Couardise

Le couard selon Théophraste.

La couardise, sans nul doute, aurait assez bien l'air d'une défaillance craintive de l'âme, et le couard est du genre à prétendre, en mer, que les caps sont des barques de pirates; si la houle se lève, il demande s'il se trouve à bord quelqu'un qui n'a pas été initié; la tête levée, il questionne le pilote : est-on à mi-chemin ? que pense-t-il de l'état du ciel ? Il dit au passager assis auprès de lui qu'il se trouve effrayé du fait d'un rêve, enlève sa tunique pour la donner à son esclave et demande qu'on le conduise à terre.
Au cours d'une expédition militaire, alors que l'infanterie se porte en renfort, il appelle tout le monde de son côté, enjoignant qu'on se tienne près de lui et que, tout d'abord, on observe les alentours; il dit que le tout est de discerner lesquels en fait sont nos ennemis...
Dès qu'il entend des cris et voit tomber des hommes, il dit à ceux qui l'entourent qu'il a oublié, dans sa hâte, de prendre son épée; il court à sa tente, envoie son esclave au dehors en lui ordonnant d'observer les positions de l'ennemi... et cache l'épée sous son oreiller... pour passer ensuite beaucoup de temps à paraître la chercher !
Voyant, dans sa tente, qu'on ramène un de ses amis blessés, il se précipite, l'exhorte au courage, le soulève et le transporte. Puis il soigne cet homme, éponge le sang et, assis auprès de lui, chasse les mouches de sa blessure : bref, tout plutôt que combattre l'ennemi ! Et lorsque le trompette a sonné la charge, le gaillard dit, assis dans sa tente : «Va-t-en au diable ! C'est qu'à sonner sans arrêt, il ne laissera pas le pauvre homme prendre de repos !»
Et plein d'un sang qui provient de la blessure d'autrui, il rencontre ceux qui reviennent du combat; il raconte, comme s'il avait couru un danger :«J'ai sauvé un de nos amis !», et introduit auprès du gisant les hommes de son dème, ceux de sa tribu, tout en expliquant à chacun de ceux-ci comment lui-même a, de ses mains, rapporté le blessé dans la tente.

THÉOPHRASTE, Les Caractères (20 à 30), Nouvelle traduction annotée
par Marie-Paule LOICQ-BERGER (janvier 2002),  Chef de travaux honoraire de l'Université de Liège.

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