Conversion
«Molière a immortalisé le faux converti dans Tartuffe. Son trait dominant, l'hypocrisie, d'un mot grec signifiant jouer un rôle, mimer. Tartuffe effectivement se couvre du masque de la vertu pour mener à bien son entreprise de séduction d'une femme mariée dont il tente de duper le mari. Ce qui nous amène au premier trait du converti authentique : la transparence de ses pensées et de sa vie. Et immédiatement au second, la modestie, née du sentiment de son indignité devant la beauté de ce qui lui est révélé. Dans ce sens, certains mystiques apparaissent comme se convertissant à chaque instant de leur vie tant ils sont éblouis par les vérités qu'ils contemplent. Thérèse d'Avila a de multiples témoignages à ce sujet. «Ces vérités me sont montrées avec tant de clarté, écrit-elle dans sa biographie, que les choses du monde ne me semblent que folie.»
Mais la conversion peut aussi ressembler au coup de foudre. Cette rencontre m'a foudroyé, m'a renversé, m'a bouleversé, c'est par des allusions aux secousses terrestres que les humains ont tenté de décrire le phénomène par lequel la ligne droite et rassurante de la vie quotidienne est soudainement brisée et transformée par l'amour.
C'est par son analogie avec le coup de foudre humain qu'on peut tenter d'expliquer la conversion authentique qui est invariablement une conversion, non pas à une personne, mais à une vérité transcendantale, à l'amour de Dieu,. Comme dans le cas de l'amour humain, voilà que l'univers se concentre autour de l'irruption de l'être aimé dans la vie du converti. Le regard qu'il portait jusque-là sur le monde et sur lui-même est transformé; l'essentiel ou ce qui lui apparaissait comme tel devient accessoire. Tout est retourné, tourné à l'envers comme la terre sous les labours. Tout s'éclaire sous un autre jour, d'une autre lumière. Le converti a l'impression de toucher à quelque chose qui l'attendait secrètement quelque part : la clef de la vie, de l'amour et de la mort, le dévoilement du secret de Dieu. Et même si la vie atténue cette impression, elle ne la détruit pas. D'où le troisième trait de la conversion : le plus mystérieux. Elle ne porte pas sur un autre être humain, comme dans le cas des sectes où il y a captation de l'individu par le fondateur, le preacher, elle ne porte pas non plus sur un groupe constitué, même si le converti peut se tourner vers une grande religion existante. Elle est dans son essence même authentique, seulement si elle est intérieure, si elle est un contact avec le surnaturel et si elle s'exprime par l'amour et la compassion dans la transparence du moi. La conversion de Simone Weil, cette philosophe de génie, née dans une famille juive athée, est d'autant plus frappante qu'elle a été le fruit d'une constante recherche de la vérité à travers l'attention au réel : "Si on tourne l'intelligence vers le bien, il est impossible que peu à peu toute l'âme n'y soit pas attirée malgré elle…Non pas comprendre des choses nouvelles, mais parvenir à force de patience, d'effort et de méthode à comprendre les vérités évidentes avec tout soi-même".»
HÉLÈNE LABERGE, "La conversion", L'Agora, vol. 9, no 4