Le dépeuplement du centre historique de Prague

Alain Slivinsky
Le centre de la capitale de la République tchèque, Prague, se dépeuple. Au cours des dix dernières années, le nombre des habitants de son premier arrondissement a baissé d'un cinquième.
C'est vrai: le centre de Prague est abandonné par ses habitants. En effet, les loyers sont tellement chers que «Monsieur tout le monde», n'est pas capable de les payer. Ils ne sont à la portée que de riches sociétés ou de magasins de produits de luxe, pas à celle du boulanger ou épicier du coin, encore moins d'autres petits commerces qui y florissaient, jadis. Le centre historique de Prague, représenté par le premier arrondissement, en partie par Prague 2, vit une véritable dépopulation. Il se transforme, peu à peu, en une sorte de musée, garni seulement de bureaux, de magasins de porcelaine, de cristal ou de bijouteries. Ajoutons, encore, les innombrables marchands ambulants, offrant plutôt de la pacotille d'un goût des plus douteux, les non moins innombrables salles de jeu, avec les incontournables machines à sou et, on a du mal à croire qu'on se trouve dans le centre de Prague la Dorée, la ville aux cent tours!

Sous le communisme, le climat était, certes, des plus ternes, dans le centre, mais... il vivait. Pas question de défendre ce système totalitaire, heureusement disparu, de nos jours, mais les chiffres sont là, et ne sont pas du tout réjouissants: il y a dix ans, 43 000 personnes vivaient dans le centre de Prague. Aujourd'hui, elles ne sont plus qu'environ 30 000! Au cours de la même période, la superficie occupée par les luxueux bureaux de riches sociétés a plus que doublé. Quelles sont donc les privilégiés qui ont les moyens de payer des loyers énormes? Les institutions bancaires, les cabinets d'avocats, les entreprises spécialisées dans l'informatique. Le centre perd, progressivement mais sûrement, son charme traditionnel. À la fin des heures de travail, dans la soirée, les fenêtres s'éteignent, les unes après les autres. Le métro et les trams se remplissent pour transporter les employés du centre à la périphérie, très souvent même, en dehors de Prague, à des dizaines de kilomètres... À la nuit tombée, on ne rencontre plus que des touristes, sur la place Venceslas ou sur les autres avenues, dans les petites rues et ruelles du noyau historique pragois. Des touristes du monde entier, qui prennent des photos, certes, mais de bâtiments historiques vides. On se croirait dans une ville fantôme, victime d'on ne sait quelle catastrophe. Catastrophe? Oui, celle de la puissance de l'argent...

Hé oui! Le phénomène de l'argent... qui fait du centre historique de Prague l'une des agglomérations les plus chères d'Europe. Vous auriez envie, vous Pragois de souche, de prendre un petit rafraîchissement, sur la place Venceslas ou celle de la Vieille Ville? Je vous assure que vous aurez du mal à trouver un établissement au goût de votre porte-monnaie! En effet, les prix des petits noirs, d'un bock de bière ou d'un apéritif sont indexés sur ce que les tenanciers appellent la moyenne européenne - en général la référence est l'Allemagne voisine. Cela veut dire que pour un bon magnum de Pilsner Urquell, qui vous coûtera un peu plus de la moitié d'un euro, dans les autres quartiers pragois, dans le centre vous payerez facilement deux, voire trois euros. Un prix à la portée du touriste, mais pas du tout du Pragois qui aurait envie de se désaltérer. Pire encore, si vous voulez consommer un petit quelque chose. Les petits buffets de tous genres, les épiceries, les petits cafés du coin ne sont plus. L'autre jour, je revenais du consulat français, qui se trouve dans le quartier historique de Mala Strana, sous le Château de Prague... Onze heures sonnaient au clocher de l'église Saint-Nicolas, mais aussi dans mon estomac. Un petit casse-croûte aurait fait l'affaire. Hé bien, croyez-moi, dans tout le quartier, je n'ai pas trouvez ce que mes entrailles me réclamaient à grands cris et gloussements divers. Je n'avais pas envie, en effet, de prendre un hot dog, un hamburger ou autre fast food au drapeau étoilé, chose que je déteste bien qu'aimant bien les « YOUSEÏ » et, continuant mon chemin à travers Mala Strana, rempli de touristes, traversant le pont Charles, porteur de ses statues et de touristes, me faufilant dans les petites rues de la Vieille Ville, à travers les touristes, je rentrai chez moi le ventre creux, mais heureux de me retrouver dans mon quartier, Zizkov qui, lui, était bien vivant et où l'on parlait bien le tchèque et pas je ne sais quel langage.

C'est triste, quand même. Le Pragois ne se rend plus dans le centre de sa ville que quand il en a besoin, souvent pour accomplir des formalités administratives. Les gens le fuient ou sont contraints de le quitter. La vie y est trop chère, les magasins courants font défaut. À propos de magasins: même les guides des agences touristiques font remarquer que leurs clients ne sont pas intéressés par tous ces magasins de cristal et autres. Après l'excursion, ce qui leur dit le plus c'est un bon établissement à couleur locale, où ils pourront savourer la véritable atmosphère de Prague, y rencontrer ses habitants. Ils sont souvent bien déçus, car ce genre d'établissement se fait de plus en plus rare, on commence à les compter sur les doigts des deux mains! Plus de Pragois dans le centre, au crépuscule, mais plein de voitures et pire encore, la disparition de bâtiments historiques, ayant possédé et donné une véritable vie, qui sont remplacés par des constructions en acier et en verre, au beau milieu de ce que le visiteur de Prague a toujours admiré: du baroque, de l'Art Nouveau, une architecture historique. Le «macdo» se pavoise dans un palais historique de l'avenue piétonnière, Na Prikope, se mirant presque dans les glaces d'un centre commercial d'une architecture portant les stigmates de La Défense parisienne, mais aussi le nom d'un grand sculpteur du siècle passé. Quelle ironie, quand ce centre Myslbek trône en dominateur sur une belle promenade, ornée de palais baroques ou Art Nouveau, avec leurs fioritures, leurs couleurs chatoyantes. Lui, il reste hautain, vert de vase, antre du luxe, qui n'a rien à offrir au Pragois moyen, mais qui lui a raflé le dernier espace libre sur un boulevard où les emplettes étaient agréables, jadis.

Arrêtons, quand même, les lamentations. À part quelques extravagances, telle «La maison dansante» sur la rive droite de la Vltava, le génie architectural de Prague n'a pas encore été trop touché. Pourtant, d'autres bâtiments du troisième millénaire font leur apparition, de temps à autre, dans le centre de la ville aux cent clochers. Centres administratifs, galeries commerçantes de luxe, rien de bon pour le Pragois. La mairie est bien consciente du phénomène de désertisation du centre. Elle avoue qu'elle est impuissante à le contrer: la plupart des bâtiments appartiennent à des propriétaires privés, la loi ne permet pas d'en contrôler l'exploitation. Comme le dit un guide d'une agence touristique, Jirina Fleischmanova: «Si cela continue, le centre ne présentera plus rien de typiquement pragois, ce sera un Disneyland international. Il n'y aura plus de Pragois, mais pas de touristes non plus. Pourquoi ces derniers viendraient-ils, en effet, visiter ce qu'ils peuvent voir n'importe où dans le monde, y compris chez eux»? A moins que le génie de Prague reprenne le dessus...

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