Essentiel
"Les modèles linéaires se caractérisent par une constante recherche de l'équilibre, comme en témoignent les noms que l'on donne, dans le jargon économique, aux «fondamentales»: l'équilibre de l'offre et de la demande, la balance des transactions courantes, etc. Dans l'approche linéaire, pour rompre l'équilibre ou déranger la stabilité d'un système, il faut agir de l'«extérieur». Ainsi, la première loi de
Newton stipule qu'on doit exercer une action (force) sur un système pour modifier son mouvement. Il en est de même pour les cycles économiques qui ne peuvent être perturbés que par des pressions exogènes.
À toute action correspond une réaction. Les mêmes causes produisent les mêmes effets et des causes voisines produisent des effets voisins. Ce principe de causalité est au coeur de l'approche linéaire. C'est lui qui rend les systèmes prévisibles. Si on connaît les conditions initiales, le «passé» d'un système, et si on comprend bien sa dynamique (les lois économiques), il est relativement facile de prévoir son état futur. Il est alors possible d'exercer une action (ex: baisse des taux d'intérêt) pour obtenir un effet désiré. […]
Nous verrons maintenant qu'avec l'approche non linéaire, comme dirait Ilya Prigogine, c'est «la fin des certitudes».
Un système fermé est un système isolé, constitué uniquement de quelques corps en interaction. Nous avons vu que les scientifiques classiques étaient convaincus que toute perturbation d'un tel système ne pouvait provenir que de facteurs extérieurs. Pourtant, dès la fin du XIXe siècle, le brillant mathématicien français Henri Poincaré fit une découverte déconcertante: dans un système fermé, si l'on passe simplement de deux à trois corps (par exemple, en tenant compte de l'influence du Soleil sur le système Terre-Lune), les équations de Newton deviennent insolubles! Pour des raisons mathématiques, leur solution nécessite une série d'approximations pour «cerner» une réponse. Jusqu'à Poincaré, on avait toujours considéré le chaos comme une infection provenant de l'extérieur; désormais, il apparaissait qu'un système enfermé dans une boîte étanche pouvait développer ses propres instabilités, à cause des rétroactions entre ses composantes. Poincaré est le génial précurseur des théoriciens du chaos. […]
Nous avons vu que la rétroaction négative opère une régulation sur un système. Mais il existe aussi une rétroaction positive qui, elle, effectue plutôt une amplification. Cette rétroaction non linéaire est une des clés de la compréhension du comportement des systèmes complexes. Des choses sans importance peuvent avoir une influence immense dans un univers non linéaire, car des petits effets peuvent être amplifiés par une boucle de rétroaction positive (les causes voisines ne produisent pas nécessairement des effets voisins). […]
Le comportement des systèmes complexes se caractérise donc par sa non-linéarité, son instabilité, sa sensibilité aux conditions initiales et son imprévisibilité. Alors, «plutôt que de tenter de déterminer toutes les chaînes de causalité, le créateur de modèles (non linéaires) recherche les noeuds liant des boucles de rétroaction et tente de capturer le plus grand nombre possible de boucles importantes dans l'"image" du système. Plutôt que de façonner le modèle pour donner une prévision d'événements futurs ou pour exercer une sorte de contrôle central, le créateur de modèles non linéaires se contente de perturber le modèle, testant différentes variables afin d'en apprendre plus sur les points critiques du système et sur son homéostase (résistance aux changements). Il ne tente pas de contrôler le système complexe en le quantifiant et en maîtrisant sa causalité; il désire augmenter ses "intuitions" en ce qui concerne le fonctionnement du système, afin de pouvoir interagir avec lui de manière plus harmonieuse.» (*)"
(*) J. Briggs/F.D. Peat,
Un miroir turbulent, Paris, InterÉditions, 1991
source: Andrée Mathieu,
La complexité de l'économie mondiale