Le sandisme
Mardi le 01 juin 2004
L'arrondissement de Sancerre, choqué de se voir soumis à sept ou huit grands propriétaires, les hauts barons de l'élection, essaya de secouer le joug électoral de la Doctrine, qui en a fait son bourg pourri. Cette conjuration de quelques amours-propres froissés échoua par la jalousie que causait aux coalisés l'élévation future d'un des conspirateurs. Quand le résultat eut montré le vice radical de l'entreprise, on voulut y remédier en prenant pour champion du pays aux prochaines élections l'un des deux hommes qui représentent glorieusement Sancerre à Paris. Cette idée était extrêmement avancée pour la province, où, depuis 1830, la nomination des notabilités de clocher a fait de tels progrès que les hommes d'État deviennent de plus en plus rares à la Chambre élective. Aussi ce projet, d'une réalisation assez hypothétique, fut-il conçu par la femme supérieure de l'Arrondissement, dux femina facti, mais dans une pensée d'intérêt personnel. Cette pensée avait tant de racines dans le passé de cette femme et embrassait si bien son avenir, que sans un vif et succinct récit de sa vie antérieure, on la comprendrait difficilement. Sancerre s'enorgueillissait alors d'une femme supérieure, longtemps incomprise, mais qui, vers 1836, jouissait d'une assez jolie renommée départementale. Cette époque fut aussi le moment où les noms des deux Sancerrois atteignirent, à Paris, chacun dans leur sphère, au plus haut degré l'un de la gloire, l'autre de la mode. Etienne Lousteau, l'un des collaborateurs des Revues, signait le feuilleton d'un journal à huit mille abonnés; et Bianchon, déjà premier médecin d'un hôpital, officier de la Légion d'honneur et membre de l'Académie des sciences, venait d'obtenir sa chaire. Si ce mot ne devait pas, pour beaucoup de gens, comporter une espèce de blâme, on pourrait dire que George Sand a créé le sandisme, tant il est vrai que, moralement parlant, le bien est presque toujours doublé d'un mal. Cette lèpre sentimentale a gâté beaucoup de femmes qui, sans leurs prétentions au génie, eussent été charmantes. Le sandisme a cependant cela de bon que la femme qui en est attaquée faisant porter ses prétendues supériorités sur des sentiments méconnus, elle est en quelque sorte le bas-bleu du cœur: il en résulte alors moins d'ennui, l'amour neutralisant un peu la littérature. Or l'illustration de George Sand a eu pour principal effet de faire reconnaître que la France possède un nombre exorbitant de femmes supérieures, assez généreuses pour laisser jusqu'à présent le champ libre à la petite-fille du maréchal de Saxe. La femme supérieure de Sancerre demeurait à La Baudraye, maison de ville et de campagne à la fois, située à dix minutes de la ville, dans le village ou, si vous voulez, le faubourg de Saint-Satur. Les La Baudraye d'aujourd'hui, comme il est arrivé pour beaucoup de maisons nobles, se sont substitués aux La Baudraye dont le nom brille aux croisades et se mêle aux grands événements de l'histoire berruyère.