin encore dans mon souvenir, jugeant équitablement les hommes et les choses, célébrant son pays et poursuivant avec méthode son plan de reconstruction provinciale, dont ses amis eux-mêmes n'apercevaient peut-être pas toute l'ampleur. Il est clair, limpide comme la source, mais profond, et sa bonhomie n'exclut pas la méfiance.

À Paris, on le discutait, on harcelait mon père: “Pourquoi n'écrit-il pas en français, votre Mistral? Relever la langue d'oc, un patois, c'est une chimère, c'est un rêve... Daudet, votre amitié vous aveugle sur l'importance de ce mouvement.” On a vu depuis qu'au contraire l’œuvre de Mistral était et est des moins chimériques, des plus utiles qui soient. Le maître de Maillane est pour la moitié dans la superbe résistance de l’Alsace-Lorraine. C'est aux armes forgées par lui, à ses méthodes, à ses principes qu'ont eu recours les mainteneurs malgré tout de l'âme héroïque de l'Alsace, de ses coutumes, de ses aspirations. Poète et le plus doué de tous, Hugo compris, sans comparaison possible, Mistral connaît en outre les secrets de la cité et ceux du verbe, les moyens d'étayer la cité par le verbe et réciproquement. C'est un sorcier, au sens étymologique du mot, un trouveur d'ondes jaillissantes. Il ne frappe pas en vain le roc stérile. Si vous voulez mon avis, Mistral est bien grand, mais l'avenir le fera plus grand encore. Dans les abris posés et chantés par lui, les nations opprimées iront, au cours des âges, chercher un refuge contre la force brutale. Dictionnaire, poèmes, drames, propagande, fêtes commémoratives, costumes, allocutions, exemple de la longue vie passée au même endroit, tombeau, tout cela se complète et défie le temps et l’oubli.»

Léon Daudet, Souvenirs et polémiques (reproduit à partir de l'édition de Paris, Robert Laffont, collection «Bouquins», 1993, p. 36-37)

Articles


Le poète Mistral

Alphonse Daudet
Dimanche dernier, en me levant, j'ai cru me réveiller rue du Faubourg-Montmartre. Il pleuvait, le ciel était gris, le moulin triste. J'ai eu peur de passer chez moi cette froide journée de pluie, et tout de suite l'envie m'est venue d'aller me ré



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