Brunelleschi Filippo
«Brunelleschi, comme plus tard Michel-Ange en sculpture et Raphaël en peinture, est placé aux confins de deux âges. Il marque la transition entre l'ère ancienne et l'ère nouvelle, et dans son œuvre on trouve le legs du passé à côté des idées de l'avenir. Brunelleschi, comme Michel-Ange et Raphaël, avant d'être un novateur, a été le disciple d'une ancienne école.
Dans ces études, où nous nous attachons à montrer combien fut peu importante l'action de l'art antique sur l'art italien au cours du XIVe siècle et au début du XVe, on comprend combien il est intéressant de montrer que la coupole du dôme de Florence n'appartient en rien à l'influence de l'antiquité, mais dérive tout entière de l'art du moyen âge. En effet, dans cette œuvre surprenante, qu'on ne saurait trop admirer, le rôle de Brunelleschi fut limité surtout à l'exécution matérielle et aux formes de détail de la coupole. La conception première ne lui appartient pas. Elle est l'œuvre du XIVe siècle. Lorsque Brunelleschi apparaît, les plans de la cathédrale sont faits depuis plus d'un siècle, les nefs sont couvertes, les grands piliers destinés à recevoir la coupole ont leur forme et leur épaisseur et les pendentifs sont déjà couronnés par le tambour octogonal. Pour Brunelleschi, il ne s'agit plus que de dresser la coupole. Certes, la tâche était de nature à faire la gloire d'un architecte ; nais enfin, il faut noter qu'il n'y avait là qu'un rôle de constructeur à remplir. Remarquons en outre que, dans la forme donnée à la coupole, Brunelleschi ne songe pas à s'inspirer des formes de l'architecture romaine, mais que, tout au contraire, dans la part d'invention qui lui revient, il se montre un fidèle disciple du moyen âge. S'il put élever la coupole sans échafaudage, ce qui parait avoir été un de ses principaux mérites, c'est pour avoir donné à cette coupole les formes de l'arc brisé. De toute façon, il paraît difficile de faire une part quelconque à l'influence de l'art romain, soit dans la conception, soit dans la construction de cette coupole.
Donc, si l'on peut dire avec juste raison que l'architecture de la Renaissance date de Brunelleschi, il ne faut pas classer la coupole de Sainte-Marie-des-Fleurs parmi les couvres de la Renaissance. La Renaissance ne date que des œuvres de Brunelleschi postérieures à la coupole : l'église de Saint-Laurent et la chapelle des Pazzi, commencées vers 1430.
M. Paolo Fontana, dans un remarquable article, Il Brunelleschi e l'architectura classica, publié en 1893 dans l'Archivio storico dell' Arte a fait remarquer que la réforme de Brunelleschi consiste moins à reproduire les monuments de l'antiquité païenne que les monuments chrétiens du moyen âge. Les œuvres de Brunelleschi dérivent directement de San Miniato, des Saints-Apôtres et du Baptistère de Florence. Brunelleschi exerça sur l'art italien une influence bienfaisante, parce qu'il renonça à l'architecture gothique que le génie italien ne parvenait pas à s'assimiler et parce qu'il remit l'architecture italienne dans sa vraie voie, dans cette voie qu'elle avait abandonnée au XIIIe siècle, pour suivre, sans grand profit, les nouveautés des peuples du Nord.»
MARCEL REYMOND, «La sculpture florentine au XVe siècle: Brunelleschi», Gazette des beaux-arts, Paris, 1er janvier 1897, 3e période, tome 17
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Michel-Ange inspiré par Brunelleschi
«Dans une lettre écrite à son neveu, Léonardo, en juillet 1547, la première année de sa nomination, il lui demande de faire prendre à «Messer Giovan Francesco la hauteur de la coupole de Sainte-Marie-des-Fleurs depuis le commencement de la lanterne jusqu'au sol, et aussi la hauteur de toute la lanterne». Lorsqu'on lui avait conseillé de faire sa lanterne de la chapelle des Médicis, à San-Lorenzo de Florence, très différente de celle de Brunelleschi, il avait dit: «On peut s'en écarter, mais non faire mieux.» Il est curieux de le voir, dès qu'il est chargé de Saint-Pierre, avoir de suite la pensée de la coupole et en même temps se préoccuper de celle de Brunelleschi. On dit trop souvent qu'il a pris pour modèle la coupole du Panthéon d'Agrippa. Il a bien plus imité celle de Florence. D'un côté, celle-ci est la première qui ait eu deux calottes concentriques, et Michel-Ange a répété cette disposition. De l'autre, les dimensions sont très peu différentes: à partir du sol la coupole de Rome n'est que très peu plus haute, mais le diamètre n'est pas aussi grand, celle de Florence ayant quatre brasses de plus. Des analogies aussi grandes accusent suffisamment, croyons-nous, que c'est Brunelleschi qui a été là le maître et le modèle de Michel-Ange.»
ANATOLE DE MONTAIGLON, «Vie de Michel-Ange», Gazette des beaux-arts, Paris, 1876, série 2, tome 13