Impressions de voyage: Grenade et l'Alhambra

Basile Routhier
Équipage fantastique. — Ascension pittoresque à la citadelle de l'Alhambra. — Le généralife. — Les jardins de Sémiramis. — L'Alhambra..—Caractère militant de l'Islamisme. — Chant de guerre du Coran. — La Porte de Justice et son véritable portier. — La Montagne des larmes.
GRENADE. — Notre arrivée à Grenade a quelque peu ressemblé à un rêve, troublé de cauchemars. C'était la nuit, mais une nuit sans lune, avec des nuées de pompiers qui arrosaient la terre à torrents. Pas une étoile, pas même une filante, n'accordait un regard à cette terre privilégiée de l'Andalousie.

En sortant de la gare, je demandai l'hôtel de los Siete Suelos. Un cocher fantastique surgit de l'ombre à cette appellation, et nous entassa dans une voiture étrange, traînée par quatre ou cinq bêtes efflanquées qui ressemblaient à des chevaux. D'autres voyageurs arrivèrent, montèrent à l'avant de l'omnibus, et se logèrent dans une espèce d'alcôve que je ne saurais vous décrire, mais qui était déjà encombrée de colis. Puis notre automédon de féerie s'installa quelque part sur la queue des chevaux, leur adressa un juron cabalistique qu'ils parurent comprendre, fit claquer un fouet sonore, et notre équipage fantôme s'ébranla.

La pluie fouettait les vitres. Le mistral, ou le siroco, ou le levantin, peut-être les trois, chantaient ou plutôt sifflaient un trio cacophonique. Quelques réverbères mourants nous regardaient passer d'un œil attristé. Le chemin pavé de cailloux était plein d'ornières, et notre chariot se détraquait et criait.

Nous montions dans des rues sombres, et si étroites qu'en tendant les bras à travers les vitres brisées nous touchions les murs des maisons de chaque côté. La ville semblait morte, mais nous vîmes bien le lendemain qu'elle n'était qu'endormie. Les chevaux se plaignaient, le fouet claquait, et le cocher jurait.

Nous montions toujours et nous n'arrivions jamais. Tout à coup nous passons sous une porte mauresque, et nous entrons dans une forêt. Où allons-nous donc? Nous avons traversé toute la ville, et nous voici dans un bois, gravissant une montagne.

Les chevaux essoufflés s'arrêtent et regimbent contre l'aiguillon. Le cocher descend et leur administre une volée de bois vert. Nous repartons, et, nous nous enfonçons sous une voûte de verdure. De chaque côté de la route tourbillonnent des torrents qui descendent en criant vers la ville. Les grands arbres qui nous abritent ruissellent.

Enfin, une pâle lumière apparaît dans le lointain à travers les branches feuillues, et nous arrivons à une porte qui s'illumine. C'est la Fonda de los Siete Suelos, l'Auberge des Sept Tours.

Le lendemain; nous étions émerveillés d'être encore de ce monde, et nous avions devant nous le plus splendide panorama que l'on puisse voir, éclairé par un soleil de juin, quoique nous fussions à la fin de décembre.

Cependant, nous n'avions pas fini de monter; car pour aller voir le Généralife il fallait faire encore une ascension. La route serpente au milieu des eucalyptus et des orangers, parmi lesquels se cachent quelques carmens orientaux. La pluie d'hier a verdi toutes choses, et les haies de cactus mêlent aux bords du chemin leurs feuilles épaisses et de teintes différentes, comme une marqueterie de verdure.

Le Généralife était la maison de campagne des rois maures, et il est assis sur le versant d'une montagne, qui domine toute la ville, et même les hautes tours et les palais de l'Alhambra.

Il n'est plus que l'ombre de ce qu'il était, et comme toutes les résidences mauresques il n'a aucune apparente extérieure. Mais l'intérieur est ravissant. L'artiste maure ne faisait rien pour le public, rien qui put attirer les regards du passant; mais il déployait toutes les ressources de son génie pour le roi et les favorites. Salles, galeries, pavillons, promenoirs, il sculptait, ciselait, ornait, peignait et dorait tout.

Le marbre est taillé, découpé, poli, percé à jour comme de l'albâtre. Le stuc est fouillé comme une dentelle, et peint avec une variété infinie de dessins et de couleurs. Les plafonds en stuc ciselé forment des arcs, des voûtes, des coupoles de toutes formes, et d'où pendent des milliers de stalactites.

Les patios sont des parterres où murmurent mille jets d'eau, qui alimentent les fleurs et les touffes de verdure, autour des bassins de marbre. Les cyprès s'y courbent en arcs et en coupoles; les lauriers, les buis et les myrtes s'arrondissent en berceaux; les manzanillas dressent leurs petits panaches lilas, comme autant de bouquets, et les macassars laissent pendre leurs aigrettes embaumées.

Autour des parterres circulent les promenoirs percés d'arcades, ouvertes des deux côté, et par lesquelles le promeneur peut admirer à droite les plates-bandes fleuries, et à gauche un horizon immense.

À chaque instant, vous croyez avoir tout vu, et toujours on vous réserve une surprise nouvelle. Les parterres s'étagent les uns au-dessus des autres, reliés entre eux par des escaliers de marbre, et des arcades à colonnes. Ce sont les jardins suspendus de Sémiramis.

Vous montez les escaliers entre des haies de myrtes et de lauriers, d'où jaillissent les rosiers en fleurs, et à chaque palier circulaire vous trouvez une vasque de marbre et un jet d'eau, jusqu'à ce que vous arriviez au mirador. C'est la tour la plus élevée, et elle est couronnée d'une terrasse à arcades.

Quel panorama incomparable se déploie alors sous vos yeux! À vos pieds l'Alhambra, et cent mètres plus bas la ville. C'est un vertige, car vous êtes à une hauteur de plus de deux mille pieds, et le versant de la montagne est un immense escalier dont chaque degré est un parterre.

Mais notre impatience de voir l'Alhambra nous fit descendre bien vite de ces hauteurs; et nous arrivâmes par un chemin embaumé, en écoutant la musique des ruisseaux qui descendent des Sierras voisines.

L'Alhambra est le chef-d’œuvre de l'art mauresque, et l'on s'étonne, en le contemplant, que le génie musulman ait pu produire une telle merveille.

Ce n'est pas seulement un palais, ou plutôt une réunion de palais jetés comme au hasard au milieu de jardins féeriques, c'est encore une forteresse et des plus formidables. Quand on aperçoit d'en bas, c'est-à-dire de la ville, ses hautes murailles percées de meurtrières, ses bastions et ses tours crénelées qui se dressent au sommet d'une montagne escarpée, l'on comprend le caractère essentiellement militant de l'Islamisme.

C'est par la force des armes qu'il voulait imposer ses croyances, et il avait rêvé de conquérir l'univers. Le Coran lui-même était bien fait pour fanatiser ses croyants, et les exciter à la guerre. Sous les voûtes sombres des mosquées, lorsque la foule se prosternait le front dans la poussière en adorant Allah, la voix de leurs pontifes s'élevait, et leur lisait ces textes du Coran qui les électrisaient:

"Allah a ordonné de combattre les peuples, jusqu'à ce qu'ils reconnaissent qu'il n'y a qu'un Dieu.

"La flamme de la guerre ne s'éteindra pas jusqu'à la fin du monde.

"La bénédiction tombera sur la crinière du cheval de guerre jusqu'au jour du jugement.

"Armés de pied en cap, ou armés à la légère, levez-vous, partez!

"Préférez-vous la vie de ce monde à la vie future?

"0 croyants! qu'arrivera-t-il de vous si, quand on vous appelle à la bataille, vous restez le visage tourné vers votre seuil?

"Croyez-moi: les portes du paradis sont à l'ombre des épées.

"Celui qui meurt dans la bataille pour la cause de Dieu lave dans son sang toutes les taches de ses péchés.

"Son corps ne sera pas lavé comme les autres cadavres, parce qu'au jour du jugement ses blessures répandront un parfum comme le musc.

"Quand les guerriers se présenteront à la porte du paradis, une voix demandera de l'intérieur: Qu'avez-vous fait pendant votre vie?

"Et ils répondront: Nous avons brandi l'épée dans la lutte pour la cause de Dieu.

"Alors les portes éternelles s'ouvriront, et les guerriers entreront quarante ans avant les autres.

"Lavez-vous donc, croyants; quittez vos femmes, vos fils, vos frères, vos biens, et allez à la guerre sainte.

"Et toi, ô Dieu, maître du monde présent et du monde futur, combats pour les armées de ceux qui reconnaissent ton unité! Renverse les incrédules, les idolâtres, les ennemis de la sainte foi! Brise leurs étendards, et remets-les avec tout ce qu'ils possèdent en butin aux mains des Musulmans!"

Voilà les hymnes que chantaient les Maures! Voilà comment ils devinrent des guerriers si redoutables; et quand il furent maîtres de l'empire d'Orient, des côtes du nord de l'Afrique, et d'une grande partie de l'Espagne, ils ne doutèrent pas un instant que la domination universelle ne leur fût réservée.

C’est alors qu'ils firent de l'Alhambra une citadelle formidable, dont la prise leur semblait impossible. Au-dessus de la Porte de Justice par laquelle nous entrons, l'on voit une main sculptée dans la pierre, et plus bas, une clef qui est l'image de celle de la forteresse; or, les Musulmans disaient que l'Alhambra serait pris quand cette main descendrait prendre la clef et ouvrir la porte.

C'était une espèce de commentaire de ce texte du Coran; «Dieu a remis les clefs à son élu, avec le titre de portier est le pouvoir d'ouvrir aux ennemis."

Mais il y avait à Rome un autre élu, auquel Dieu avait vraiment donné ses clefs et le titre de portier, et, pour Islam, c'était l'infidèle et l'ennemi.

La lutte s'engagea donc entre les successeurs de Mahomet et les successeurs de Jésus. Ce fut une guerre de géants qui dura des siècles, et qui se termina par triomphe du vrai dépositaire des clefs, représentant du Christ sur la terre. Un jour vint où le dernier roi maure. Boabdil, voyant que la main de pierre, ou plutôt de Pierre, le portier céleste, allait descendre et ouvrir la Porte de Justice, s'enfuit de l'Alhambra pour n'y jamais revenir!

A plusieurs milles de Grenade, l'on voit se dresser une colline où le roi fugitif vint s'arrêter, et l'on raconte que jetant un dernier regard vers l'Alhambra, il se prit à pleurer. Sa mère lui adressa alors ces paroles pleines d'amertume: «Tu peux bien pleurer comme une femme ce que tu n'a pas su défendre comme un homme.»

Cette colline porte aujourd'hui le nom de «Montagne des larmes.»

Certes, quand on a visité l'Alhambra, l'on se dit que Boabdil avait bien des raisons de pleurer. Il ne perdait pas seulement l'empire d'Occident, et son prestige auprès des Musulmans; mais, comme le premier homme après sa chute, il était chassé pour jamais d'un véritable paradis terrestre.

Lorsque je vis pour la première fois cet Eden, je restai sous le coup d'une émotion indéfinissable. Je cherchais des mots, des images, des figures de rhétorique pour exprimer mes impressions, et je ne trouvais rien. Toutes sortes d'idées plus ou moins exagérées, de visions plus ou moins fantastiques, m'assiégeaient, et quand j'essayais de leur donner une forme, je sentais qu'elle n'était pas au diapason de mon enthousiasme.

Il me semblait que j'avais fait une ascension dans les sphères de l'idéal, et que j'étais retombé sur la terre. Et pourtant ce n'était là que le paradis de Mahomet. Comment donc, me disais-je, saint Paul a-t-il pu voir le Paradis chrétien sans mourir?

Au temps de sa splendeur, l'Alhambra était toute une ville composée de quartiers militaires, de palais et de mosquées. Ses grandes tours carrées, couronnées de créneaux, qui s'élançaient des murailles, et qui s'étageaient en gravissant la montagne, étaient à l'intérieur autant de palais.

Il est impossible aujourd'hui de se faire une idée juste de l'aspect que devaient offrir toutes ces merveilles, dans la surabondance de leur vie, et dans l'apogée de leur splendeur; et quand on se représente le luxe, les richesses, les beautés artistiques que ces palais renfermaient, et la multiplicité variée des jouissances qui formaient la vie des rois maures, des sultanes et de leur entourage, on a le vertige.



LES PALAIS DE L'ALHAMBRA
La Cour des Myrtes. — Le palais de Charles Quint. — La Cour des Lion. – Les salles des Abencerages et des Favorites. — La salle des Ambassadeurs et Christophe Colomb.


Je crois vous l'avoir dit, on comprend sous le nom d'Alhambra, et la citadelle, et les palais qu'elle renferme. Aujourd'hui, ce sont les palais uniquement que je vous invite à visiter avec moi.

Nous entrons d'abord dans la Cour des Myrtes, ainsi nommée à cause des haies qui en divisent le parterre. Au milieu dort une grande pièce d'eau, où viennent se refléter les colonnes, les arceaux, les merveilleuses dentelles de stuc, les coupoles, et les hautes tours crénelées qui veillent comme des sentinelles sur cet écrin de bijoux.

Un promenoir admirable court autour du parterre, comme ceux des cloîtres, mais dans un style tout autre. Ici point d'austérité, ni de grandeur, mais des beautés, des délicatesses, des séductions d'architecture et de ciselure. Tout semble fait pour plaire, sourire, charmer, inviter à la jouissance.

Les colonnes sont si finement taillées, et les chapiteaux tellement fouillés qu'on en ferait des joujoux. Les ciselures des arceaux forment un brocart si délicat que les femmes s'en couvriraient volontiers les épaules, comme de la plus admirable mantille. Il y a des coupoles si mignonnes, si jolies, si finement ouvragées et brodées, si admirablement peintes qu'elles pourraient servir d'ornement à la plus belle tête d'Andalouse.

En faisant le tour de la Cour des Myrtes, par la droite, nous arrivons d'abord à une large porte qui conduisait jadis au palais d'hiver des rois maures. Malheureusement, les artistes de Charles-Quint ont eu la malencontreuse idée de détruire ce chef-d'œuvre, pour y élever un vaste palais dans le style de la Renaissance, et cette construction massive, et sans élégance, est restée inachevée. C'est maintenant une ruine disgracieuse dont les quatre murs font l'effet d'un édifice incendié.

Plus loin, toujours à droite, nous entrons sous une petite arcade délicieuse, attirés par l'admirable perspective qui se déroule au-delà, et, après quelques pas, nous poussons des cris d'enthousiasme: nous sommes dans la Cour des Lions.

C'est la merveille de ce monde de merveilles. Rien ne peut rendre la beauté de la colonnade, le luxe des ornements, le fini des détails, la symétrie des lignes, le charme des perspectives.

Quelle grâce et quelle légèreté dans ces arcades! Quelle élégance et quelle harmonie dans ces coupoles! Quelle originalité et quels caprices dans ces dessins! Quel art dans cet ensemble d'ornements composés d'inscriptions arabes tirées du Coran! Car les murs et les voûtes de l'Alhambra sont couverts de six mille six cent soixante six textes de l'œuvre de Mahomet.

Ce n'est pas la majesté, ni l'élévation de l'art gothique. Ce n'est ni la régularité de l'art grec, ni l'étrangeté des formes égyptiennes. C'est un art oriental nouveau, ayant sa propre originalité, et ses règles propres.

Sans doute, il s'est révélé à Fez, à Tunis, au Caire, à Constantinople, et il y a produit des œuvres monumentales. Mais c'est ici, sous le beau ciel de l'Andalousie, au souffle des brises embaumées qui descendent des Sierras, parmi les palmiers qui courbent leurs grands éventails, c'est ici que l'art d'Islam a donné la mesure de sa force, et produit son plus beau joyau.

A chaque extrémité de la Cour des Lions s'avance un pavillon, formé de colonnes qui supportent une coupole, et ces colonnes, comme celles qui s'alignent autour du promenoir, sont tantôt géminées, tantôt isolées, et tantôt groupées de manière à former une perspective enchanteresse. Les arceaux, découpés comme une dentelle, sont de dimensions et de formes différentes; les dessins des ornements sont variés à l'infini; les plafonds sont sculptés et peints avec une exubérante richesse. Mais les coupoles sont peut-être ce qu'il y a de plus beau.

Tantôt coniques, tantôt pyramidales, octogones ou hexagones, imitant ici une orange, et là l'écorce de l'ananas, elles sont creusées, bosselées, fleuries, ciselées, coloriées et dorées.

Supposez un petit peuplier lombard très feuillu, couvert de givre et de glace; imaginez les rayons du soleil jouant dans ces prismes mobiles, et y multipliant à l'infini toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et vous pourrez peut-être vous faire une image de ces gracieuses coupoles.

Sur l'un des côtés de la Cour des Lions s'ouvre la salle des Abencerages, et sur l'autre, la salle des deux Sœurs, ou des Favorites. Dans la première eut lieu, suivant une légende que plusieurs historiens ont acceptée comme un fait historique, le massacre des malheureux Abencerages au nombre de trente six, et l'on nous montre encore le pavé de marbre que l'on croit taché de sang, mais qui en réalité n'est que rouillé. Dans la seconde, ont dû s'accomplir bien des événements, moins sanglants mais plus romanesques encore. Car c'est là que les sultanes endormaient leurs rêveries, et se penchaient aux balcons de leurs miradors, pour aspirer les parfums des orangers en fleurs.

D'autres arcades nous introduisent dans la salle des Ambassadeurs, spacieuse et non moins ornée que les autres. Mais ici un souvenir historique absorbe notre attention, et ce n'est pas sans émotion que nous nous reportons à l'époque des mémorables événements que cette salle nous rappelle.

C'était en l'année 1492. Gonzalve de Cordoue venait enfin d'expulser définitivement les Maures de l'Espagne, et les rois catholiques avaient remplacé les Musulmans dans les somptueuses demeures de l'Alhambra. Ferdinand et Isabelle avaient réuni leur cour dans cette salle, et donnaient audience à un ambassadeur d'un nouveau genre. Car l'ambassade qu'il sollicitait devait le conduire vers un pays que personne ne connaissait encore, et dont l'existence était même problématique.

Il se nommait Christophe Colomb, et c'est dans cette salle qu'après l'avoir entendu, le roi et la reine d'Espagne lui remirent enfin tous les pouvoirs qu'il demandait, pour le monde inconnu qu'il allait ouvrir à la civilisation chrétienne.

Il deviendrait fastidieux de pousser plus loin la description de toutes les beautés de l'Alhambra. Car chaque tour en contient de nouvelles, et leur énumération seule serait un long travail.

Qu'il me suffise d'ajouter qu'à l'intérieur de ces tours, dont l'extérieur a l'aspect sévère et formidable de forteresses, il y a des boudoirs où tout invite au plaisir et à l'amour. L'art mauresque y a prodigué des ornements et des décors, qui ont quelque chose du rêve.

C'est idéal, fantastique, féerique, comme les visions que doivent avoir les fumeurs de kif, et les buveurs d'opium.

La symétrie en est sensible, mais à peine visible, tant le mouvement donne de variété et de grâce à ses lignes capricieuses et légères.

Les formes sont réelles, et cependant l'on croirait que c'est une illusion d'optique qui déroule ses jeux fantaisistes dans une lumière voilée, et que tout cela va s'évanouir quand apparaîtra la réalité.

Quel magique coup d'œil devaient donc offrir ces palais quand les sultanes animaient leurs splendeurs et variaient leurs perspectives, quand des eaux parfumées jaillissaient de toutes ces fontaines, quand les fleurs ornaient ces niches, quand des tentures, de soie aux couleurs variées encadraient ces portes, et tamisaient la lumière qui descendait des coupoles!

C'est alors qu'il fallait voir la salle de la Baraka, ou bénédiction, et celle de las dos Hermanas, ou des Deux-Sœurs, et le cabinet de Lindaraja, la sultane favorite, et le mirador de la Reina, et tout ce monde de merveilles.

Aujourd'hui, tout cela s'en va en ruines; mais que ces ruines sont belles! si belles que les artistes font le voyage d'Espagne uniquement pour les voir.

Les murs du mirador qu'a habité la reine Isabelle, après la conquête de Grenade, sont couverts des noms des visiteurs, et l'on y voit ceux de Châteaubriand, de Byron et de Victor Hugo.

Washington Irving a vécu pendant deux ans dans le bas d'une des tours, et c'est là qu'il a écrit ses beaux ouvrages sur l'Alhambra et la conquête de Grenade.

Voici la nuit; arrachons-nous de ce séjour enchanté, et demain nous irons visiter comme contraste les habitations des Gitanos.

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