Sapho

Poétesse et éducatrice grecque ayant vécu à Lesbos

H.Marou p.64

«Ils nous permettent d'entrevoir qu'à Lesbos, vers la fin du VII° siècle, les jeunes filles pouvaient recevoir un complément d'éducation, entre le temps de leur enfance, passé à la maison sous l'autorité de la mère, et celui du mariage. Cette haute édu­cation se réalisait dans une vie de communauté au sein d'une école, la « demeure des disciples des Muses" », qui se présente, juridiquement, sous la forme (qui sera également, à partir de Pythagore, celle des écoles philosophiques) d'une confrérie reli­gieuse, A{ac5oç, dédiée aux déesses de la culture. Là, sous la direction d'une maîtresse, dont Sapho a su magnifiquement graver le type dans le portrait qu'elle trace d'elle-même, leur jeune personnalité se configure à un idéal du beau, aspirant à la Sagesse". Techniquement, cette école est d'équivalent d'un « Conservatoire de musique et de déclamation » : on y pratique la danse collective", héritée de la tradition minoenne 92, la musique instrumentale, et notamment la noble lyre S9, ainsi que le chant". La vie communautaire est rythmée par toute une série de fêtes, cérémonies religieuses" ou banquets".
Cette pédagogie remarquable met en évidence le rôle éducatif de la musique qui subsistera dans toute la tradition classique; il paraît bien avoir déjà fait l'objet d'une réflexion théologique tel fragment de Sapho" exprime nettement la doctrine, si chère à la pensée grecque, de l'immortalité méritée par le culte des Muses.
L'éducation lesbienne n'est pas seulement artistique : le côté corporel n'est pas négligé. Sans être Spartiates, ces délicates Lesbiennes n'en pratiquent pas moins les sports athlétiques, et Sapho elle-même revendique fièrement l'honneur d'avoir été la monitrice d'une championne de course à pied".
Tout cela dans une atmosphère bien féminine, je dirai très moderne, s'il ne s'agissait d'un éternel féminin : je songe à l'ac­cent mis non seulement sur la beauté du corps, mais sur la grâce, la coquetterie, la mode", ou encore sur ces notes mali­gnes : « Ne fais pas la fière à propos d'une bague" », « cette femme qui ne sait même pas relever sa jupe sur ses chevilles" ».
Enfin, et nous retrouvons ici le thème du présent chapitre, cette éducation ne va pas non plus sans flambée passionnelle, sans qu'entre maîtresse et disciple ne se resserre le lien ardent de l'Éros. C'est même là ce que nous en savons le mieux, car après tout nous n'apercevons toute cette pédagogie qu'à travers l'é­cho des passions éprouvées par le coeur de Sapho, qu'à travers

les cris déchirants que la douleur lui arrache lorsqu'elle est séparée, par le mariage ou la trahison, de telle de ses élèves et aimées. L'amour saphique n'a pas encore reçu chez elle la transposition métaphysique que subira, chez Platon, la pédé­rastie devenue une aspiration de l'âme vers l'Idée : ce n'est encore qu'une passion humaine, brûlante et frénétique : « Éros de nouveau, ce brise-membres, me tourmente, Éros amer et doux, l'invincible créature, ô mon Atthis! Et toi, dégoûtée de moi, tu t'envoles vers Androméde ". »,
Ici encore le psychiatre tentera curieusement de déterminer l'étendue des ravages de l'instinct sexuel dévié : les mêmes incertitudes l'attendent. Déjà, dans l'Antiquité, on se deman­dait « si Sapho avait été une femme de mauvaise vie" », et de nos jours elle trouve encore, parmi ses admirateurs, des défen­seurs passionnés de son idéale vertu (i6). Entre ces deux extrê­mes, il n'est pas difficile, cette fois, de prendre position : la franchise, et si on peut dire l'impudeur caractéristique du ly­risme féminin (Sapho rejoint la comtesse de Die et Louise Labbé), ne nous laisse rien ignorer du caractère sensuel de ces liaisons « La nuit est à moitié, l'heure passe et je reste là couchée toute seule... " », pour ne pas citer ces sanglots de femme jalouse, qui évoquent de bien autres passions que celles de l'esprit!
Nous ne connaissons le thiase lesbien que par un hasard, celui qui a doué de génie l'âme ardente de Sapho; mais son cas n'est pas isolé : nous savons qu'elle a eu de son temps des concurren­tes, des rivales sur le plan professionnel : Maxime de Tyr nous a même conservé le nom de deux ,de ces « directrices de pension­nats pour demoiselles », Andromède et Gorgô ". L'enseignement féminin, longtemps offusqué, au moins dans notre documentation, par la dominante masculine de la civilisation grecque, ne réappa­raît au grand jour que beaucoup plus tard, guère avant l'époque hellénistique. Il se manifeste en particulier dans les concours où l'esprit agonistique trouvait son expression et qui servaient, comme aujourd'hui nos examens, de sanction aux études. A Per­game, où à l'époque hellénistique et romaine les magistrats spé­ciaux préposés à l'inspection de l'enseignement féminin portent le titre de « préposés à la bonne tenue des vierges" », les jeunes filles concourent, comme les garçons, en récitation poétique, mu­sique ou lecture"; ailleurs, et notamment dans les îles d'Eolide, le programme de leurs concours n'est pas un simple décalq

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