Le walmartisme

Jacques Rigaudiat

Ce qui se joue ici, sur quoi la mondialisation viendra ensuite peser, c’est la répartition primaire des revenus, soit la lutte des classes et l’exploitation. C’est dans les entreprises que cela d’abord se noue, dans les rapports de production et les modalités d’organisation du travail, bien plutôt que dans la mondialisation des économies. Ainsi, on est passé du fordisme, à ce que j’ai appelé le « walmartisme ». Wal-Mart est le « Carrefour » américain, le premier empire mondial de distribution : 1 800 000 salariés, pardon, « associés », pas de syndicats. Le dernier classement des fortunes dans le monde place chacun des cinq héritiers du défunt Sam Walton (qui, à partir d'un petit magasin ouvert à Rogers, Arkansas, avait fondé, la chaîne de supermarchés Wal-Mart) dans les douze premières fortunes mondiales. Si on additionne leurs fortunes, la fortune familiale des Walton est de loin supérieure à la première fortune mondiale.

Il ne s’agit pas simplement là d’inégalités, mais d’un système consciemment organisé pour extraire un maximum de profit. C’est aujourd’hui, dans les entreprises, une transformation du modèle d’organisation du travail. Désormais, on ne parle plus de salariés mais d’ « opérateurs », d’ « associés », de « collaborateurs », d’ « assistants » : on euphémise le rapport de subordination. On voit bien, par exemple, que le mode d’organisation de France Télécom/Orange fait porter la responsabilité sur le salarié. Pour comprendre ce nouveau modèle, il faut remonter aux années soixante, au « travail en miettes », à la révolte des OS de ces années. On a cherché un mode d’organisation où le salarié « autonome » intérioriserait sa responsabilité : plus besoin dès lors de la présence physique de « petits chefs ». Cette recherche de l’autonomie, de la polyvalence, l’organisation en « missions », en « projets », a rencontré l’évolution du toyotisme, le « juste à temps », le « zéro défaut », le « zéro stock ». On est dans un procès de production où l’on produit ce que l’on a déjà vendu et où la production est directement soumise aux aléas, puisqu’il n’y a plus de stocks pour faire tampon. Or, une production flexible suppose la flexibilité du travail, c’est-à-dire une précarisation de la main d’œuvre, puisque le recours à la main d’œuvre doit lui-même être ajusté aux à-coups de la production. Sous-traitance généralisée, recherche d’une autonomisation et d’une précarisation des salariés, on n’est plus alors ni chez Ford, ni chez Taylor. On en revient à des formes anciennes de rapports de production, celles qui prévalaient au XVIIIe siècle : les marchands-fabricants, dont le double prolétaire était les canuts.

Pauvreté, insécurité économique et nouvel âge du capitalisme. Intervention de Jacques Rigaudiat, au colloque du 21 septembre 2009, "Mondialisation et inégalités en France", organisé par la Fondation Res Publica (http://www.fondation-res-publica.org). Publié sous la licence Creative Commons 2.0. Vous êtes libre de reproduire, distribuer et communiquer ce contenu.

 




L'Agora - Textes récents

  • Vient de paraître

    Lever le rideau, de Nicolas Bourdon, chez Liber

    Notre collaborateur, Nicolas Bourdon, vient de publier Lever de rideau, son premier recueil de nouvelles. Douze nouvelles qui sont enracinées, pour la plupart, dans la réalité montréalaise. On y retrouve un sens de la beauté et un humour subtil, souvent pince-sans-rire, qui permettent à l’auteur de nous faire réfléchir en douceur sur les multiples obstacles au bonheur qui parsèment toute vie normale.

  • La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

    Marc Chevrier
    Le gouvernement pourrait décider de ressusciter l'étude du projet de loi 94 déposé par le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Le projet de loi 94 essaie d’endiguer, dans l’organisation scolaire publique québécoise, toute manifestation du religieux ou de tout comportement ou opinion qui semblerait mû par la conviction ou la croyance religieuse.

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué