Élius Adrien

Aurelius Victor
Deux courtes biographies de l'empereur Hadrien. Elle sont tirées des deux ouvrages suivants: Les Césars, depuis Octavien Auguste jusqu’au troisième consulat de Julien César et Vie et caractère des empereurs romains
XIV. Élius Adrien

Élius Adrien, qui avait plus d’aptitude pour l’éloquence et pour les fonctions civiles que pour la guerre, pacifie l’Orient et rentre dans Rome. Là, fidèle imitateur des Grecs ou de Numa Pompilius, il se mit à instituer des cérémonies, des lois, des gymnases, et prit un soin si particulier des savants, qu’il établit en faveur des beaux-arts une école qu’on appelle Athénée; il introduisit encore à Rome, d’après le rit des Athéniens, les initiations de Cérès et les mystères de Libera ou Éleusine. Puis, comme il arrive d’ordinaire au sein de la paix, et pour oublier ses fatigues, il se retira dans sa villa de Tibur, après avoir laissé le gouvernement de la capitale au césar Lucius Élius. Pour lui, selon les habitudes des hommes heureux et opulents, il fit construire des palais, mit tous ses soins à ordonner des festins, à se procurer des statues et des tableaux : on le vit enfin rechercher, avec une scrupuleuse sollicitude, tous les raffinements du luxe et de la volupté. Dès lors mille bruits coururent à sa honte : on l’accusa d’avoir flétri l’honneur des jeunes garçons, d’avoir brûlé pour Antinoüs d’une passion contre nature : c’était là, disait-on, le seul motif pour lequel il avait donné le nom de cet adolescent à une ville qu’il avait fondée; c’était pour cette raison qu’il avait élevé des statues à ce favori. D’autres, il est vrai, ne veulent voir là que le sentiment saint et religieux de la reconnaissance : Adrien, disent-ils, désirant une longue vie, consulta les devins, qui lui assurèrent que son vœu s’accomplirait, si quelqu’un consentait à mourir pour lui : chacun refusait; Antinoüs seul se dévoua généreusement; de là, tous les hommages rendus à sa mémoire, et dont nous avons parlé plus haut. Nous laisserons la question indécise, bien que la liaison d’un prince si relâché dans ses mœurs avec un homme d’un âge si disproportionné nous paraisse fort équivoque.

Le césar Élius mourut sur ces entrefaites; Adrien reconnut lui-même alors que son esprit commençait à faiblir, et que déjà le dédain remplaçait le respect qu’on lui avait porté; il convoqua donc le sénat pour créer un césar. Comme les sénateurs s’empressaient d’accourir à l’assemblée, l’empereur aperçut par hasard Antonin, qui du bras soutenait les pas chancelants d’un vieillard, son beau-père ou son père. Pénétré d’admiration à cette vue, Adrien fait légalement adopter Antonin pour césar, et ordonne de massacrer à l’instant une grande partie des sénateurs, qui l’avaient tourné en ridicule. Bientôt il mourut à Baïes d’une cruelle maladie, après un règne de vingt-deux ans moins un mois, et lorsque sa vieillesse était encore dans toute sa verdeur. Le sénat, insensible aux prières du nouveau prince, refusait de décerner à Adrien les honneurs de l’apothéose : tant il était affligé de la perte d’un si grand nombre de ses membres! Mais lorsqu’il vit reparaître tout à coup ceux dont il déplorait le trépas, chacun, après avoir embrassé ses amis, finit par accorder ce qu’il avait refusé d’abord.

source: Sextus Aurelius Victor, «XIV. Élius Adrien», tiré de Les Césars, depuis Octavien Auguste jusqu’au troisième consulat de Julien César, dans : Origine du peuple romain; Hommes illustres de la ville de Rome; Histoire des Césars. Traduction nouvelle par M. N. A. Dubois. Paris, C. L. F. Panchoucke, 1846, p. 217, 219 et 221.


XIV. Élius Adrien

Élius Adrien, d’origine italienne, fils d’Élius Adrien, cousin germain de l’empereur Trajan, et natif d’Adria, ville du Picenum, qui a donné aussi son nom à la mer Adriatique, Adrien régna vingt-deux ans. Comme il était très-versé dans les lettres grecques, on l’appelait communément le petit Grec. Imbu des études et des mœurs athéniennes, expert, non pas seulement dans la langue, mais dans tous les arts de l’Attique, il savait chanter et s’accompagner à la cithare; il était à la fois arithméticien, musicien, géomètre, peintre, sculpteur en airain ou en marbre, digne de rivaliser avec les Polyctète et les Euphranor. Enfin, il avait tellement le génie des sciences, que bien rarement peut-être la nature s’essaya à former un type si parfait. Sa mémoire incroyable lui rappelait aussitôt les lieux, les affaires, les soldats qu’il citait tous par leurs noms, même les absents. Actif, infatigable, il parcourait de pied l’étendue de chaque province, devançant toujours ceux qui l’accompagnaient, soit que, dans ses courses à travers le monde, il relevât toutes les villes abattues, ou qu’il en accrût les ressources avec les troupes d’artisans qu’il menait à sa suite. Car il avait, sur le modèle des légions militaires, classé en cohortes et en centuries les serruriers, les arpenteurs-géomètres, les architectes, en un mot tous les ouvriers propres à élever des murailles ou à les embellir. Adrien était un véritable protée, qui prenait mille et mille formes diverses : né pour les vices et pour les vertus, dont il semblait disposer en arbitre, réglant, par une sorte d’artifice, la mobilité de son esprit, il déguisait adroitement son humeur jalouse, triste, lascive, pleine d’insolence et de vanité; affectant la continence, la douceur, la clémence, tandis que, d’une autre part, il dissimulait la soif de gloire qui dévorait son âme. Trop prompt à provoquer comme à riposter par des mots sérieux, enjoués, mordants, il rendait vers pour vers, épigramme pour épigramme; on l’aurait cru réellement préparé d’avance contre tout. Les injures dont il accabla Sabina, son épouse, presque comme une vile esclave, la poussèrent au suicide. Du reste, elle répétait ouvertement qu’ayant reconnu par expérience toute l’atrocité du caractère d’Adrien, elle avait travaillé à ne pas devenir enceinte de ses œuvres pour la perte du genre humain. Vaincu par la violence d’une maladie sous-cutanée, qu’il avait supportée avec résignation, en proie à de cuisantes douleurs qu’il ne pouvait plus endurer, il fit périr plusieurs membres du sénat. Après avoir, par des présents secrets, obtenu la paix de plusieurs rois, il se vantait publiquement d’avoir fait plus de conquêtes par le repos que d’autres par les armes. Les charges publiques, celles du palais, les fonctions militaires furent soumises par Adrien à des formes nouvelles qui durent encore aujourd’hui, sauf les légers changements que Constantin leur a fait subir. Adrien vécut soixante-deux ans; enfin, à ses derniers moments, qui furent déplorables, il souffrait dans presque tous les membres des tortures si cruelles, que souvent il pria ses plus fidèles esclaves de lui ôter la vie; il s’offrait à leurs coups, et, pour qu’il ne se tuât pas lui-même, ses amis les plus chers le gardaient et veillaient à sa conservation.

source: Sextus Aurelius Victor, « XIV. Élius Adrien », tiré de Vie et caractère des empereurs romains, dans : Origine du peuple romain; Hommes illustres de la ville de Rome; Histoire des Césars. Traduction nouvelle par M. N. A. Dubois. Paris, C. L. F. Panchoucke, 1846, p. 353 et 355

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