Le rapport de la Commission d'enquête sur l'enseignement des arts au Québec

42 ans plus tard - Le rapport Rioux suscite toujours le débat. « On le considère un peu comme un Refus global à l'échelle de l'école » Article de Thiery Haroun publié dans Le Devoir des 8 et 9 janvier 2011.


Le rapport de la Commission d'enquête sur l'enseignement des arts au Québec est publié en 1969. Quel héritage a-t-il légué à la société québécoise et aux arts particulièrement? Que reste-t-il, 42 ans plus tard, de ce rapport, mandaté par les libéraux de Jean Lesage et déposé sous le gouvernement unioniste de Jean-Jacques Bertrand, qui a tant bousculé l'establishment scolaire et politique? Regards croisés sur un document qui suscite aujourd'hui encore la réflexion sur le parent pauvre du secteur de l'éducation.
La Commission d'enquête sur l'enseignement des arts, mieux connue sous l'appellation de commission Rioux, du nom de son président, Marcel Rioux, est officiellement créée le 31 mars 1966 par décret. «La proposition formelle de créer cette commission est soumise aux autres ministres par le ministre de l'Éducation, Paul Gérin-Lajoie, et par celui des Affaires culturelles, Pierre Laporte. Cependant, ce dernier ne signe pas lui-même, comme son collègue, le Rapport au Conseil exécutif"qui constitue la base de l'arrêté en conseil. Ce document est signé "pour le ministre des Affaires culturelles" par le premier ministre Jean Lesage lui-même. Il s'agit donc d'un dossier conjoint de deux ministres qui engage le gouvernement dans son ensemble.» Voilà, entre autres choses, ce qu'on apprend dans le livre de Claude Corbo, publié chez Septentrion en 2006 et intitulé Art, éducation et société postindustrielle; le rapport Rioux et l'enseignement des arts au Québec 1966-1968.

Le mandat

Le texte officiel du mandat de la commission se lit notamment comme suit: «Attendu que l'enseignement des arts a une importance considérable dans la vie culturelle du Québec. Attendu que tout encouragement à la production artistique doit tenir compte d'une politique d'ensemble. Attendu que tous les moyens de diffusion de l'art doivent être mis au service des besoins de notre société. Attendu que la formation des diplômés dans les disciplines d'art et l'intégration de ceux-ci dans la société doivent être assurées de façon adéquate. Il est ordonné [qu'une] commission soit instituée pour étudier toutes les questions relatives à l'enseignement des arts, y compris les structures administratives, l'organisation matérielle des institutions affectées à cet enseignement et la coordination de ces institutions avec les écoles de formation générale.»
Ce livre, bien documenté et qui va à l'essentiel, a servi de point d'appui pour cette recherche. Dans la préface qu'il signe, l'ex-commissaire de la commission Rioux Fernand Ouellette, poète et cofondateur de la revue Liberté, écrit: «L'auteur [Claude Corbo] fait un choix des recommandations les plus importantes pour comprendre ce qu'ont été véritablement l'apport et la qualité du travail de la commission Rioux, son actualité qui n'a guère vieilli quand on songe aux difficultés énormes, aux bouleversements que soulèvent la mondialisation, la délocalisation des industries dans nos sociétés occidentales, lorsqu'il semble que tout devient produit, marchandisation de la culture, tyrannie du capital, ébranlement des cultures nationales qui a poussé récemment l'UNESCO à intervenir en force.»

La controverse

Cela dit, la controverse accompagnera cette commission du début à la fin de ses travaux, voire par-delà le dépôt de son rapport (en trois tomes) constitué de quelque 700 pa-ges et de 368 recommandations (à cela s'ajoute, sous l'appellation de «rapport spécial», un document intitulé L'Enseignement de la musique dans la province de Québec, avec 15 recommandations à la clé).
À titre d'exemple, Claude Corbo rappelle dans son ouvrage que «la grande difficulté, quant à la composition de la commission, fut le choix d'un président. Marcel Rioux jouit d'une très bonne réputation auprès des étudiants et dans les milieux culturels et artistiques. Cependant, Pierre Laporte, ministre des Affaires culturelles, résiste à l'idée de lui confier la responsabilité, exprimant ainsi une réticence certainement partagée par une partie du gouvernement [...]. Mais le ministre Laporte finira par plier aux pressions que subit le gouvernement et consentira à la nomination de ce "radical". [...] Marcel Rioux acceptera volontiers la présidence de la commission sans prévoir qu'à peine les travaux commencés, le gouvernement l'ayant nommé sera défait aux élections du 5 juin 1966 et que le président de la commission devrait, un jour futur, remettre le rapport à un autre ministre des Affaires culturelles, Jean-Noël Tremblay, du parti de l'Union nationale, appréciant encore moins le sociologue que le ministre Pierre Laporte»!

L'héritage


De manière concrète, on notera, parmi les recommandations du rapport Rioux (s'appuyant sur 118 mémoires et de nombreuses consultations dans tous les milieux sur une période de deux ans), les suivantes:
-que l'enseignement public des arts, à quelque niveau que ce soit, relève exclusivement du ministère de l'Éducation;
-que l'État se départe de la responsabilité d'administrer directement des écoles d'art et qu'à cette fin il intègre ces établissements dans les ensembles d'enseignement collégial et supérieur administrés par des corporations publiques;
-que soient intégrées dans les structures de l'éducation toutes les disciplines artistiques, au même titre et dans les mêmes établissements que tous les autres enseignements; -que l'éducation artistique soit inscrite au programme de l'enseignement, du préscolaire au supérieur.
Qu'en est-il de l'héritage de ce rapport plus de 40 ans après sa publication? Et qui donc est Marcel Rioux, ce personnage qui a tant fait couler d'encre?
Raymond Ringuette, directeur des programmes de 2e et 3e cycles à la Faculté de musique de l'Université Laval, rappelle que le rapport Rioux est publié dans la mouvance du rapport Parent, fruit de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement. «Vous savez, le rapport Parent n'a pas accordé beaucoup d'attention à l'enseignement des arts, sinon quelques recommandations touchant implicitement l'éducation artistique. Alors, avec le rapport Rioux, on partait de loin sur le plan de l'enseignement des arts et particulièrement de la musique», quant aux idées reçues et autres préjugés sur la carrière de musicien-éducateur et la professionnalisation de ce secteur de l'éducation.

En cela, il cite un mémoire produit en 1965 par les professeurs de musique de l'Université Laval: «Voici ce que les professeurs de l'époque ont émis au ministère de l'Éducation: "Trop souvent deviennent professeurs ceux qui ne sont pas capables d'être exécutant. Ils tendent à projeter sur les élèves leurs ambitions personnelles et préparent une nouvelle génération de musiciens déçus. D'autres réels pédagogues n'entrevoient qu'un avenir incertain pour leurs élèves ou se découragent de ne jamais porter un fruit jusqu'à maturité. Les titulaires de clas-ses de musique dans les institutions d'enseignement général se trouvent presque toujours devant un groupe d'illettrés musicaux." Imaginez le contexte dans lequel naît la commission Rioux. On part de loin!»

L'esprit du rapport

Tout au long de l'entrevue, Raymond Ringuette cite des textes et des mémoires issus d'instances reconnues, des années 1960 jusqu'aux États généraux sur l'éducation en 1996, qui remettent en question l'esprit et les recommandations de la commission Rioux, voire son héritage dans le temps. «C'est un bon rapport, étoffé, mais qui a dérangé l'establishment. On le considère un peu comme le Refus global à l'échelle de l'école. Il est par ailleurs difficile d'évaluer son héritage de manière uniforme dans l'ensemble du Québec, mais son objectif est intemporel», souligne le professeur Ringuette.

En entrevue téléphonique, Claude Corbo, actuel recteur de l'Université du Québec à Montréal, dit croire que l'héritage du rapport Rioux est bien concret. «Écoutez, quand on a créé l'UQAM en 1969, on y a incorporé, entre autres, l'École des beaux-arts de Montréal. C'est un résultat probant. On y a aussi intégré l'ancien collège Sainte-Marie des jésuites de Montréal, trois écoles normales, dont l'école normale Jacques-Cartier. Le rapport a de plus légitimé la place des arts dans l'institution universitaire. Il a aussi pensé la présence de l'enseignement des arts aux différents ordres d'enseignement, tels le primaire, le secondaire et le collégial. Le rapport a donc clarifié les enjeux liés à la formation artistique et, en cela, il a eu des effets, mais pas aussi importants que certains l'auraient souhaité.»

L'intellectuel engagé

Marcel Fournier, professeur au Département de sociologie de l'Université de Montréal et membre du conseil d'administration du Musée d'art con-temporain, s'est intéressé à Marcel Rioux, le sociologue, l'anthropologue, l'éminent chercheur né à Amqui, en Gaspésie, en 1919 et décédé en 1992.
«Il était un des intellectuels les plus en vue de sa génération. Il était connu pour sa lutte contre le gouvernement de Duplessis. C'était un proche de Trudeau et il appuyait le Parti libéral du Québec à l'époque. Au moment où ils prennent le pouvoir, il se déclare socialiste et s'inscrit dans le mouvement laïque de langue française.» Marcel Rioux était, rappelle-t-il, proche des milieux artistiques également, côtoyant Pauline Julien, Gérald Godin, Gaston Miron et Roland Giguère, avec qui il fondera la revue Possibles.
Ainsi, son «parcours de gauche engagé», venant en appui à la lutte ouvrière de même qu'aux mouvements sociaux et contestataires, a fait de sa nomination à titre de président de la Commission d'enquête sur l'enseignement des arts un pari «risqué et audacieux. En fait, le rapport Rioux a proposé un renouveau de la société par l'art. Il développe une réflexion originale sur la place de la création et des arts dans la société. D'ailleurs, le texte d'introduction est à ce titre un véritable essai socio-anthropologique», conclut le professeur Fournier.

***




Articles récents