La Gaspésie étranglée

Jules Bélanger
Payer des fonctionnaires qui planifient sournoisement la fermeture de la Gaspésie.
«Il ne s’agit pas de plaintes d’enfants gâtés ni de craintes hystériques. Les faits sont là, devant nous, tout crus, chiffrés en noir sur blanc et ils étranglent littéralement ma Gaspésie. Or, quels sont ces faits si évidents?


Des faits troublants

L’économie de la Gaspésie a toujours été problématique et elle a, de génération en génération, poussé vers les centres urbains une grande part de ses meilleures ressources humaines. Hémorragie constante. D’où croissance démographique nulle. Depuis une quinzaine d’années, la population de la région décroît annuellement d’environ 1%. On le sait, une hémorragie qui persiste entraîne fatalement la mort.

À cause d’une gestion irresponsable n’ayant pas eu le courage de prévoir plus loin qu’une prochaine élection, la morue, cette ressource qui, depuis des siècles, constituait le gagne-pain majeur de la région, a été ruinée: les bateaux de pêche sont à terre douze mois par année et les usines de transformation sont fermées. Résultat: en 1998, taux de chômage de 23,1 % en Gaspésie.

De plus, l’industrie québécoise des pêches a perdu en 1998 22 M $ par suite du non-respect de la quote-part historique du Québec dans l’octroi des quotas par le ministère des Pêches et Océans du gouvernement fédéral. Et voilà une ponction additionnelle de 11 M $ pour la Gaspésie où se concentrent 50 % des activités de la pêche commerciale au Québec.

Il y a bien, pour les travailleurs de l’industrie de la pêche comme pour les autres, les prestations d’assurance-emploi mais elles supposent un minimum modifié de semaines de travail. Or, de ce côté, en 1998, les nouvelles mesures de Monsieur Pettigrew ont privé la région de prestations pour 70 M $.

L’usine de fabrication de papier de la compagnie Gaspesia à Chandler vient de fermer l’une de ses deux machines à papier et ne prévoit pas la remettre en marche. Résultat: 200 emplois perdus.

Mines Gaspé, de Murdochville, qui employait jusqu’à 2000 personnes vers 1970, ne compte plus que 600 employés. Or, dès mars prochain, la compagnie commencera une mise à pied massive pour ne maintenir, l’été venu, que 300 emplois.


Bonne conscience cependant chez nos gouvernants

Voilà des faits chiffrés. Leurs conséquences ne le sont pas encore mais on peut assez facilement prévoir leur impact catastrophique sur une économie régionale déjà anémique. C’est vraiment le cycle infernal: aggravation du chômage, émigration accrue vers les grands centres urbains, affaiblissement démographique, réduction des services à la population entraînant de nouveaux départs, lesquels réduisent encore l’incitation à l’investissement créateur d’emplois...

Bien sûr, en Gaspésie comme ailleurs, il ne faut pas tout attendre de l’État mais celui-ci a des responsabilités dont il tarde indéfiniment à s’acquitter. Ainsi, c’est bien un lieu commun que de réaffirmer la responsabilité de l’État de trouver et d’appliquer des mesures efficaces pour répartir la richesse du pays et empêcher que les populations ne se concentrent excessivement en quelques grandes villes, entraînant ainsi le vidage dramatique des régions et, dans les villes d’accueil, les embouteillages sociaux et physiques que l’on sait.

L’État, aussi bien québécois que canadien, reconnaît théoriquement ses responsabilités en ce sens et il met périodiquement en place divers programmes et structures tels le Bureau de développement régional (BFDR), les programmes de formation d’appoint en entreprise de Ressources humaines Canada, les programmes en recherche et développement du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), le ministère québécois des Régions (MQR), le secrétariat aux Affaires régionales (SAR), les Centres locaux d’emplois (CLE), les Sociétés locales d’investissement et de développement économique (SOLIDE), etc. Tout cela peut être fort bien pensé et efficace en d’autres régions du Québec mais, en Gaspésie, ça ne suffit pas. Les faits ci-dessus étalés ne le montrent-ils pas à l’évidence?

Nos gouvernements connaissent très bien l’échec de leurs programmes en Gaspésie et ils continuent de clamer bien haut leur foi en la nécessité pour un pays de cultiver la vie en ses régions comme en ses centres urbains. Ces professions de foi donnent bonne conscience politique mais ça ne suffit pas. Ces programmes, inefficaces en Gaspésie, sont souvent conçus par des fonctionnaires qui ne croient pas en l’avenir de la Gaspésie et qui ne voient en leurs propres inventions que des baumes temporisateurs ou des cataplasmes pouvant faire rêver pendant que le vidage démographique se poursuit. Aussi doivent-ils se dire secrètement que lorsque la région sera enfin fermée le problème sera réglé.

Nos gouvernements doivent regarder les choses en face, reconnaître humblement l’échec de leurs programmes en Gaspésie, vérifier chez leurs fonctionnaires concepteurs de ces programmes l’authenticité de leur foi en l’avenir de la région et assumer courageusement leurs responsabilités. Il faut chez nos gouvernements une volonté politique capable de contrer les manoeuvres d’une fonction publique qui cache habilement ses intentions. On se souviendra, par exemple, de l’opposition larvée de certains fonctionnaires à la décision de René Lévesque de transférer en Gaspésie la Direction générale des Pêches maritimes (DGPM). «Il est plus difficile d’amener ces fonctionnaires en Gaspésie, avait dit le premier ministre, impatienté, que de faire nager les morues vers Québec». Eh bien, ces fonctionnaires ont, à toutes fins utiles, gagné leur point, même s’il leur a fallu pour cela attendre le départ de René Lévesque.

Et que l’on ne tente pas ici de rejeter sur une quelconque mentalité gaspésienne toute la responsabilité de ce marasme économique en Gaspésie. L’acharnement au travail, l’ingéniosité et l’esprit d’initiative font partie du bagage génétique et de la réputation des Gaspésiens. Pourraient en témoigner les milliers de familles montréalaises qui, pendant des générations, ont bénéficié des services domestiques de nos jeunes Gaspésiennes. Pourraient en témoigner les contremaîtres des divers chantiers de construction au Québec ou ailleurs, grands ou petits, de ceux de la Manic ou de la Baie de James à ceux des plus humbles entrepreneurs de la métropole. En a témoigné récemment le patron d’une importante usine montréalaise de boites d’emballage qui affirmait: «J’ai 240 employés et pour entrer ici il faut être Gaspésien». Il y a là des faits indiscutables.


Quelques suggestions à nos gouvernants

Et si cette volonté politique devenait réalité, y aurait-il un avenir pour la Gaspésie? Évidemment, cette péninsule québécoise d’une superficie de 21 000 kilomètres carrés, soit plus de la moitié de celle de la Suisse, cette région dotée de beautés naturelles exceptionnelles, baignée en pleine mer et située sur la route même reliant la vieille Europe au continent américain, offre de nombreuses possibilités d’avenir non encore ou mal exploitées. Qu’on y fasse se pencher quelques experts ayant la foi! En attendant, voici, de la part d’un profane en la matière, à titre d’exemples et à titre gratuit, quelques suggestions de voies à explorer.

- Les pêches: Nos stocks de poisson de fond vont se reconstituer. Les super chaluts et les phoques protégés par la campagne débile de Brigitte Bardot n’ont heureusement pas réussi à détruire tous les reproducteurs ni tous les oeufs qui couvaient dans les profondeurs de la mer. Il faut penser dès maintenant à des mesures de contrôle des quotas et de la puissance destructrice des engins de pêche modernes. Il faut penser à des mesures non tributaires des élections. Il y a aussi l’élevage de la morue et d’autres espèces, dont les techniques ont déjà été mises au point par plusieurs pays nordiques À défaut d’inventer, inspirons nous des succès des autres.

- Le tourisme: La plus importante industrie du monde a, en Gaspésie, un potentiel trop partiellement exploité. Les attraits touristiques de la péninsule méritent d’être mieux connus et beaucoup plus loin que sur le seul territoire où les téléspectateurs ont pu regarder «L’ombre de l’épervier». Une promotion adéquate doit attirer d’autres touristes que ceux de la saison d’été. Le transport aérien peut y contribuer mais à condition que soit corrigée cette aberration qui fait que, très souvent , il en coûte plus cher à un Montréalais de voler vers Gaspé que vers Paris.

- Le transport maritime: La Gaspésie possède un port de mer naturel ouvert sur l’océan, tout un potentiel pour un pays! Ce port naturel en eau profonde est reconnu comme l’un des plus beaux du monde. C’est un port dont le gouvernement du Canada - Uni fit en 1860 un port franc ou port libre, statut intéressant qu’il fallut sacrifier en 1866 pour faciliter la naissance du pacte fédératif de 1867. De plus en plus, la remontée du fleuve Saint-Laurent deviendra difficile pour les cargos géants. Les écologistes veillent au grain et les armateurs préfèrent utiliser de plus gros navires. Le port de Gaspé offre des possibilités à faire rêver de nombreux pays.

- Les mines: Les ressources du sous-sol gaspésien sont en grande partie connues. L’exploration n’est cependant pas terminée et il faut accélérer la mise au point des techniques modernes d’extraction qui feront de nombre des gisements déjà identifiés des mines productives.

- Les nouvelles technologies de communication: Dans de nombreux types d’emplois, la distance entre l’employé et son employeur n’est plus un problème, l’informatique ayant aboli les distances. Pensons à des emplois comme ceux des centres téléphoniques, de traduction, d’ infographie, etc, etc. À ce chapitre, l’expérience et les conseils de l’ex premier ministre du Nouveau-Brunswick pourraient être pour nos gouvernants d’un précieux secours.


Le Québec a besoin de ses régions. Le principe est acquis. Il reste à passer aux actes. Sous un gouvernement du Parti Québécois, le développement des régions sera l’une des voies privilégiées pour accélérer la modernisation politique, économique et sociale du Québec (Programme officiel du Parti Québécois, 1991, p. 87).


Gaspé, le 8 mars 1999.»

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