L'ordinateur et le système binaire

L'Agora
Comment une découverte d'abord perçu comme preuve de l'existence de Dieu est devenue le langage des ordinateurs aussi bien que le support des images, des sons et des textes.
L'ordinateur est lui-même au sommet de la hiérarchie des machines. Il est aussi au sommet de la pyramide de l'abstraction.

Quand je frappe la lettre "a" sur un clavier de machine à écrire ordinaire, je sens la résistance de la touche et j'entends le bruit du marteau où est inscrit le caractère "a". J'actionne en fait un levier.

Quant je frappe la lettre "a" sur un clavier d'ordinateur, je fais surgir huit impulsions électriques, réparties en deux catégories, des faibles et des fortes si l'on veut, qui correspondent par convention à des 0 et des 1. Le code pour "a" est 01000001.

A l'intérieur de l'ordinateur, la série 01000001 déclenche des signaux lumineux qui deviennent un "a" sur l'écran. Le code* pour "b" est 01100010, pour "c", 01100011, pour 2, 00110010, pour 3, 00110011, etc. Toute information destinée à l'unité centrale de l'ordinateur est ramenée à des séries de 0 et de 1, lesquels sont appelés bits, de l'anglais binary digit, chiffre binaire. Plus précisément le mot bit désigne l'un ou l'autre des deux états que peut prendre un élément de mémoire dans l'ordinateur. Les ensembles de huits bits correspondant aux lettres et aux chiffres sont appelés octets (du latin octo, huit).

(Le mot code au sens qui lui est donné ici a d'abord appartenu au vocabulaire de la marine. Les capitaines ont vite compris qu'ils avaient intérêt à s'entendre entre eux sur des signaux, sonores ou lumineux, indiquant par exemple que leur navire est en détresse. Le signal de détresse est un bruit (coup de canon ou l'équivalent) répété à une minute d'intervalle environ. Le mot code a été utilisée ensuite en télégraphie, ou X impulsions consécutives signifient telle chose, Y impulsions telle autre, etc. )


Peut-on imaginer un langage plus simple... et plus abstrait? L'alphabet y est en effet réduit à deux éléments.

Ce langage était à l'origine un système de numération de base 2, appelé pour cette raison système binaire. Il ne s'agit pas là d'une simple convention commode, mais d'une découverte géniale dont l'histoire jette une lumière indispensable à la compréhension de l'ordinateur.

On trouve partout des multiples de 2 dans le jargon de l'informatique. Nous savons déjà ce que c'est qu'un octet. Un ensemble de mille octets donne un kilo-octet, K en abrégé. Quand on dit d'un ordinateur qu'il est de 64 Megs, on veut dire que sa mémoire peut contenir 64,000,000,000 octets.

Ne serait-ce qu'à cause de l'usage qu'on en fait dans les ordinateurs, le système binaire apparaît désormais comme une découverte majeure. Or on l'utilise aussi de plus en plus dans les communications en général et notamment dans l'enregistrement des oeuvres musicales. Quand nous faisons tourner un disque compact par exemple, les sons qui parviennent à nos oreilles ont subi des transformations semblables à celle de la lettre "a" entre le moment où je frappe la touche "a" sur le clavier et celui où la lettre "a" apparaît sur l'écran.

Pourtant, si celui qui a découvert ce système, le philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz n'avait pas accédé à la gloire par d'autres moyens, il n'aurait sans doute jamais eu son nom dans les dictionnaires. Le système binaire passa d'abord inaperçu. Même au XVIIe siècle, il n'eut que très peu de partisans; puis on a fini et assez vite par n'en plus parler du tout.

Leibniz aurait-il commis l'erreur d'en souligner la beauté, voire même le caractère divin, à une époque où les découvertes s'imposaient d'abord par leur utilité. Quand il a créé le monde, Dieu, nous dit Leibniz, ne pouvait penser qu'en binaire. La série des nombres binaires, qui s'engendrent eux-mêmes selon des lois simples, à partir de bases encore plus simples, l'unité et le zéro, (Dieu et le néant) est en effet empreinte d'un tel ordre, d'une telle harmonie qu'il a paru tout naturel à Leibniz de l'assimiler à l'acte créateur. C'est pourquoi il proposa au Duc de Brunswick, son protecteur, de faire frapper un médaillon pour rehausser son prestige en soulignant cette découverte.

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