L'ignorance totalitaire

Fernando Savater

L'expression ignorance totalitaire a été utilisée par le philosophe espagnol Fernando Savater dans un commentaire sur cette réflexion de John Kenneth Galbraith (1908-2006), dans l'un de ses derniers livres: «Toutes les démocraties actuelles vivent dans la peur permanente des ignorants.» Après avoir proposé de retirer  le mot actuelles de cette réflexion, Savater dit sa crainte de voir les démocraties glisser vers le totalitarisme. Son article a paru en 1999 avant l'avènement de l'ignorance incarnée en Sarah Palin, avant la victoire du Tea Party, aux élections américaines de mi-mandat de 2010. Il a été publié sur Internet en 2006 sur le site Le Portique

«Cependant, à quelle ignorance se réfère l'économiste et sociologue américain ? Certainement pas à la simple méconnaissance de certains faits et chiffres, noms ou dates, car nous sommes tous sujets à ce type d'ignorance inévitable. Même les personnes les plus cultivées ignorent, de manière effarante, beaucoup plus de choses qu'elles n'en savent.

Mais l'ignorance dangereuse, d'un point de vue démocratique, concerne ceux qui ne savent pas exprimer intelligemment leurs revendications sociales, ni comprendre celles d'autres groupes ;

ceux qui sont incapables d'interpréter, selon une rhétorique et une logique élémentaires, même le texte le plus simple ;

ceux qui méconnaissent non pas tel ou tel contenu scientifique, mais les règles mêmes distinguant un raisonnement scientifique d'un autre qui ne l'est pas et la portée de la perspective scientifique dans la réalité ;

ceux qui ne savent pas quelles sources consulter pour se documenter sur leurs domaines d'intérêt, ni comparer avec un œil critique les opinions en conflit.

L'ignorance particulièrement néfaste est celle de ceux qui confondent le rationnel (c'est‑à‑dire la recherche des meilleurs moyens pour se rendre maître des objets) et le raisonnable, autrement dit le meilleur moyen de traiter avec des sujets (ce qui implique non seulement de rentabiliser au maximum les bénéfices propres, mais aussi de prendre en compte les intentions et les besoins d'autrui).»

Force est de constater qu'aucun des ténors de la droite américaine, laquelle a conquis la chambre des représentants aux élections de novembre 2010, ne mérite la note de passage à cet examen. On a d'abord réduit les propos et les réalisations de Barack Obama à des mensonges grossiers dans l'unique but de le faire apparaître comme un dangeureux socialiste. Plus précisément, on a présenté comme des prises de position idéologiques des décisions, comme le soutien apporté aux banques et à l'industrie automobile, qui avaient été dictées par la nécessité. Et selon la méthode qui a si bien réussi à Hitler, on a répété et répété ces mensonges pendant des mois.

Pendant ce temps, Sarah Palin gagnait des points dans les sondages en tablant sur son ignorance.




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