Où s’en vont les finances publiques du Québec?

Denis Bédard

Ce texte s’adresse au lecteur qui s’intéresse à l’évolution de la situation financière du Québec et mon point de départ est la campagne électorale de 2012. Ce que je retiens de cette campagne, c’est qu’elle a été caractérisée par une surenchère de promesses qui étaient tout à fait irréalistes compte tenu de l’état fragile des finances gouvernementales. Le choix des québécois s’est soldé par l’élection d’un gouvernement minoritaire et si la situation budgétaire était fragile avant l’élection, elle risque maintenant de devenir critique si le gouvernement du Parti Québécois ne revoit pas les fondements de la stratégie budgétaire actuelle.

Les problèmes financiers du gouvernement du Québec sont connus : un surendettement, un niveau de taxation trop élevé et une croissance des dépenses débalancée par rapport à la croissance des revenus. On répète ad nauseam depuis des années que si cette dynamique n’est pas corrigée, elle nous conduit progressivement dans un cul-de-sac. Tous les indicateurs financiers montrent que le Québec n’a plus de marge de manœuvre. Malgré la loi sur l’équilibre budgétaire qui vise le contrôle de la dette gouvernementale, celle-ci aura passé de 116,7 milliards de dollars en 2000 à 191,7 milliards à la fin de la présente année financière, soit une augmentation de 75 milliards. Même si en proportion du PIB son poids n’a pas augmenté puisqu’il est resté aux environs de 55 pourcent, ceci reflète tout de même un échec par rapport à l’objectif de diminuer le niveau de la dette en comparaison des autres provinces canadiennes.

Quelle sera la stratégie budgétaire du nouveau gouvernement? La première ministre a affirmé que les objectifs du cadre financier de l’ancien gouvernement seraient respectés, à savoir le retour à l’équilibre en 2013-2014. Toutefois face à l’incertitude de la conjoncture économique globale et à la nervosité générale des marchés financiers vis-à-vis l’accroissement continuel de l’endettement des secteurs publics, l’objectif de l’équilibre budgétaire tel que défini jusqu’à maintenant n’est plus suffisant à mon avis pour assurer la stabilité de nos finances publiques à plus long terme. Il y a lieu que le gouvernement du Québec réfléchisse à une nouvelle stratégie budgétaire plus sécuritaire et pour en discuter, je propose d’analyser les conséquences de la promesse qui a été faite d’abolir le Fonds des générations et d’examiner la possibilité de définir une nouvelle approche concernant la gestion de la dette.


Que signifie l’objectif du retour à l’équilibre budgétaire?


En 2007, le gouvernement a créé le Fonds des Générations dans lequel sont versés différents revenus spécifiques afin de constituer un actif qui contrebalancera graduellement le poids net de la dette pour le faire passer de 55 pourcent du PIB actuellement à 45 pourcent d’ici 2026. L’idée derrière la création du Fonds dont la gestion est confiée à la Caisse de Dépôt et Placement est d’obtenir un rendement élevé qui aidera à rembourser la dette obligataire du gouvernement plus rapidement que si le Fonds n’existait pas. Pour avoir un rendement élevé, les actifs doivent être évidemment placés dans un portefeuille dont les placements sont plus à risque et si la conjoncture n’était pas favorable, le Fonds pourrait perdre de la valeur et avoir l’effet contraire d’accroître la dette.

Une telle stratégie de gestion de dette par un gouvernement surendetté n’a jamais été essayée à ma connaissance dans d’autres pays. C’est une innovation qui relève plus de la spéculation que d’une gestion prudente des finances publiques et je comprends que le nouveau gouvernement du Québec veuille abolir le Fonds et choisisse de diminuer l’encours de la dette obligataire plutôt que d’accumuler des actifs parallèles dont la valeur future est incertaine. L’abolition du Fonds des générations n’aura toutefois pas d’impact à court terme sur le niveau de la dette totale car celle-ci est de toute façon calculée en soustrayant les actifs qui y sont déjà accumulés. Elle aura par contre des conséquences importantes sur le cadre financier du budget.

La loi sur l’équilibre budgétaire prévoit en effet que l’équilibre est calculé après que les revenus dédiés au Fonds des générations, qui sont d’abord comptabilisés comme revenus budgétaires, soient transférés au Fonds lui-même. Ainsi pour le retour à l’équilibre en 2013-2014, le solde opérationnel des revenus et des dépenses budgétaires a été planifié en visant un surplus de 1,0 milliard de dollars mais ce surplus sera ensuite ramené à zéro après le transfert des revenus appartenant au Fonds. Voilà ce que signifie revenir à l’équilibre dans le cadre financier actuel: faire un surplus aux comptes budgétaires suffisant pour couvrir les sommes qui doivent être versées au Fonds.

Comme le nouveau gouvernement semble s’être engagé à respecter le cadre financier actuellement en vigueur, est-ce qu’il va continuer après l’abolition du Fonds à respecter l’objectif du surplus des comptes budgétaires de 1 milliard ou va-t-il se servir de ce surplus pour compenser le manque à gagner causé par l’abolition de la taxe-santé et des droits de scolarité? De plus va-t-il continuer à dégager au cours des prochaines années assez de surplus pour que la dette totale soit ramenée de 55 à 45 pourcent du PIB tel que prévu actuellement?


A-t-on choisi la bonne approche pour contrôler la dette?

Regardons plus en détail la mécanique de la gestion de la dette. Le ministère des Finances divise la dette totale en trois composantes : la première correspond à la partie de la dette encourue pour l’acquisition des actifs financiers (7 pourcent de la dette totale), c’est-à-dire le montant des prêts et des placements financé par le gouvernement, dont les placements dans Hydro-Québec. La deuxième composante comprend la dette encourue pour le financement des actifs non financiers, c’est-à-dire l’ensemble des immobilisations du secteur public (29 pourcent de la dette totale). La dernière partie est équivalente à la valeur des déficits accumulés jusqu’à maintenant (64 pourcent de la dette totale). C’est cette partie de la dette qui est identifiée au surendettement du Québec et le Fonds des générations visait précisément à la compenser graduellement en investissant les surplus générés par les opérations budgétaires.

La structure de la dette est le reflet des règles comptables du gouvernement. Selon ces règles, le budget des revenus et dépenses couvre uniquement les coûts de fonctionnement des services publics. Les sommes nécessaires à l’acquisition des actifs financiers et non financiers évoqués plus haut sont quant à elles comptabilisées comme déboursés extra budgétaires. Le solde intégré de toutes les opérations budgétaires et extra budgétaires constituent ce qu’on appelle les besoins financiers nets dont le montant s’ajoute à la dette totale du gouvernement.

Les règles comptables gouvernementales s’inspirent de celles d’une comptabilité d’exercice qui donne une image juste de l’impact annuel des engagements financiers, à l’opposé d’une comptabilité de caisse qui se limite aux déboursés effectués durant l’année. Les règles comptables suivies par le gouvernement sont donc à première vue exemplaires. Elles demandent toutefois une très grande discipline financière et elles s’avèrent à l’usage mal adaptées à la gestion des actifs financiers et non financiers du secteur public, plus particulièrement à la gestion des programmes d’infrastructure. Si on prend l’exemple d’une entreprise, les programmes d’investissement sont en principe soumis au test de la «rentabilité financière» et s’ils ne sont pas rentables, ils sont abandonnés. Dans le secteur public, les programmes d’infrastructure sont plutôt décidés en fonction de la «pertinence des besoins» et la contrainte ultime est celle de la «capacité de payer». Le test d’acceptation est donc un jugement autant politique que financier.

Le danger d’une comptabilité d’exercice est le suivant : comme les dépenses des programmes d’infrastructures sont extra budgétaires, leurs coûts ne seront comptabilisés que graduellement dans le budget de fonctionnement via l’imputation annuelle d’une dépense d’amortissement. N’étant pas incluses dans le budget au moment de leur réalisation, les infrastructures n’ont donc pas d’effet immédiat sur le déficit et il n’y a pas de contrainte budgétaire immédiate pour en limiter le volume annuel. Le processus a donc tendance à minimiser le critère de la capacité de payer au profit de la pertinence du besoin.

C’est cette approche de la gestion du secteur public qui semble avoir prévalu lorsque fut prise la décision en 2008 de procéder à un programme quinquennal d’infrastructures de plus de 40 milliards de dollars : l’approbation globale d’un programme d’une telle ampleur a dépassé à mon point de vue les limites d’une gestion rationnelle et prudente. Le volume des travaux a eu bien sûr un effet bénéfique durant la récente période de ralentissement économique mais on devrait se poser la question à savoir si la réalisation du programme ne dépasse pas notre capacité de payer à long terme. On peut facilement deviner la réponse.

Au niveau international, la comparaison des niveaux de dette entre les pays ne se préoccupe pas de savoir si la partie de la dette due à l’acquisition d’actifs financiers et immobiliers est plus importante que la partie de la dette découlant de l’accumulation des déficits budgétaires. Les actifs d’un gouvernement n’ont à toute fin pratique aucune valeur marchande (sauf, pour des raisons compréhensibles, les placements dans des sociétés d’État comme Hydro-Québec). Pour les marchés financiers c’est la valeur totale de la dette qui compte et le facteur le plus important pour déterminer l’équilibre financier à long terme d’un gouvernement, c’est le solde annuel des besoins financiers, lequel est le même que la comptabilité soit une comptabilité de caisse ou d’exercice. Si on utilise ce critère et qu’on l’applique aux projections présentées dans le dernier budget, ce ne serait qu’en 2016-2017 que les opérations financières s’approcheraient de l’équilibre (en excluant le financement des actifs financiers).

Au fond, en décomposant la dette en différentes parties, on a l’impression que le gouvernement a voulu minimiser son niveau élevé. Et en créant le Fonds des générations, c’est comme s’il avait voulu créer un paravent pour cacher le surendettement du Québec. Tout cela a peut-être été fait de bonne foi mais il est temps de corriger le tir.


Comment devrait-on définir l’équilibre de référence après l’abolition du Fonds des générations?


Lorsque le Fonds des générations sera aboli, il sera important que la loi sur l’équilibre budgétaire soit amendée pour qu’elle puisse continuer de s’appliquer et que des ressources financières puissent être dégagées pour diminuer l’endettement du Québec. La mécanique du Fonds des générations définissait une base de référence pour mesurer s’il y avait équilibre ou non, à savoir que le solde des opérations budgétaires devait dégager un surplus suffisant pour pouvoir transférer les sources de revenu dédiées au Fonds sans que le solde ne devienne négatif.

Il faut maintenant définir une nouvelle approche. Tout en gardant les règles comptables actuelles, ma conclusion est que la notion d’équilibre devrait dorénavant statuer que le solde des opérations budgétaires doit dégager un surplus suffisant pour qu’en temps normal, le gouvernement n’ait plus besoin d’emprunter pour les actifs immobiliers. Cet équilibre de référence signifie que les infrastructures seraient payées comptant. Leur financement ne viendrait plus gonfler la dette qui serait stable sauf pour le financement de la croissance nette des actifs financiers.

Cette proposition pourrait être mise en application de la façon suivante :
suite à l’abolition du Fonds des générations, amender la loi sur l’équilibre budgétaire pour que l’équilibre de référence soit celui des besoins financiers nets excluant les montants pour l’acquisition des actifs financiers;
prévoir le retour à l’équilibre de référence d’ici 2016-2017

Bien que l’équilibre financier soit reporté de trois ans, cette proposition serait rassurante pour les marchés financiers car elle serait plus contraignante que la mécanique actuelle du Fonds des générations. On règlerait ainsi les conséquences de l’abolition du Fonds à l’intérieur d’une logique globale qui vise à contrôler la dette totale. À court terme, le gouvernement devra tout d’abord régler le problème des dépassements budgétaires de plus de un milliard de dollars pour l’année en cours, ce qui ne se fera pas à mon avis sans un relèvement du déficit qui est actuellement prévu à 589 millions de dollars (et non 1,5 milliard comme le disait récemment le ministre des Finances). Par la suite, la plus grande difficulté sera de maintenir le taux annuel de croissance des dépenses à l’intérieur d’une limite de 3,0 %.

Pour y parvenir, il faudra sérieusement se pencher sur le cadre de gestion des réseaux de l’éducation et de la santé afin de trouver les mécanismes qui permettront de faire des choix éclairés sur le niveau des services et leur financement. C’est sur une telle réflexion que devrait se pencher le prochain sommet sur l’éducation, de même qu’un sommet tout aussi nécessaire sur la santé et les services sociaux, l’objectif étant d’éviter l’implosion des finances publiques du Québec qui nous menace à terme. Viendra ensuite le rapport du groupe de travail sur les régimes de retraite qui aura un impact extrêmement important à la fois pour le gouvernement et les municipalités. On verra au cours des prochains mois où tout cela va aboutir. Les décisions difficiles restent à venir.

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