Thom Adam

Le 30 août 1902-Londres le 21 février 1890

Adam Thom, ou l’effroyable prophète fondateur du Canada

par Marc Chevrier, 10 juin 2017

À une époque où le moindre 35e ou 375e anniversaire d’une fondation est souligné avec autant de pompe qu’un 50e ou un 400e anniversaire, la proclamation et la commémoration de la réforme constitutionnelle du 17 avril 1982 de Pierre-Elliot Trudeau ne pouvait donc ni passer inaperçue, ni cesser de susciter la controverse. Dans la page Idées du quotidien Le Devoir, des juristes et des intellectuels éminents ont rappelé l’outrage fait au Québec, alors qu’un contradicteur en a minimisé la réalité, au motif que depuis les années 1960, on s’était rallié, du moins dans les cercles juridiques, à l’idée de confier aux juges la garde des libertés fondamentales, ainsi que l’illustre l’adoption de la Charte des droits et libertés de la personne par l’Assemblée nationale du Québec en 1975. Ces deux textes opposés par leur appréciation de la réforme de 1982 et de sa Charte canadienne des droits ont néanmoins quelque chose en commun : un même horizon historique, à savoir que pour comprendre la genèse de cette réforme contestée, il suffit de remonter aux intentions de Pierre-Elliott Trudeau et à celles de ceux qui ont pensé comme lui depuis le début de la « Révolution tranquille ». Mais que la genèse intellectuelle de cette réforme pût tirer son origine de beaucoup plus loin, du XIXe siècle, et même d’un obscur personnage, à peine étudié des historiens, dont la prose fulminante crache une hostilité sans mesure contre les Français du Canada, cela semble impensable.

C’est le sujet de l’article « La rançon de Brennus », publié dans la dernière livraison de la revue Argument qui consacre au 150e anniversaire de la « Confédération canadienne » plusieurs autres articles qui sauront aussi intéresser un public avisé. Le titre énigmatique de cet article renvoie au sac de Rome par les Gaulois dirigés par Brennus en 390 av. J.-C. et révèle le goût mégalomaniaque de son auteur, l’Écossais Adam Thom, pour les comparaisons avec les personnages et l’histoire de la Rome antique. Ce docteur en droit, qui séjourna au Bas-Canada pendant les années 1830 et qui se joignit à Lord Durham pour écrire son rapport, a laissé aussi une série de lettres publiées dans le Montreal Herald, regroupées ensuite sous le titre de « Anti-Gallic Letters », Lettres anti-gauloises, que l’historien François Deschamps vient de rééditer dans leur version originale anglaise, sous le titre The Prophetic Anti-Gallic Letters : Adam Thom and the hiddens roots of the Dominion of Canada. En lisant la prose enragée de Thom, on découvre un polémiste, un théoricien de la domination et un stratège, qui désespère de voir les autorités britanniques de son temps faire des concessions honteuses et impies aux chefs des Patriotes renégats et maîtres-chanteurs. Il se répand en prophéties : seconde conquête imminente du Bas-Canada, de nouveaux arrangements institutionnels qui donneront au Canada britannique la suprématie sur le commerce, la navigation et les grandes prérogatives de la souveraineté, une histoire nationale qui sera écrite un jour avec des « sentiments anglais » et « d’une plume anglaise », et même l’esquisse de la réforme constitutionnelle de 1982, soit introduire le contrôle judiciaire des lois pour empêcher l’émergence d’un « État français » en Amérique. Bref, tout est là dans ces Lettres anti-gauloises, le Canada de 1840, de 1867, de 1982, et même celui de Justin Trudeau… En prenant le pseudonyme de Camille, le « dictateur » patricien qui avait repoussé Brennus hors du Capitole romain, Thom se prenait ainsi vraiment pour un fondateur d’empire.

 

Marc Chevrier

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