Notes et pensées d'Ingres sur la peinture et le dessin

Jean-Auguste Dominique Ingres
Ingres et Delacroix furent les deux grands piliers de la peinture française au XIXe siècle. On trouverait difficilement deux personnalités aussi contrastées, tant par leur style, que par leur personnalités. Alors que Delacroix ouvre l'une après l'autre des voies nouvelles pour la peinture, s'intéresse aux nouvelles théories sur l'optique et la couleur, s'enthousiasme pour la peinture nouvelle, pour Constable et les peintres anglais, Ingres s'accroche avec conviction à l'idéalisme néo-classique. Nul besoin d'étudier la nature, dit-il, il suffit d'étudier les Anciens, car ils SONT la nature. Il exècre Rubens, mais il encense Titien. Ces notes sur l'art compilées par Henri Delaborde, sont le fruit d'un esprit en réaction contre la modernité, mais aussi et surtout un esprit profondément original en dépit de son attachement à la tradition, littéralement envoûté par la beauté de la ligne et du dessin.
De l'art et du beau

N'étudions le beau qu'à genoux.

On n'arrive dans l'art à un résultat honorable qui en pleurant. Qui ne souffre pas, ne croit pas.

L'art vit de hautes pensées et de nobles passions. Du caractère, de la chaleur ! On ne meurt pas de chaud, mais on meurt de froid.

Ayez de la religion pour votre art. Ne croyez pas qu'on produise rien de bon, d'à peu près bon même, sans élévation dans l'âme. Pour vous former au beau, ne voyez que le sublime. Ne regardez ni à droite, ni à gauche, encore moins en bas. Allez la tête levée vers les cieux, au•lieu de la courber vers la terre, comme les porcs qui cherchent dans la boue.

Ce que l'on sait, il faut le savoir l'épée à la main. Ce n'est qu'en combattant qu'on acquiert quelque chose, et le combat, c'est la peine qu'on se donne.

Les chefs-d'œuvre ne sont pas faits pour éblouir. Ils sont faits pour persuader, pour convaincre, pour entrer en nous par les pores.

Dans les images de l'homme par l'art, le calme est la première beauté du corps, de même que dans la vie la sagesse est la plus haute expression de l'âme.

Il faut trouver le secret du beau par le vrai. Les anciens n'ont pas créé, ils n'ont pas fait : ils ont reconnu.

Aimez le vrai parce qu'il est aussi le beau, si vous savez le discerner et le sentir. Faisons-nous des yeux qui voient bien, qui voient avec sagacité : je ne demande que cela. Si vous voulez voir cette jambe laide, je sais bien qu'il y aura matière ; mais je vous dirai : prenez mes yeux, et vous la trouverez belle.'

Quand vous manquez au respect que vous devez à la nature, quand vous osez l'offenser dans votre ouvrage, vous donnez un coup de pied dans le ventre de votre mère.

Vous tremblez devant la nature : tremblez, mais ne doutez pas !

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Du goût et de la critique

La louange pâle d'une belle chose est une offense.

Le temps fait justice de tout. Des ouvrages absurdes ont pu surprendre, tromper un siècle par des traits faux, mais éblouissants, parce qu'en' général les hommes jugent' rarement par eux-mêmes, parce qu'ils suivent le torrent, et que le goût pur est presque aussi rare que le talent. Le goût consiste moins encore à apprécier le bien là où il se montre qu'à le reconnaître sous l'épaisseur des défauts qui le cachent: Les commencements informes de certains arts ont quelquefois au fond plus de perfection que l'art perfectionné.

Il y a plus d'analogie qu'on ne pense entre le bon goût et les bonnes mœurs. Le bon goût est un sentiment exquis des convenances que donne un heureux naturel et que développe une éducation libérale.

Le peuple ignorant montre aussi peu de goût dans ses jugements sur l'effet ou sur le caractère d'un tableau qu'en face des objets animés. Dans la vie, il s'extasiera devant la violence ou l'emphase; dans l'art, il préférera toujours des attitudes forcées ou guindées et des couleurs brillantes à une noble simplicité, à une grandeur tranquille, telles que nous les voyons représentées dans les tableaux des anciens.

Plus on est convaincu et fort, plus il faut être bienveillant envers les hésitants et les faibles. La bienveillance est une des grandes qualités du génie.

La même sagacité qui fait qu'un homme excelle dans son art doit l'amener à faire un usage convenable du jugement des savants et des gens ineptes.

Pour être un bon critique du grand art et du grand style, il faut être doué du même goût épuré qui a guidé l'artiste et présidé à la confection de 'son œuvre.

Il y a peu de personnes, soit instruites, soit même ignorantes, qui, si elles disaient librement leur pensée sur les ouvrages des artistes, ne pourraient pas leur être utiles. Les seules opinions dont on ne peut tirer aucun fruit sont celles des demi-connaisseurs.

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Du dessin

Le dessin est la probité de l'art.

Dessiner ne veut pas dire simplement reproduire des contours; le dessin ne consiste pas uniquement dans le trait le dessin, c'est encore l'expression, la forme intérieure, le plan, le modelé. Voyez ce qui reste après cela ! Le dessin comprend les trois quarts et demi de ce qui constitue la peinture. Si j'avais à mettre une enseigne au-dessus de ma porte, j'écrirais: École de dessin, et je suis sûr que je ferais des peintres.

En étudiant la nature, n'ayez d'yeux d'abord que pour l'ensemble. Interrogez-le et n'interrogez que lui. Les détails sont des petits importants qu'il faut mettre à la raison. La forme large, et encore large! La forme : elle est le fondement et la condition de tout. La fumée même doit s'exprimer par le trait.

Il faut faire disparaître les traces de la facilité ; ce sont les résultats et non les moyens employés qui doivent paraître. Il faut user de la facilité en la méprisant, mais, malgré cela, quand on en a pour cent mille francs, il faut encore s'en donner pour deux sous.

Plus les lignes et les formes sont simples, plus il y a de beauté et de force. Toutes les fois que vous partagez les formes, vous les affaiblissez. Il en est de cela comme du fractionnement en toutes choses.

Pourquoi ne fait-on pas du grand caractère? Parce que, au lieu d'une grande forme, on en fait trois petites.

Il ne faut pas essayer d'apprendre à faire le beau caractère : il faut le trouver dans son modèle.

Les grands peintres, comme Raphaël et Michel-Ange, ont insisté sur le trait en finissant. Ils l'ont redit avec un pinceau fin, ils ont ainsi ranimé le contour ; ils ont imprimé à leur dessin le nerf et la rage.

Il faut donner de la santé à la forme. Un peintre a grand'raison de se préoccuper de la finesse, nais il doit y joindre la force qui ne l'exclut pas, tant s'en faut. Toute la peinture est dans le dessin, fort et fin à la fois. -Elle n'est que là, quoi qu'on en dise : dans un dessin ferme, fier, caractérisé, même s'il s'agit l'un tableau qui doit impressionner par la grâce. La grâce seule ne suffit pas, le dessin châtié non plus. Il faut davantage :'il faut que le dessin amplifie, il faut qu'il enveloppe.

L'expression en peinture exige une très grande science du dessin, car l'expression ne peut être bonne si elle n'a été formulée avec une justesse absolue. Ne la saisir qu'à peu près, c'est la manquer; c'est -ne représenter que des gens faux qui s'étudieraient à contrefaire des sentiments qu'ils n'éprouvent pas. On ne peut parvenir à cette extrême précision que par le plus sûr talent dans le dessin. Aussi les peintres d'expression parmi les modernes ont-ils été les plus grands dessinateurs. Voyez Raphaël !

L'expression, partie essentielle de l'art, est donc intimement liée à la forme. La perfection du coloris y est si peu requise que les peintres d'expression excellents n'ont pas eu, comme coloristes, la même supériorité. Les en blâmer, c'est ne pas connaître assez les arts. On ne peut demander au même homme des qualités contradictoires. D'ailleurs, la promptitude d'exécution dont la couleur a besoin pour conserver tout son prestige, ne s'accorde pas avec l'étude profonde qu'exige la grande pureté des formes.

On appelle types de beauté les résultats des observations fréquentes qu'on a faites sur de beaux modèles. Un col large par exemple se rencontre quinze fois sur vingt chez les hommes bien faits ; on peut par conséquent le regarder comme une des conditions de la beauté. Cependant si votre modèle a un col mince, ne lui en faites pas un gros ; mais gardez-vous d'en exagérer la petitesse. Pour exprimer le caractère, une certaine exagération est permise, nécessaire même quelquefois, mais surtout là où il s'agit de dégager et de faire saillir un élément du beau.

L'homme porte généralement la tête en arrière du corps, la poitrine en avant: c'est une attitude noble, c'est sa vraie attitude. Hormis dans les cas de mouvement, la tête en avant déshonore la figure humaine ; elle exprime l'abattement, la lassitude ou l'ivresse.

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De la couleur et de l'effet
La couleur ajoute des ornements à la peinture, mais elle n'en est que la dame d'atour, puisqu'elle ne fait que rendre plus aimables les véritables perfections de l'art.

Il est sans exemple qu'un grand dessinateur n'ait pas eu le coloris qui convenait exactement aux caractères de son dessin.Aux yeux de beaucoup de personne, Raphaël n'a pas coloré. Il n'a pas coloré comme Rubens et Van Dyck : parbleu, je le crois bien ! Il s'en serait bien, gardé: Rubens et Van Dyck peuvent plaire au regard, mais ils le trompent; ils sont d'une mauvaise école, coloriste, de l'école du mensonge. Titien, voilà la couleur vraie, voilà la nature sans exagération, sans éclat forcé ! c'est juste.

Oui sans doute Rubens est un grand peintre, mais c'est ce grand peintre qui a tout perdu. Chez Rubens il y a du boucher; il y a avant tout de la chair fraîche dans sa pensée et de l'étal dans sa mise en scène.

Vous êtes mes élèves; par conséquent mes amis, et, comme tels, vous ne salueriez pas un de mes ennemis, s'il venait à passer à côté de vous dans la rue. Détournez-vous donc de Rubens dans les musées où vous le rencontrerez; car si vous l'abordez, pour sûr il vous dira du mal de mes enseignements et de moi.

Les peintres se méprennent beaucoup lorsqu'ils emploient inconsidérément dans leurs tableaux trop de blanc qu'il faut ensuite baisser et éteindre. Le blanc doit être réservé pour ces occasions de lumière, pour ces éclats qui déterminent l'effet du tableau. Titien disait qu'il serait à souhaiter que le blanc fût aussi cher que l'outremer, et Zeuxis, qui était le Titien des peintres de l'antiquité, reprenait ceux qui ignoraient combien l'excès en -pareil cas est préjudiciable. Rien, n'est blanc dans les corps animés, rien n'est positivement blanc ; tout est relatif. A côté de ces femmes éclatantes de blancheur, mettez une feuille de papier !

La lumière est comme l'eau : elle se fait, bon gré, mal gré, sa place, et prend à l'instant son niveau.

Dans un tableau, la lumière doit tomber et se concentrer sur une partie avec plus de force que sur, les autres, de manière à ce que le regard y soit attiré tout d'abord et s'y porte. De même dans une figure de là les dégradations.

La qualité de « détacher» les objets en peinture (ce que beaucoup de gens regardent comme une chose si importante) n'était pas une de celles sur lesquelles Titien, d'ailleurs le plus grand coloriste de tous, avait principalement fixé son attention. Ce sont des peintres d'un talent inférieur qui ont fait consister en cela le mérite essentiel de la peinture, ainsi que le croient encore ces troupeaux d'amateurs inévitablement satisfaits et charmés quand ils voient dans un tableau une figure autour de laquelle, disent-ils, « il semble qu'on puisse tourner».

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De l'étude de l'antique et des maîtres

Le doute même est un blâme touchant les merveilles des anciens.

Prétendre se passer de l'étude des antiques et des classiques, ou c'est folie, ou c'est paresse. Oui, l'art anti-classique, si tant est que ce soit un art, n'est qu'un art de paresseux. C'est la doctrine de ceux qui veulent produire sans avoir travaillé, savoir sans avoir appris; c'est un art sans foi comme sans discipline, s'aventurant privé de lumière dans les ténèbres, et demandant au seul hasard de le conduire là où l'on ne peut avancer qu'à force de courage, d'expérience et de réflexion.

Il faut copier la nature toujours et apprendre à la bien voir. C'est pour cela qu'il est nécessaire d'étudier les antiques et les maîtres, non pour les imiter, mais, encore une fois, pour apprendre à voir.

Croyez-vous que je vous envoie au Louvre pour y trouver ce qu'on est convenu d'appeler « le beau idéal », quelque chose d'autre que ce qui est dans la nature? Ce sont de pareilles sottises qui, aux mauvaises époques, ont amené la décadence de l'art. Je vous envoie là parce que vous .apprendrez des antiques à voir la nature; parce qu'ils sont eux-mêmes la nature : aussi il faut vivre d'eux, il faut en manger. De même pour les peintures des grands siècles. Croyez-vous qu'en vous ordonnant de les copier, je veuille faire de vous des copistes? Non, je veux que vous preniez le suc de la plante.

Adressez-vous donc aux maîtres, parlez-leur ; ils vous répondront, car ils sont encore vivants. Ce sont eux qui vous instruiront, moi je ne suis que leur répétiteur.

Celui qui ne voudra mettre à contribution aucun autre esprit que le sien même se trouvera bientôt réduit à la plus misérable de toutes les imitations, c'est-à-dire à celle de ses propres ouvrages.

Il n'y a point de scrupule à copier les anciens. Leurs productions sont un trésor commun où chacun peut prendre ce qui lui plaît. Elles nous deviennent propres, quand nous savons nous en servir : Raphaël, en imitant sans cesse, fut toujours lui-même.

Qu'on ne me parle plus de cette maxime absurde: «Il faut du nouveau, il faut suivre son siècle ; tout change, tout est changé». Sophismes que tout cela! Est-ce que la nature change, est-ce que la lumière et l'air changent, est-ce que les passions du cœur humain ont changé depuis Homère ? Il faut suivre son siècle : mais si mon siècle a tort ? Parce que mon voisin fait le mal, je suis donc tenu de le faire aussi? Parce que la vertu, aussi bien que la beauté, peut être méconnue par vous, il faut que je la méconnaisse à mon tour, il faut que je vous imite ?

Il y a eu sur le globe un petit coin de terre qui s'appelait la Grèce, où, sous le plus beau ciel, chez des habitants doués d'une organisation intellectuelle unique, les lettres et les beaux-arts ont répandu sur les choses de la nature comme une seconde lumière pour tous les peuples et pour toutes les générations à venir. Homère a le premier débrouillé, par la poésie, les beautés naturelles, comme Dieu a organisé la vie en la démêlant du chaos. Il a pour jamais instruit le genre humain, il a mis le beau en préceptes et en exemples immortels. Tous les grands hommes de la Grèce, poètes, tragiques, historiens, artistes de tous les genres, peintres, sculpteurs, architectes, tous sont nés de lui: et, tant que la civilisation grecque a duré, tant que Rome, après elle, a régné sur le monde, on a continué de mettre en pratique les mêmes principes une fois trouvés. Plus tard, aux grandes époques modernes, les hommes de génie ont refait ce qu'on avait fait avant eux. Homère et Phidias, Raphaël et Poussin, Glück et Mozart ont dit en réalité les mêmes choses.

Erreur donc, erreur que de croire qu'il n'y a de santé pour l'art que dans l'indépendance absolue; que les dispositions naturelles courent le risque d'être étouffées par la discipline des anciens ; que les doctrines classiques gênent ou arrêtent l'essor de l'intelligence. Elles en favorisent au contraire le développement, elles en rassurent les forces, et en fécondent les aspirations ; elles sont une aide et non une entrave. D'ailleurs il- n'y a pas deux arts, il n'y en a qu'un : c'est celui qui est fondé sur l'imitation de la nature, de la beauté immuable, infaillible, éternelle. Qu'est-ce que vous voulez dire, qu'est-ce que vous venez me prêcher avec vos plaidoyers en faveur du «neuf » ? En dehors de la nature il n'y a pas de neuf, il n'y a que du baroque ; en dehors de l'art tel que l'ont compris et pratiqué les anciens, il n'y a, il ne peut y avoir que caprice et divagation. Croyons ce qu'ils ont cru, c'est à dire la vérité, la vérité qui est de tous les temps. Traduisons-la autrement qu'eux, si nous pouvons, dans l'expression, mais sachons comme eux la reconnaître, l'honorer, l'adorer en esprit et en principe, et laissons crier ceux qui nous jettent comme une insulte la qualification «d'arriérés ».

Ils veulent de la nouveauté! Ils veulent, comme ils disent, le progrès dans la variété, et pour nous démentir, nous qui recommandons la stricte imitation de l'antique et des maîtres, ils nous opposent la marche des sciences dans notre siècle. Mais les conditions de celles-ci sont tout autres que les conditions de l'art. Le domaine des sciences s'agrandit par l'effet du temps; les découvertes qui s'y font sont dues à l'observation plus patiente de certains phénomènes, au perfectionnement de certains instruments, quelquefois même au hasard. Qu'est-ce que le hasard peut nous révéler dans le domaine de l'imitation des formes? Est-ce qu'une partie du dessin reste à découvrir? Est-ce que, à force de patience ou avec de meilleures lunettes; nous apercevrons dans la nature des contours nouveaux, une nouvelle couleur, un nouveau modelé? Il n'y a rien d'essentiel à trouver dans l'art après Phidias, et après Raphaël ; mais il y a toujours à faire, même après eux, pour maintenir le culte du vrai et pour perpétuer là tradition du beau.
J.-A. D. INGRES



Présentation d'Henri Delaborde
Ces notes et pensées sont extraites d'un article d'Henri Delaborde, paru dans Gazette des beaux-arts (1869), dont voici la présentation.

«Les pages qui suivent sont extraites d'un volume dans lequel nous avons entrepris de réunir des éléments d'information authentiques sur les principes qui ont dirigé Ingres pendant tout le cours de sa glorieuse carrière. Écrits, paroles, œuvres peintes ou dessinées, — depuis le tableau le plus achevé jusqu'au croquis le plus sommaire, depuis la maxime didactique jusqu'au propos familier, — tout ce qui vient d'Ingres porte avec soi l'autorité d'un grand esprit et émane d'un cœur irrévocablement convaincu. Puissent les leçons et les souvenirs que nous avons rassemblés inspirer un surcroît de respect pour la
mémoire du maître ! Puissent ces exemples de passion studieuse et de constance entraîner ceux qui hésitent, persuader ceux qui doutent, et rappeler à tous que, dans le domaine de l'art, la première condition du talent est la foi, comme la plus nécessaire vertu du caractère est le courage.

Les fragmentss que nous avons essayé de classer, et dont nous reproduisons aujourd'hui quelque chose dans la Gazette, proviennent de trois sources différentes

1° Des cahiers mêmes ou des feuilles volantes sur lesquelles Ingres, à partir des premières années de son séjour à Rome, inscrivait tantôt des préceptes théoriques, 'tantôt les réflexions que 'lui avait suggérées la pratique personnelle ou l'étude des procédés employés par les anciens,
1. Ingres, sa vie, ses travaux et sa doctrine, d'après les notes manuscrites et les
lettres du maître, par Henri Delaborde. - Paris, H. Plon, 1 vol. in-8°, tantôt enfin des notes ou des explications relatives à ses propres ouvrages;
2° Des lettres successivement adressées par Ingres à ses plus intimes amis ;
3° Des notes prises séance tenante, dans l'atelier des élèves du maître, par quelques-uns de ceux qu'il venait d'encourager, de réprimander ou d'avertir.

Est-il besoin d'ajouter qu'en transcrivant les pièces que nous nous proposions de publier, nous avons scrupuleusement respecté les idées qu'Ingres entendait exprimer et les procédés de langage qu'il avait choisis? Un recueil comme celui-ci n'a de prix, ou plutôt il n'a sa raison d'être qu'autant qu'il reflète fidèlement toute la physionomie morale, toutes les habitudes intellectuelles de l'homme à la mémoire duquel il est consacré : c'est ce que nous n'avons eu garde d'oublier. Il y avait là pour nous un devoir de conscience que nous pouvions d'autant moins être tenté de méconnaître qu'une recommandation émanée du maître lui-même, à l'adresse d'un autre et dans d'autres circonstances, semblait nous le rappeler et nous le prescrire plus impérieusement. « Ingres, écrivait-il à celui de ses amis qu'il honorait d'une confiance particulière en matière de correspondance officielle, Ingres prie son cher rédacteur de mettre au net cet écrit, dans le même style, mais dégagé pourtant des fautes les plus essentielles... Il n'y faudra rien ajouter; il suffira d'éviter les redites, les mots inutiles... Je ne voudrais pas un style plus littéraire, plus élégant, meilleur enfin; je veux le mien à tous risques et périls, car il me semble, comme on l'a bien dit, que « le style c'est l'homme »».

Cette réserve dans les retouches littéraires qu'Ingres exigeait d'autrui, à propos d'un mémoire sur une question administrative, nous avoirs dû, à plus forte raison, nous l'imposer là où sa doctrine esthétique était plus directement en cause et sa personne même intéressée de plus près. Aussi nous sommes-nous attaché à notre tour à mettre en pratique les avis du maître et à conserver autant que possible aux formes de sa pensée l'accent et la vie propre qu'il avait voulu leur donner.»

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