Qui passe aujourd’hui devant le 26-28 (autrefois le 22), rue Notre-Dame Est, à Montréal, ne peut soupçonner que cette maison a abrité, à partir de 1904 et pour une durée de vingt-cinq ans, un célèbre atelier d’artistes dont le rôle dans la vie culturelle de l’époque se révèle d’une grande importance. Peintres, poètes, musiciens, comédiens, journalistes, romanciers ont fait de ce lieu appelé L’Arche un point de ralliement, un cénacle multidisciplinaire, creuset d’une culture en devenir.
Le peintre et poète Émile Vézina, originaire de Cap Saint-Ignace, inaugure la première époque de L’Arche lorsque, en 1904, il transforme en atelier le grenier qui coiffe le 22, rue Notre-Dame Est. Cet immeuble est entièrement occupé par des artistes : au rez-de-chaussée, on trouve Joseph et Charles Tison, graveurs, à l’étage l’imprimeur, photographe et aquarelliste Louis-Adolphe Morissette et, au-dessus de lui, côte à côte, le poète et dessinateur Albert Ferland, et l’illustrateur Edmond-Joseph Massicotte.
Dans son vaste atelier, très recherché, Vézina accueille ou laisse la place à des artistes comme Marc-Aurèle Fortin, Adrien et Henri Hébert, Charles Gill, Jobson Paradis. Parfois aussi, des troupes de théâtre viennent y répéter leurs pièces. Sous le pseudonyme de Vir, Émile Vézina devient le populaire caricaturiste du Nationaliste d’Olivar Asselin, tandis que ses portraits de personnages officiels ou de notables font sa réputation de peintre. A l’occasion, il pratique la critique littéraire et artistique. En 1931, lors d’un concours institué par le gouverneur général Lord Willingdon, il remporte le prix de poésie.
En 1913, lorsque Victor Barbeau, Philippe La Ferrière, Roger Maillet et Ubald Paquin, étudiants de l’Université Laval à Montréal, s’installent dans l’atelier que Vézina a momentanément délaissé, ils inaugurent la seconde époque de L’Arche. Pour faire connaître leurs idées littéraires autant que politiques, ces jeunes avant-gardistes fondent divers périodiques : Le Réveil, L’Escholier, La Bataille. Jean Chauvin, Marcel Dugas, le pianiste Léo-Pol Morin, Philippe Panneton (Ringuet) sont de ceux qui se joignent au noyau initial. Tous pratiquent le journalisme au Canada, au Devoir, à La Patrie et au Nationaliste. Ils prennent le nom exotique de Tribu des Casoars et, de 1915 à 1917, organisent des galas artistiques qui marquent les moments forts de l’activité de L’Arche. Plusieurs d’entre eux s’étant portés volontaires lors de la Première Guerre mondiale en Europe, ceux qui restent au pays s’associent à d’autres intellectuels et participent en 1918 à la fondation de la revue d’art Le Nigog.
Après un passage marquant à l’École littéraire de Montréal au début des années 1920, les membres de L’Arche se regroupent de nouveau et fondent en 1925 le Casoar-Club, association gastronomique, littéraire et artistique qui accueille de nouveaux venus tels les peintres Edwin Holgate et Robert Pilot, et l’éditeur Louis Carrier. Privilégiant le mode associatif, ils créent en 1933 le Cercle Marco-Polo, dédié aux récits de voyages. Enfin, en 1941, ils fondent l’Académie canadienne-française, aujourd’hui l’Académie des lettres du Québec.
Actif depuis 1907, ce groupe informel adopte en 1911 le nom du chemin (la Montée Saint-Michel) qui conduit ses adeptes à leur lieu de prédilection, le boisé du domaine Saint-Sulpice, lequel borde le nord de l’île de Montréal. Ces peintres, qui sont au nombre de huit, ont reçu leur formation aux cours du Conseil des arts et manufactures, dispensés au Monument National où ils se sont lié d’amitié, ainsi qu’à l’école de l’Art Association of Montreal.
Au début des années 1920, L’Arche est récupérée par Ernest Aubin, chef de file des peintres de la Montée, qui accueille dans cet atelier ses confrères ainsi que des amis artistes, littérateurs et musiciens. C’est la troisième et dernière époque de L’Arche.
Les peintres de la Montée Saint-Michel exposent en galeries, aux Salons du printemps et d’automne, et ils organisent dans divers lieux publics et à leur domicile des expositions personnelles. S’ils se sont donné pour programme d’exercer leur art en commun et en un lieu choisi (la Montée), c’est sans nuire à leur individualité et en accord avec le goût prononcé des pérégrinations chez plusieurs d’entre eux. Paysagistes, portraitistes, adeptes de la nature morte et du nu, attirés parfois par le symbolisme, quelques-uns d’entre eux sont de hardis coloristes, d’autres sont d’inlassables expérimentateurs. Ils pratiquent aussi la sculpture, la gravure, la photographie, et s’adonnent à la décoration et au graphisme publicitaire.
L’atelier de L’Arche fermera ses portes en 1929.