Dualisme

Qu'est-ce que le dualisme? Les philosophes que l'on peut qualifier de dualistes méritent tous le reproche qu'Aristote adressait à Platon: «ils séparent.» Ils séparent tantôt la lumière et l'obscurité comme Zoroastre, tantôt l'âme et le le corps comme Platon, tantôt l'esprit et la matière comme les gnostiques, tantôt la pensée et l'étendue comme Descartes. Il y a autant de dualismes que d'expériences vraiment, personnelles de la rupture. On peut toutefois dégager quatre grandes formes de dualisme :

a) Un dualisme transcendantal qui consiste à repousser le monde dans sa totalité hors du lieu divin (par exemple, le plérôme et le monde d'en-bas chez les gnostiques).

b) Un dualisme métaphysique qui admet deux principes premiers et irréductibles des choses ( par exemple, l'Idée ou le Bien et la Matière chez Platon, la Lumière et les Ténèbres, chez Mani).

c) Un dualisme moral qui consiste à séparer la nature et la grâce comme l'ont fait saint Augustin et Pascal, ou la liberté et les passions, comme l'a fait Descartes.

d) Un dualisme psychologique qui consiste à séparer la volonté de l'entendement, comme l'a fait Schopenhauer, ou l'intuition de l'intelligence, comme l'a fait Bergson.

Pour établir avec précision la nature des rapports que ces diverses formes de dualismes entretiennent entre elles, il faudrait avoir la subtilité d'esprit de l'auteur du Sophiste! Qu'il nous soit cependant permis de faire remarquer qu'entre le dualisme de Bergson et celui de Mani, ou entre celui de Schopenhauer et celui des gnostiques, il ne peut y avoir que des rapports très ténus, mais que par contre, les trois premières formes, ou tout au moins les deux premières sont unies par des liens très étroits. Le fait que saint Augustin soit parti du manichéisme, et surtout le fait que l'on retrouve dans Platon des traces de dualisme moral aussi bien que des traces de dualisme transcendantal et de dualisme métaphysique, suffirait à justifier ce dernier point de vue.

L'exemple de Platon nous permet également de supposer la possibilité d'un itinéraire intérieur partant du dualisme de type cartésien pour aboutir au dualisme transcendantal et par-delà ce dualisme, à une unité ineffable. Il n'est pas impossible que Simone Weil ait suivi un tel itinéraire.

Il ne faut évidemment pas songer à établir une filiation historique entre les divers dualismes que nous venons de distinguer et une souche commune localisable dans le temps, qui serait, disons, le platonisme. D'abord, Platon n'est pas le premier dualiste, il n'est venu qu'achever une longue tradition religieuse et philosophique qui comportait déjà la plupart des grands thèmes dualistes. Ensuite, rien ne nous permet de parler d'une influence de Platon sur un Bergson ou même sur un Descartes ou un Pascal.

Il y a bien pourtant une souche commune à toutes les pensées dualistes mais il serait inutile de chercher à la localiser dans le temps. Elle n'est pas autre chose que la nature humaine qui permet la même expérience d'une même rupture fondamentale. Quand nous parlons de tradition dualiste, nous désignons donc beaucoup plus un ensemble de pensées qui convergent toutes vers un centre situé hors du temps, qu'une même famille d'esprit dont nous pourrions établir la généalogie.

Nous distinguerons quand même trois grands moments dans la tradition dualiste: d'abord le platonisme, ensuite les religions dualistes, qui constituent ce que nous appellerons le dualisme ancien; et enfin, un dualisme moderne commençant avec Descartes et trouvant son ultime expression dans Alain.

Essentiel

«Il ne faut pas faire l'un trop vite.» Platon

Enjeux

L'esprit humain tend vers l'unité. C'est pourquoi le dualisme, lorsqu'il est érigé en doctrine, a souventdes effets négatifs, ce qui aide à comprendre que l'on qualifie de manichéenne, avec une nuance de mépris, toute personne qui oppose radicalement le bien au mal, ou l'esprit au corps.

Mais on a commis plus de crimes au nom de l'unité. Il est dangereux de faire l'un trop vite. On oublie alors la contradiction, pour accéder à une fausse unité, à une unité imaginaire dont on s'enivre jusqu'à l'intolérance, tandis que dans la vraie unité, qui est indicible, on garde de la contradiction une conscience si vive qu'on en est déchiré jusqu'à la compassion.

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