Vikings

"Pendant la période qui s'étend de l'an 800 à l'an 1050 après J.C., les peuples du Nord firent leur entrée spectaculaire sur la scène européenne. Ils la prirent d'assaut, terrorisant des sociétés déjà bien organisées qui étaient, certes, habituées à la guerre, mais non à la foudroyante tactique des Vikings. Cependant, les rapports entre la Scandinavie et le reste de l'Europe n'avaient rien de nouveau. Les fouilles archéologiques montrent que le commerce et les contacts culturels remontent à plusieurs millénaires avant J.-C. Néanmoins, les pays nordiques constituaient un avant-poste éloigné ne présentant qu'un intérêt politique et économique limité pour le reste de l'Europe.

Cette situation se modifie peu avant l'an 800. En 793, le monastère de Lindisfarne, sur la côte est de l'Angleterre, est dévasté par des pirates étrangers; c'est de cette même époque que datent les premiers récits racontant de semblables expéditions en d'autres lieux en Europe. Les chroniques et les contes des deux siècles suivants contiennent d'inquiétants rapports sur les Vikings. Des bateaux, en flottes plus ou moins nombreuses, attaquaient toutes les côtes européennes. Les Vikings remontèrent les fleuves de France et d'Espagne, se rendirent maîtres de la plus grande partie du territoire irlandais, de vastes étendues de terres en Angleterre, prirent le contrôle des vallées fluviales russes et de la côte balte. On a retrouvé des récits d'expéditions en Méditerranée, et, à l'est, jusqu'à la mer Caspienne. Prenant Kiev comme point de départ, les hommes du Nord furent assez téméraires pour tenter d'attaquer Constantinople, la capitale de l'Empire byzantin. Finalement, les actes de pillage firent place à la colonisation. Les noms de lieux sont révélateurs de l'importance de la population viking dans le nord de l'Angleterre, tout autour de York. Plus loin, au sud, il y avait un vaste territoire qu'on appelait Danelaw. Les îles du nord de l'Ecosse virent se développer une population mi-celte mi-nordique et des sociétés prospères s'établirent en Islande et au Groenland.

L'expansion vers l'ouest s'acheva par une tentative infructueuse de colonisation en Amérique du Nord. Vers l'an 1000, des populations venues d'Islande et du Groenland, navigant vers l'ouest, découvrirent des terres, et les sagas nous parlent de plusieurs expéditions dont certaines étaient entreprises dans le but d'y installer des colonies. Mais des conflits s'élevèrent entre les colons et les Indiens autochtones, ou avec les Esquimaux, et les nouveaux venus durent renoncer à leurs projets.

Les recherches faites pour identifier les lieux de débarquement des hommes du Nord ont conduit à des endroits aussi différents que le Labrador ou Manhattan, selon les diverses interprétations des sagas islandaises. Dans les années 1960, Anne-Stine et Helge Ingstad ont trouvé le site d'une des premièrs domaines ruraux établis sur la côte au nord du Newfoundland. Les fouilles montrèrent qu'il s'agissait d'une construction analogue à celles que l'on trouve en Islande et au Groenland. En outre des objets de fabrication nordique datant de l'an 1000 environ y furent mis au jour. Ces objets avaient-ils appartenu à ces colonies dont parlaient les sagas ou provenaient-ils d'autres expéditions dont nous ne savons rien? Il est impossible de répondre à cette question. Ces fouilles prouvent cependant que, comme le racontent les sagas islandaises, des navigateurs nordiques ont réellement atteint le nord du continent américain aux environs de l'an 1000.

Pauvreté et surpopulation

Quelles sont donc les raisons de cette expansion guerrière en l'espace de quelques générations? Des états stables tels que la France et les royaumes anglo-saxons en Angleterre semblent n'avoir pas résisté longtemps aux épées des assaillants. Comme on pouvait s'y attendre, leur description, transmise par les chroniques de l'époque, est déformée ; les Vikings nous sont présentés comme des voleurs et d'abominables bandits. Ce qu'ils étaient réellement....Mais ils devaient avoir aussi d'autres traits de caractère. Certains de leurs chefs ont très certainement été des administrateurs extrêmement habiles. Une tactique militaire efficace pouvait permettre de remporter une victoire, mais les Vikings ont aussi fondé des royaumes dans les territoires qu'ils avaient conquis. Certains d'entre eux n'ont pas survécu à la période viking, tels ceux de Dublin et d'York. Mais l'Islande est toujours une nation prospère. Le royaume viking de Kiev a jeté les fondements de l'Empire russe et l'on retrouve très nettement les traces du génie organisateur des chefs vikings dans l'île de Man et en Normandie.
On a trouvé au Danemark des vestiges de forteresses datant de la fin de cette période.
Elles servaient à d'importantes forces armées. Ces forteresses sont circulaires, divisées en quarts de cercle, et à l'intérieur de chacune de ces quatre sections s'élève une construction carrée. La précision même de cette architecture témoigne d'un sens aigu de l'ordre et de l'organisation. Visiblement, à la cour du roi du Danemark certaines personnes avaient une connaissance approfondie des techniques topographiques et géométriques.

Outre les récits provenant d'Europe occidentale, nous disposons de sources écrites émanant d'autres Vikings contemporains, de voyageurs arabes et de voyageurs venant de Byzance. De brèves inscriptions ont même été retrouvées sur le sol viking - les runes, gravées dans le bois et dans la pierre. Les sagas des XIIème et XIIIème siècles ont également des choses à nous révéler sur l'époque viking, même si elles ont été consignées plusieurs générations après.

Les Vikings venaient de contrées devenues aujourd'hui le Danemark, la Suède et la Norvège. Leur société était rurale et autarcique ; aux travaux de la ferme et de l'élevage s'ajoutaient la chasse et la pêche, l'extraction du fer et l'exploitation des carrières de pierre pour fabriquer des meules à aiguiser et des ustensiles de cuisine. Même si les fermiers vivaient généralement de leurs propres produits, certaines denrées devaient être achetées - le sel par exemple, aussi nécessaire à l'homme qu'au bétail.

Le sel est une denrée que l'on utilise quotidiennement ; on allait l'acheter le plus près possible, tandis qu'on allait chercher plus au sud en Europe les articles de luxe. Le fer, les pierres à aiguiser et les ustensiles de cuisine étaient d'importants produits d'exportation en stéatite. Et ils apportèrent une contribution essentielle à l'expansion commerciale de cette période. Même aux époques où les expéditions scandinaves étaient nombreuses, le commerce se poursuivit entre l'Europe occidentale et les pays nordiques. L'un des rares témoignages que nous possédons sur les conditions de vie dans la Norvège de l'époque fut consigné par un chef de la Norvège du Nord, Ottar. Il rendit visite au roi Alfred de Wessex alors qu'à la même époque le roi Alfred guerroyait contre d'autres chefs vikings.

On a laissé entendre que l'expansion viking de l'époque était due au fait que, la population ayant augmenté, les ressources économiques locales étaient devenues insuffisantes. Les découvertes archéologiques ayant toutefois montré que dans le même temps on construisait de nouvelles fermes dans des régions forestières peu peuplées, il semblerait que la poussée démographique n'ait été que l'un des facteurs de cette expansion. Les importants gisements de fer eurent aussi leur importance : ils permirent de fabriquer des armes pour tous ceux qui partaient en expédition, et ces armes furent un des éléments de la supériorité viking.

Avantages tactiques des bateaux vikings

En Scandinavie, la construction des bateaux contribua à la prépondérance tactique des Vikings. Un archéologue suédois bien connu a écrit que les bateaux vikings sont les seuls bateaux de grande navigabilité et pouvant effectuer des débarquements à avoir jamais été utilisés par des forces d'invasion. Même s'il s'agit là d'une exagération, cela explique largement le secret de la supériorité militaire des Vikings. De nombreux récits de leurs assauts confortent cette théorie. L'élément de surprise était primordial. Une attaque rapide par la mer, des bateaux légers qui n'avaient nul besoin d'un port - pouvant ainsi s'approcher d'une côte là où on s'y attendait le moins - une retraite rapide avant le déclenchement d'une contre-offensive, tels étaient les éléments de cette tactique.

Selon qu'ils étaient danois, suédois ou norvégiens, les Vikings s'intéressaient à des zones géographiques différentes, même si souvent certains se réunissaient pour participer à des expéditions communes quand les chefs les plus renommés prenaient la mer. En général les Suédois faisaient route vers l'est et contrôlaient les circuits commerciaux en navigant sur les fleuves russes. Lors de fouilles archéologiques en Suède, on trouva de grandes quantités de monnaies arabes en argent qui témoignent du commerce intensif de l'époque. Les Danois faisaient route vers le sud, la Frise, la France et le sud de l'Angleterre tandis que les Norvégiens mettaient le cap sur l'ouest et le nord-ouest, vers le nord de l'Angleterre, l'Ecosse, l'Irlande, les Orcades, les Shetland et les Féroé.

Les bateaux n'étaient pas seulement nécessaires pour le commerce et les expéditions guerrières ; ils étaient aussi la condition préalable à une colonisation réussie lorsque des familles entières, avec bétail et bagages, voguaient vers des terres nouvelles. Les dangereuses traversées de l'Atlantique Nord, vers les Orcades, les Shetland, les Féroé, l'Islande et le Groenland prouvent que les constructeurs de navires de l'époque viking construisaient des embarcations d'une très grande navigabilité et dont la rapidité permettait des attaques dans la région de la mer du Nord. Les marins découvraient des terres nouvelles, des colons les y succédaient, ou bien ces derniers allaient s'y installer après avoir écouté les récits des voyageurs, qui, revenus de leurs expéditions guerrières ou commerciales, évoquaient ces terres étrangères où l'on vivait dans l'abondance.

Dans certaines contrées les Vikings paraissent avoir procédé à des transferts de populations locales ; dans d'autres, tel le nord de l'Angleterre, il semble que l'activité principale des hommes du Nord ait été l'élevage et qu'ils aient utilisé des sols peu intéressants pour les cultivateurs de céréales locaux.

Ceux qui s'en furent en Islande et au Groenland découvrirent des terres vierges. Exception faite peut-être de quelques moines irlandais installés en Islande, qui n'allaient pas tarder à partir "parce qu' ils ne pouvaient supporter d'avoir des païens pour voisins", il semblerait que l'Islande et les régions du Groenland colonisées par les Vikings n'étaient pas habitées quand les hommes du Nord y abordèrent.

Les références contemporaines dont nous disposons sur les Vikings nous viennent essentiellement d'Europe occidentale ; il n'est donc pas étonnant que les habitants de cette région, ayant fait d'amères expériences avec les envahisseurs, nous les aient présentés sous leurs pires aspects. Les fouilles archéologiques pratiquées tant en pays viking que sur les lieux où ils fondèrent des colonies nuancent cette image. Nous avons découvert dans des fermes, des dépendances, sur les places de marché de l'époque, des objets perdus ou mis au rebut qui témoignent d'une vie quotidienne ordinaire.

Nous avons découvert des traces d'extraction de fer dans les régions montagneuses, là où le minerai de fer, la tourbe et de très grandes quantités de bois de chauffage avaient permis l'essor d'une industrie florissante. On a aussi retrouvé et analysé le sol des carrières dont on utilisait la stéatite pour les poteries, et des pierres à aiguiser d'une exceptionnelle qualité. D'heureuses circonstances nous ont permis de mettre au jour de très anciens champs ayant été cultivés puis laissés en jachère. On a retrouvé dans ces endroits des entassements de pierres que les paysans d'autrefois avaient écartées, empilées péniblement pour pouvoir cultiver ; et un examen attentif nous permet même de déceler des traces de sillons laissées par les charrues des Vikings.

Villes et royaumes

Tandis que la société viking évoluait, les clans des notables accumulaient terres et pouvoirs, jetant les fondations de futurs royaumes ; ainsi furent fondées les premières cités. De Staraja Ladoga et Kiev en Russie à York et à Dublin, dans les îles Britanniques, il nous est possible de reconstituer la vie quotidienne des citadins. Commerce et artisanat créaient marchés et cités. Même si leurs habitants se consacraient vraisemblablement à leurs occupations traditionnelles (élevage, travaux agricoles et pêche, pour subvenir aux besoins familiaux), il est certain que les villes dépendaient de produits agricoles venant des régions avoisinantes. Le récit d'Ottar au roi Alfred parle du marché de Kaupang près de Larvik (Norvège du Sud). Kaupang devait rester un marché, alors que l'on pourrait qualifier de villes Birka, sur les bords du lac Mälar en Suède, et Hedeby, à la frontière germano-danoise. Toutes deux furent abandonnées à la fin de la période viking, mais Ribe, dans le Jutland occidental (Danemark), est toujours prospère, tout comme York et Dublin. Dans ces villes, nous trouvons des zones bien organisées avec des parcelles bien définies, des routes et des enceintes fortifiées. Certaines de ces cités ont manifestement été construites selon des règles d'urbanisme. Beaucoup ont été créées conformément à la volonté des rois qui, directement ou par l'intermédiaire d'hommes de confiance, intervenaient dans la planification urbaine et la distribution des terrains. Nous pouvons constater que l'évacuation des ordures et l'entretien les préoccupaient moins que le tracé des villes, comme en témoignent les terrains vagues en strates épaisses qui ont été retrouvés. Les odeurs devaient être insupportables pour les habitants. Nous retrouvons aujourd'hui des objets de la vie quotidienne de l'époque, depuis les détritus provenant des divers ateliers d'artisans jusqu'aux puces et aux poux, et il nous est possible de reconstituer cette vie : pêle-mêle, on y voit certains objets venus probablement de très loin, telles les monnaies arabes en argent ou les soieries de Byzance, et la production locale des forgerons, des cordonniers et des cardeurs.

Les dieux nordiques

À la fin de l'ère viking les pays nordiques étaient presque tous convertis au chirstianisme. Il succédait à un paganisme qui avait son panthéon de dieux et de déesses, chacun exerçant son pouvoir dans le domaine qui lui était propre. Odin, vieux et sage, était leur chef. Thor était le dieu des guerriers tandis que la déesse Frøj était la déesse de la fertilité du sol et du bétail. Loke était un fourbe et un sorcier sur lequel on ne pouvait compter et en qui les autres dieux n'avaient pas confiance. Les dieux avaient de dangereux adversaires ­ les jotuns, (ou géants) ­ qui représentaient la face obscure de la vie.

Nous connaissons surtout les dieux païens par les manuscrits du début de la christianisation, récits sans doute influencés par la foi nouvelle. Des noms de fermes tels que Thorshov, Frøyshov ou Onsaker révèlent leur origine païenne (grâce au nom du dieu qu'ils évoquent (Thor, Frøy ou Odin). Aujourd'hui encore les noms de lieux norvégiens ayant leur dernière syllabe en hov indiquent qu'il y eut jadis sur ces sites des temples païens dédiés à ces dieux. Les dieux avaient des traits de caractère humains et, tout comme leurs homologues grecs de l'Olympe, ils menaient une vie dissolue. Ils se battaient, faisaient ripaille et se livraient à des beuveries. Les mortels qui tombaient au combat allaient directement festoyer avec les dieux et les pratiques funéraires indiquent clairement que les défunts avaient les mêmes besoins matériels dans la vie après la mort qu'ici-bas. A l'époque viking le mort pouvait être enterré ou incinéré mais dans les deux cas les présents funéraires étaient nécessaires.

L'importance du bagage que le défunt emportait avec lui atteste, tout comme la variété des traditions funéraires, de sa condition sociale pendant son existence terrestre. En Norvège, ces traditions étaient particulièrement riches. C'est ainsi que les tombes sont une extraordinaire mine de renseignements sur la vie quotidienne. Tout ce qui était prévu pour l'au-delà nous donne un aperçu sur leur univers - même si le temps a fait son oeuvre et qu'il ne reste que quelques débris des objets enterrés.

Les vestiges trouvés dans les tombes viennent enrichir notre matériel provenant des fouilles sur les lieux où vivaient les Vikings. Sur ces sites, qu'il s'agisse de domaines ruraux ou de cités, nous trouvons des objets endommagés ou égarés, des maisons en ruine, des déchets de nourriture ou des détritus provenant des ateliers d'artisans, et nous retrouvons dans les sépultures quelques-uns des effets personnels les plus raffinés des défunts.

Une société violente

On reconnaît la violence de cette société au fait que les tombeaux des hommes contiennent presque toutes des armes. Un guerrier bien équipé se devait d'avoir une épée, un bouclier en bois muni en son milieu d'une protection en fer pour la main, une lance, une hache et un arc qui pouvait avoir jusqu'à 24 flèches. Les casques et les cottes de mailles avec lesquels la plupart des Vikings sont représentés de nos jours sont extrêmement rares dans le matériel archéologique. Les casques à cornes que l'on retrouve aujourd'hui dans toutes les descriptions n'ont jamais été retrouvés parmi les objets datant de cette période. Même dans les tombes renfermant les plus impressionnantes quantités d'armes, nous retrouvons des indices d'activités plus pacifiques : faucilles, faux et houes reposent à côté des armes. Le forgeron était enterré avec son marteau, ses tenailles, son enclume et sa lime. L'agriculteur vivant au bord de l'eau conservait son équipement de pêcheur et il était souvent enterré dans un bateau. On mettait souvent des bijoux personnels dans les sépultures des femmes, ainsi que des ustensiles de cuisine et des objets servant à la confection d'étoffes. Les bateaux servaient aussi souvent de sépulture aux femmes. Tout ce qui est objets en bois, en cuir et textiles n'a généralement pas résisté au séjour dans la terre, aussi nos connaissances comportent-elles de nombreuses lacunes.

Quelques tombes ensevelies dans la terre ont été mieux conservées que d'autres : en de nombreux endroits du fjord d'Oslo, nous avons trouvé, juste au-dessous de la tourbe, de l'argile bleue, dense et étanche. Après quelque mille ans, certaines sépultures sont encore en assez bon état et cela nous a permis de retrouver tout un échantillonnage d'objets. Les trésors des énormes bateaux-tombes vikings à Oseberg, Gokstad et Tune, bateaux que l'on peut voir au Musée des bateaux vikings, à Bygdøy, Oslo, sont un parfait exemple du cadeau fait aux générations futures quand les conditions de conservation sont satisfaisantes. Nous ne savons pas qui étaient les défunts, mais manifestement ils appartenaient à la classe supérieure de la société : peut-être à la famille royale, qui, quelques générations plus tard, fera de la Norvège une nation unie.

Le tombeau d'Oseberg était un grand bateau utilisé comme chambre funéraire ; on pense qu'il date de 850 après J.C., et celui de Gokstad et de Tune, d'une ou deux générations après. Seule la coque du bateau de Tune a été conservée ; les pilleurs de tombeaux ont fait disparaître presque tout ce qu'il renfermait. Mais il en reste suffisamment pour nous rendre compte qu'à l'origine ce bateau était aussi beau que les deux autres. Le bateau de Tune mesurait une vingtaine de mètres de long, celui d'Oseberg environ 22 mètres et celui de Gokstad 24 mètres.

Pour les funérailles, on amenait le bateau sur la terre ferme et on le plaçait dans une fosse. On installait une chambre funéraire derrière le mât, et sur le lit qu'elle contenait on mettait le défunt revêtu de ses plus beaux atours. On emmagasinait dans cette chambre d'abondantes provisions, des chiens et des chevaux sacrifiés, puis on élevait un grand tumulus au-dessus du navire.

Un Arabe voyageant en Russie à la fin du IXème siècle y rencontra des Vikings qui procédaient aux funérailles d'un de leurs chefs. Ibn Fadlan consigna ses observations sur un journal que nous avons pu retrouver : le bateau du chef décédé avait été hissé hors de l'eau ; tous les objets de valeur y avaient été mis, et on avait installé sur un lit le corps du défunt revêtu de beaux vêtements. Il y avait également une esclave qui, ayant choisi de suivre son maître dans la mort, avait été sacrifiée, ainsi qu'un cheval et un chien de chasse. Le bateau et tout ce qu'il contenait fut ensuite brûlé, et un tertre funéraire élevé au-dessus des cendres. Nous avons retrouvé dans les pays nordiques et en Europe occidentale, dans les anciennes colonies vikings, des bateaux qui avaient été brûlés de la même façon, mais les grands tombeaux le long du fjord d'Oslo furent épargnés. Nous avons retrouvé un homme dans le bateau de Gokstad et il est probable qu'il y en avait un aussi dans celui de Tune. Cependant deux femmes ont été ensevelies dans le bateau d'Oseberg. L'un des squelettes est celui d'une femme de 50 à 60 ans, l'autre celui d'une femme de 20 à 30 ans. Mais quant à savoir laquelle des deux était la suivante ou la dame de noble naissance, nous en sommes réduits aux spéculations.

Les tombeaux d'Oseberg et de Gokstad ont tous deux été saccagés par les pilleurs de tombes, si bien que les bijoux et les armes de luxe qu'ils devaient sûrement contenir n'ont pu être retrouvés. Mais les objets en bois, en cuir et les textiles qui ne présentaient aucun intérêt pour les voleurs sont restés. Il y a des vestiges de tombeaux semblables ailleurs et il semble que l'usage voulait que l'on mette dans les tombeaux des chiens et des chevaux sacrifiés, de belles armes, du matériel de navigation (tels des avirons, une planche d'appontement, des écopes), des casseroles servant à l'équipage, une tente, et souvent de la belle vaisselle de bronze importée. Sans aucun doute cette vaisselle a jadis contenu la nourriture et les boissons destinées au défunt.

Il n'y avait aucune trace d'armes dans la tombe d'Oseberg, ce qui est assez logique, s'agissant d'une tombe de femme. Mais tous les autres équipements ordinaires s'y trouvaient. En outre les objets offerts à la dame de noble naissance témoignaient de sa dignité d'administrateur et d'épouse ayant vécu sur un riche domaine. Nous supposons que les femmes assumaient la responsabilité totale de la gestion du domaine quand les hommes étaient absents. La femme d'Oseberg était, comme nombre de ses contemporaines, une dame autoritaire et très respectée, qu'elle soit avec d'autres femmes, ou qu'elle soit à sa quenouille, devant son métier à tisser, qu'elle surveille les travaux des champs ou la traite des vaches, ou bien la fabrication du fromage et du beurre. Outre le bateau, elle emportait un chariot et trois traîneaux. Elle était prête à toute éventualité et partait en beauté. Le nombre de chevaux nécessaires avait été sacrifié pour tirer le chariot et les traîneaux.

On trouva dans cette tombe bien d'autres choses: une tente, des ustensiles de cuisine, des outils pour fabriquer les étoffes, des coffres et des petites boîtes pour objets de valeur, une planche à pain, des seaux à lait et des louches, un couteau à découper et une poêle à frire,des pelles et râteaux, une selle, un collier de chien. Parmi les provisions il y avait aussi deux boeufs abattus ; sur une grande planche à pain en bois, une pâte de farine de seigle et mise à lever, et, pour le dessert, il y avait des pommes dans un seau joliment décoré.

Parmi les nombreux objets en bois, beaucoup étaient sculptés. Il est probable que plusieurs artistes travaillaient dans le domaine de la défunte. Même des choses aussi utilitaires que les limons du traîneau étaient en bois ouvragé. Hormis les fouilles d'Oseberg, l'essentiel de nos connaissances sur l'art viking nous vient des bijoux de petite taille. Le choix des motifs est le même que pour le bois sculpté. Les artistes s'intéressaient aux représentations stylisées d'animaux. Il s'agissait d'animaux imaginaires, torsadés et entremêlés dans un enchevêtrement serré de volutes. Ces objets ouvragés sont de superbes exemples d'un artisanat très élaboré ; les sculpteurs sur bois d'Oseberg devaient être aussi habiles à manier les ciseaux et les couteaux à gaine que les épées ou les haches de combat.

L'homme enterré dans le bateau de Gokstad a, lui aussi, employé les talents d'un sculpteur sur bois, même si les objets que nous avons découvert ne sont pas aussi richement décorés que ceux d'Oseberg. Le bateau d'Oseberg avait un franc-bord peu élevé et il convenait mieux à la navigation par beau temps. Avec trente rameurs ou un vent favorable, il devait être un moyen de transport rapide. Le bateau de Gokstad est probablement le bateau personnel d'un homme fortuné et non un vrai drakkar fait pour transporter de nombreux guerriers. Il avait été conçu pour tenir mieux la mer que celui d'Oseberg. C'est ce que l'on a constaté quand on a traversé l'Atlantique en utilisant des répliques de ce navire. La conception de la coque assurait sa rapidité, que ce soit en navigant avec la voile ou les trente-deux rameurs. Même avec l'équipage au complet, le bateau de Gokstad n'avait pas plus d'un mètre de tirant d'eau ; aussi il aurait pu être facilement utilisé pour attaquer des côtes étrangères. Il est bien possible que l'expérience acquise par les Vikings au cours de leurs fréquentes traversées au début du IXe s. ait conduit à une évolution rapide de la conception de la coque. Si cette hypothèse est la bonne, alors les différences entre le bateau d'Oseberg et celui de Gokstad sont le fruit de l'expérience de deux générations ayant navigué en mer du Nord, et de longues discussions entre les constructeurs en quête d'améliorations.

Mille ans d'évolution

Les bateaux vikings étaient construits à clins. Les navires utilisés pour atteindre les rivages lointains étaient le produit de dix siècles de vie en mer du Nord. Les constructeurs s'efforçaient de construire des bateaux souples, légers, se soumettant aux forces conjuguées du vent et de la mer, utilisant les éléments au lieu de s'y opposer. La coque des bateaux vikings était construite sur une quille solide qui, avec un arc finement incurvé, formait l'ossature du bateau. Les planches étaient adaptées l'une après l'autre à la quille et à la proue, elles-mêmes attachées ensemble par des rivets en fer. Cette coque en forme de coquille donnait force et souplesse. Après avoir donné au bateau la forme voulue, le constructeur mettait des membrures faites de bois d'arbres naturellement incurvés, ce qui rendait le navire plus solide. Pour augmenter la souplesse on liait les planches aux membrures. Des supports transversaux à hauteur de ligne de flottaison renforçaient le navire sur les côtés. Des rondins particulièrement solides consolidaient le mât.

Les voiles carrées étaient fixées au mât. L'équipage pouvait utiliser les avirons quand le temps était calme ou quand il y avait un violent vent contraire.

La période viking vit la construction de différents types de bateaux. Il y avait ceux destinés aux combats, pouvant loger un équipage important et aller vite. Il y avait aussi les bateaux construits pour le commerce et pour lesquels la vitesse avait moins d'importance. Ils étaient plus spacieux, afin de pouvoir contenir un plus grand chargement. Ces bateaux n'étaient pas faits pour contenir beaucoup d'hommes équipage et ils étaient plus adaptés à la navigation à voile plutôt qu'à la navigation avec avirons.

L'avènement du christianisme

Les expéditions vikings se firent moins fréquentes à partir de l'an 1000 environ. Les Vikings étaient devenus chrétiens et leur conversion était un frein à leurs envies de pillage. Le Danemark, la Suède et la Norvège étaient devenus des royaumes distincts, le plus souvent unis sous l'autorité d'un même monarque. La vie n'était pas toujours calme, même dans les royaumes chrétiens, mais les guerres étaient le fait des changements d'alliances entre rois.

Les États pouvaient guerroyer, mais le temps des guerres privées était passé, comme était passé celui de la colonisation. Les relations commerciales établies pendant la période viking se poursuivirent et les pays nordiques devinrent une partie de l'Europe chrétienne."

Arne Emil Christensen, Les Vikings, mars 1996 (ODIN, site du Ministère norvégien des Affaires étrangères; reproduction autorisée). L'auteur est Docteur en Philosophie et Conservateur en chef du Musée Universitaire des Antiquités Nationales à Oslo. Il s'est spécialisé dans l'histoire de la construction navale et des métiers de l'artisanat à l'Age du Fer.

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