Louis Couture, psychiatre d'enfant

Hélène Laberge

Louis Couture, pédopsychiatre et psychanalyste, membre de la prestigieuse Association Psychanalytique Internationale, était d'abord un «médecin des âmes», comme le percevaient ses patients et son entourage. De 1970 jusqu'à sa mort en 2010 il a formé et supervisé des centaines d'intervenants à travers le Québec, médecins, infirmières, travailleurs sociaux, psycho éducateurs, psychologues, … policiers, militaires, pilotes d'hélicoptères, avocats, juges, etc.

On peut se procurer ses livres à la librairie Vaugeois, 1300 Avenue Maguire, Québec, G1T 1Z3. Tél: 418-681-0254.


Aimer c 'est laisser libre

Posséder, contrôler, c'est le contraire de la vie, c'est étouffer, tuer. Aimer c'est laisser libre.

 

L'aventure la plus nourrissante c'est d'aimer un autre humain de tout son être.

Imaginez le défi qui attend l'enfant abandonné.

 

Mise en garde : «Si votre conscience sommeille tranquillement et que vous ne voulez pas que ça change, ne lisez pas ce livre! Car on ne peut pas sortir d'un livre de Louis Couture dans le même état où nous étions en l'ouvrant... (Andrée Mathieu in Préface)


Comment présenter ce livre si impressionnant? Comme une autobiographie? Comme tout livre écrit avec le sang, on ne peut pas l'aborder sans aller jusqu'au bout, comme lors d'une promenade on s'engage dans un sentier sinueux qui nous attire d'abord par la beauté de sa végétation. Lorsque surgissent des pentes raides et couvertes de ronces on ne peut pas revenir sur ses pas. On poursuit son chemin jusqu'à la lumière d'une clairière.

Louis Couture était psychiatre, un «médecin des âmes»1 Sa relation avec les êtres souffrants reposait sur une tenace conviction qu'«aimer, c'est laisser libre» et que l'être humain, quelles que soient ses épreuves, est libéré par l'amour qui lui est témoigné. Cet amour prend à travers les souffrances de l'auteur son essentielle réalité.

Dans la trame de sa relation avec le petit Yannick, il nous révèle sa propre enfance de petit garçon immergé dans la nature grâce à son père et à des Amérindiens qu'il accompagnait dans leur chasse et leur pêche. Cette partie autobiographique n'est pas une réminiscence narcissique; Louis Couture ne s'analyse pas, il évoque avec précision et puissance les premières images qui ont façonné son être même et l'ont conduit vers la psychiatrie. Entres autres, son lien avec un ourson d'abord adopté par des Amérindiens qui finiront par le lui confier. C’était un bébé. Un bébé ours orphelin. C'était mon premier contact avec l'adoption. Quand l'ourson avait peur, il entrait se cacher dans mon coupe-vent. Moi, je partageais sa peur. J'avais peur qu'il me déchire la peau avec ses griffes … Je l'ai ramené avec moi, il m'a suivi tout l'été.»... «En psychanalyse d'enfant, écrit-il, on revit sa vie, son enfance avec chaque enfant. On recommence souvent. Leur spontanéité va chercher la nôtre . Leurs questions les nôtres. Leur déchirement les nôtres. Leurs rires les nôtres.»

Sa définition de la psychanalyse pourrait servir de fondement à tout enseignement de la psychiatrie : «La Psychanalyse, c'est la connaissance de l'usage de la rencontre de deux humanités. C'est la façon la plus globale de comprendre et de danser avec la vie et la mort. C'est aussi une façon d'être qui transforme la vie en plaisir envoûtant et la mort en compagne apaisante. Rencontrer une épreuve terrifiante fait perdre bien des illusions, mais y survivre fait découvrir beaucoup de tendresse. C'est pourquoi le poète mystique est le mieux équipé pour la fréquentation du terrifiant. Quoi de plus simple à celui qui sait souffrir, qui sait Mourir.»

Je vais descendre avec Yannick au fond de son enfer de douleur

C'est un enfant qui a vu son père «gelé» par la drogue tuer sa mère. Son père en prison s'accroche à lui et refuse qu'il soit placé dans une famille d'accueil. Il ne parle jamais de sa mère. Il ne pleure pas. Il vit dans un centre d'éducateurs spécialisés. Il repousse ceux qui veulent l'approcher. . «Il est fort en maudit pour un petit gars... Il se frappe la tête dans le mur, il se donne des gros coups de poings en pleine face. Il faut s'asseoir sur lui pour le retenir.» Les éducateurs sont dégoûtés par les psychiatres qui ont diagnostiqué des «troubles de comportement» sans indiquer comment aider l'enfant! «Je traîne la réputation parfois idéalisée, parfois maudite qu'ont les guérisseurs. J'ai un goût de honte et de peur dans la bouche. Je suis quand même chanceux de pouvoir être payé pour soigner des petits Yannick, payer pour supporter les gens surprenants qui s'occupent d'eux et en plus, de pouvoir aller ou se trouve la plus grande souffrance. Payé pour descendre aux enfers... Ceux qui souffrent beaucoup ne savent pas demander. Quand ils ouvrent la bouche, c'est un cri de douleur étouffé qu'on entend. Si on sait écouter!»

Une relation s'amorce qui semble simple. Première rencontre: Il voit «un tout petit Yannick. Trop petit pour son âge (8 ans). Les cheveux blonds et longs. Les traits tirés. Pâle. L'air déterminé. Non! Ce n'est pas déterminé qu'il a l'air... Il a l'air courageux...Mais quelle tristesse au fond des yeux.» LC nous fait partager au fil de son ouverture à la souffrance de Yannick le déroulement de l'écheveau du traitement. Quand il se penche vers lui lors de sa première entrevue, l'enfant le mord à l'avant-bras. «Je suis trop surpris pour sentir la douleur. Mais quand il me lâche, ça saigne.» Le psy refuse tout de même qu'on le punisse en l'isolant, en le mettant au trou, ce qui est la pratique des éducateurs. «C'est une affaire entre Yannick et moi.» Il a compris que l'enfant est «caché dans sa solitude». «Il ne peut pas se laisser aller à pleurer, exprimer sa colère... parce que... un enfant ça ne peut pas faire de deuil tout seul. Il faut que l'enfant se sente entouré, soutenu psychologiquement. »

«Yannick est otage de la peur qu'il a de son père violent. C'est le contraire de la liberté. C'est la prison mentale. C'est le contraire de la vie. C'est devenir un robot qui applique machinalement un programme génétique. Il ne reste pas d'énergie pour faire un deuil. Le deuil c'est un travail humain. Il faut du cœur. Les robots n'ont pas de cœur.» «Ce médecin des âmes a touché le cœur de ceux qui l'ont connu,» a écrit Jacinthe son épouse dans l'Introduction du livre. Progressivement, Yannick finira par accepter de revoir son père prisonnier lors d'une entrevue déchirante pour ce dernier. L'enfant doit lui faire accepter son adoption par une famille qui l'aime. «J'entends le petit bonhomme lui expliquer :- Écoute ça n'a pas de sens que tu m'empêches de vivre avec une famille normale. L'amour ce n'est pas comme du gâteau... je veux dire il y en a pour beaucoup de monde. Je pourrais t'aimer quand même. Pourquoi tu veux que je sois en prison comme toi?» L'enfant a mis le doigt sur la blessure de son père, une catharsis se produit :«le père se met à pleurer, à hurler. … je suis là, dit Louis Couture, impuissant. La crise passée, le père se reprend : il regarde son fils : «C'est vrai, c'est ben, vrai. Ça fait pas de sens. Je veux que tu sois heureux, que tu voles avec tes ailes à toi.»

Ce livre est douloureux : ce médecin des âmes connaîtra contre son gré la prison psychiatrique. Louis Couture a été gravement atteint d'une maladie contractée au chevet d'enfants prématurés : un virus s'est logé dans la région cardiaque. Le cœur et le cerveau sont atteints : perte d'équilibre, pertes occasionnelles de mémoire, forte douleur au pied produisant de l'insomnie. «Voyant mon urgence de vivre, les humains qui m'entouraient et que j'aimais aveuglément se sont concertés à mon insu. L'un d'entre eux est venu me reconduire à ce qu'il m'a fait croire être des examens neurologiques. On m'a détenu illégalement et traité comme une bête sale, dangereuse, insignifiante et sans cœur, dépouillé de mon nom, de ma montre, de ma liberté de mouvement et de parole. Au premier signe de résistance , on m'a poussé dans un trou noir, sans son, sans toilette, sans eau, un lit fixé au sol. … Je commençais à peine à m'acclimater à ma maladie que j'ai connu l'enfer du traitement. Dans la plus crottée des prisons, un hôpital psychiatrique.

On reste sans voix devant le récit de son séjour. Sans voix devant la révélation des traitements qu'il a dû subir : dans son trou noir, il entend le claquement du verrou : «une lumière m'aveugle, des voix humaines me crient des menaces. Je vois quatre gorilles aux gros bras qui me tiennent au sol, une infirmière surveille, la seringue en l'air. Elle m'injecte un poison. C'est comme un virus informatique... C'est l'attaque de l'intérieur, la plus dégueulasse des attaques. … Je sens s'envoler les forces qui me restent. Je m'écroule.»

On a fait subir un sort digne du Goulag à ce psychiatre qui pendant trente ans, jusqu'à sa mort en 2010, «a formé et supervisé des centaines d'intervenants à travers le Québec, médecins, infirmières, travailleurs sociaux, psycho éducateurs, psychologues, … policiers, militaires, pilotes d'hélicoptères, avocats, juges, etc.» En plus de pratiquer en privé comme psychanalyste et psychothérapeute dans diverses régions du Québec, depuis Montréal, Québec, jusqu'à Rouyn-Noranda, La Malbaie.

Louis Couture était un battant. Il pratiquait des sports extrêmes, à condition d'entendre par là ceux qui mettent en contact le plus étroit possible avec la Nature, :campement dans des régions sauvages, périlleuses escalades de montagne, vie chez les Inuits, et avec les appareils permettant de la survoler : il était pilote d'avion et a possédé un hélicoptère... Les récits de ses équipées et de ses rêves souvent nourris par son amour des animaux sont passionnants. Sommeil près d'une rivière : «Une caresse sur la joue me réveille. C'est la langue d'un petit loup. Il goûte le sel de ma sueur. Un petit loup, trop petit, trop vite abandonné. Je vais lui apporter de simples gestes d'affection qui lui manquent tellement comme ils m'ont cruellement manqué.»

Dénigré ou rejeté par certains collègues pour sa liberté de pensée, sa créativité dans ses traitements avec enfants et adultes, et sans doute aussi, envié pour son amour, son courage et sa ténacité, il aurait pu devenir «otage de sa violence». «Je me suis demandé pourquoi Aristote avait placé le courage au dernier rang Je pense que c'est parce que c'est fait d'un peu de rage , d'un peu de vanité, beaucoup d'entêtement et d'un plaisir sportif. Ce ne sont pas de bien beaux sentiments.»

Ce livre aurait pu être un cri de haine de la part de quelqu'un qui a risqué son âme et sa vie pour redonner le sens de l'amour aux êtres plongés dans «un enfer de douleur». Et qu'on a jeté dans un trou comme le pire des criminels. «J'ai compris que la psychiatrie est parfois, une forme scientifique de la haine et de l'écrasement. Que deviendra-t-il de cette liberté d'aimer que j'ai tant chérie et que les ennemis ont tant voulu étouffer?

Sa réponse est dans sa réflexion sur la psychanalyse qu'il a pratiquée, et qui est le reflet de son être propre dans toute son authenticité. «Pour pratiquer la psychanalyse dans des conditions extrêmes (ce qui fut mon choix, mon lot quotidien) sans y laisser son être, il faut des connaissances exactes, une grande habileté, du doigté, de la détermination, un soupçon de patience, du courage tranquille, un brin de folie, le plaisir d'être en vie, et la passion du risque et de la créativité.»

Mais comment se relève-t-on de l'abjection qu'il a subie? Il la décrit comme un stress post-traumatique. Et comme ceux qui en ont souffert, «je dois faire le deuil de ce que je n'ai plus, je ne serai jamais plus ce que j'étais.»...«Je peux commencer à me soigner. … Je suis poussé par une urgence de vivre, désinhibé et en hyperréveil. Je vais gérer les cauchemars qui me réveillent la nuit, les sueurs froides et les crampes dans le ventre qui m'arrivent de nulle part. Je veux classer certains souvenirs qui font irruption dans ma tête, comme celui du son d'un verrou qui claque. Je vais en parler beaucoup aux arbres et à l'Oiseau-mouche «à chaque visite qu'il faisait aux fleurs sous ma fenêtre. (Il) m'a fait partager son sentiment d'être ressuscité, et encore mieux, il m'a fait comprendre de trouver une fleur pour butiner. J'ai suivi son conseil. Mon passé et l'amour passionné que j'éprouve pour cette fleur ensorceleuse travaillent à la construction de mon futur.»

Louis Couture est décédé le 17 janvier 2010 à l'hôpital de l'Enfant-Jésus, à Québec.

Notes : 1 Jacinthe son épouse, Introduction, p. 9. Louis Couture, AIMER, c'est laisser libre.

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