Vie de Néron: les derniers jours

Suétone
Vie de Néron
1e partie: les années de mesure
2e partie: les années de démesure
3e partie: les derniers jours


[La fin du règne de Néron]
XL. L'univers, après avoir supporté un tel prince un peu moins de quatorze ans, l'abandonna enfin. Les Gaulois donnèrent le signal sous la conduite de Julius Vindex, qui alors gouvernait leur province en qualité de propréteur. Les astrologues avaient autrefois prédit à Néron qu'un jour on le délaisserait: ce qui lui donna lieu de prononcer ce mot célèbre: «Toute la terre entretient le génie,» voulant par là justifier son goût pour la musique, art agréable aux princes, et nécessaire aux particuliers. Cependant des devins lui avaient promis qu'à sa déchéance, il régnerait sur l'Orient; d'autres lui avaient assigné le royaume de Jérusalem; plusieurs lui assuraient l'entier rétablissement de sa couronne. Porté à croire cette dernière prédiction, après avoir perdu et recouvré tour à tour la Bretagne et l'Arménie, il se crut délivré des maux dont le Destin le menaçait. Mais, quand l'oracle d'Apollon l'eut averti à Delphes de prendre garde à la soixante-treizième année, persuadé que c'était le terme de sa vie, sans se préoccuper en rien de l'âge de Galba, il se flatta non-seulement d'atteindre à la vieillesse, mais encore de jouir d'un bonheur constant et extraordinaire, au point qu'ayant un jour perdu dans un naufrage ce qu'il avait de plus précieux, il ne craignit pas de dire à ceux qui l'accompagnaient que les poissons lui rapporteraient tous ces objets. Ce fut à Naples, le jour anniversaire du meurtre de sa mère, qu'il apprit le soulèvement des Gaules. Il reçut cette nouvelle avec tant de calme et d'indifférence, que l'on soupçonna qu'il était bien aise d'avoir une occasion de dépouiller, selon le droit de la guerre, les provinces les plus opulentes. Il se rendit aussitôt au gymnase, et prit le grand intérêt à voir lutter les athlètes. Son souper fut interrompu par les lettres les plus inquiétantes. Dans sa colère, il menaça des plus terribles châtiments ceux qui se rendraient coupables de défection. Durant huit jours, il ne répondit à aucune lettre, ne donna ni ordre, ni instruction, et ensevelit cette affaire dans l'oubli.

XLI. Enfin, ému par les outrageantes et nombreuses proclamations de Vindex, il écrivit au sénat pour l'exhorter à le venger, lui et l'empire, s'excusant sur un mal de gorge de n'être point venu en personne. Rien, dans ces proclamations ne l'offensa plus que d'être traité de mauvais joueur de luth, et appelé Ænobarbus au lieu de Néron. Il déclara qu'il allait renoncer à son nom d'adoption, et reprendre son nom de famille qu'on lui rappelait par forme d'injure. À l'égard des autres imputations, ce qui en démontrait selon lui, la fausseté, c'était le reproche qu'on lui faisait d'ignorer un art qu'il avait cultivé et perfectionné avec tant de soin; puis il demandait à chacun s'il connaissait un musicien plus habile que lui. Cependant les messages se succédaient avec rapidité. Saisi d'effroi, il revint à Rome. Un présage des plus frivoles le rassura dans sa route. Il vit, sur un monument, une sculpture qui représentait un soldat gaulois terrassé par un chevalier romain et traîné par les cheveux. À ce spectacle, il fut transporté de joie et rendit grâces au ciel. Dans ces graves circonstances, il ne harangua ni le peuple ni le sénat. Il tint conseil à la hâte avec quelques principaux citoyens qu'il appela chez lui, et passa le reste du jour à leur faire voir des instruments de musique hydraulique d'une espèce toute nouvelle, à leur montrer chaque pièce l'une après l'autre, à discourir sur l'emploi et le mérite de chacune, et à leur assurer même qu'il étalerait tout ce mécanisme sur le théâtre, si Vindex le lui permettait.

[Défection de Galba]
XLII. Mais, à la nouvelle de la défection de Galba et des Espagnes, il fut anéanti, et, perdant entièrement courage, il resta longtemps sans voix et à demi-mort. Revenu à lui, il déchira ses vêtements, se frappa la tête, et s'écria que c'en était fait de lui. Sa nourrice le consolait en lui rappelant que de semblables désastres étaient arrivés à d'autres princes. Il répondit qu'il éprouvait des malheurs inouis et sans exemple. Néanmoins il ne retrancha ni ne diminua rien à ses habitudes de luxe et de paresse. Il fit plus: après avoir reçu de province une heureuse nouvelle, il donna un splendide festin, ensuite il chanta, avec accompagnement de gestes bouffons, contre les chefs de la défection, des vers plaisants qui furent répandus dans le public. Il se fit même porter secrètement au théâtre, et envoya dire, à un comédien qui plaisait beaucoup, qu'il profitait des «occupations de l'empereur.»

XLIII. On croit que, dès le commencement dès la révolte, il avait conçu une foule d'atroces projets dont la nature ne répugnait à son caractère. Il voulait faire égorger et remplacer les commandants des armées et des provinces, comme ces conspirateurs, tous animés d'un seul et même esprit; massacrer, en quelques lieux qu'ils fussent, tous les exilés et tous les Gaulois qui étaient dans Rome; les premiers, pour qu'ils ne se joignissent pas aux insurgés, les autres, comme complices et fauteurs de leurs compatriotes; abandonner aux armées le pillage des Gaules; empoisonner le sénat dans un festin, mettre le feu à Rome, et en même temps lâcher des bêtes féroces sur le peuple pour l'empêcher de se garantir des flammes. Il fut détourné de ces projets bien moins par le repentir que par l'impossibilité de l'exécution. Pensant alors qu'une expédition était nécessaire, il destitua les consuls avant le temps et se mit seul à leur place, sous prétexte que les Gaules, d'après l'arrêt du Destin, ne pouvaient être soumises que par un seul consul. Il prit donc les faisceaux, et, après son repas, sortit de la salle à manger, appuyé sur les épaules de ses amis. Il leur déclara que, «dès qu'il aurait touché le sol de la province, il paraîtrait sans armes aux yeux des légions, et n'aurait qu'à se répandre des pleurs en leur présence; que les séditieux seraient saisis de repentir, et que, le lendemain, dans l'allégresse commune, il entonnerait un hymne de victoire qu'il allait composer.»

XLIV. En préparant cette expédition, son premier soin fut de choisir des voitures pour le transport de ses instruments de musique, de faire couper les cheveux de ses concubines de la même manière qu'aux hommes, et de les emmener avec lui, armées de haches et de boucliers d'amazones. Mais personne de ceux qui étaient en état de porter les armes ne répondant à l'appel, il exigea des maîtres un certain nombre d'esclaves, et prit dans chaque maison les meilleurs, sans en excepter les intendants et les secrétaires. Il fit contribuer d'une partie de leur fortune tous les ordres de l'État, et obligea les locataires de maisons particulières et de maisons publiques de verser au fisc une année de loyer. Il tenait avec une extrême rigueur à ce que les espèces fussent neuves, l'argent pur et l'or éprouvé, en sorte que la plupart des contribuables refusèrent ouvertement de rien donner en s'écriant «qu'il ferait beaucoup mieux de reprendre aux délateurs les récompenses qu'ils avaient reçues de lui.»

[Indignation populaire]
XLV. La cherté des grains rendit encore plus odieux les athlètes qu'il entretenait. Au milieu de la famine publique, on annonça qu'un vaisseau d'Alexandrie avait apporté du sable pour les lutteurs de la cour. L'indignation contre lui fut générale, et il n'y eut point d'affront qu'il n'essuyât. On mit un char derrière sa statue avec cette inscription en grec: «Voici enfin le moment du combat», et celle-ci: «Qu'il le traîne enfin.» On attacha un sac au cou d'une autre de ses statues, et l'on y inscrivit: «Qu'ai-je fait, mais toi, tu as mérité le sac.» On lisait aussi sur des colonnes: «Les coqs (les Gaulois) l'ont enfin réveillé par leur chant.» Pendant la nuit, plusieurs personnes, feignant de se disputer avec leurs esclaves, réclamaient à grands cris un Vindex.

XLVI. Ses frayeurs étaient redoublées par des présages manifestes, ou récents, et par des songes qui le troublaient d'autant plus, qu'auparavant il n'avait pas coutume de rêver. Après avoir assassiné sa mère, il rêva qu'on lui arrachait le gouvernail d'un navire qu'il dirigeait, et qu'Octavie sa femme le traînait dans d'épaisses ténèbres. Tantôt, il crut en songe être couvert d'une multitude de fourmis ailées; tantôt il vit les effigies des nations, placées à l'entrée du théâtre de Pompée, l'entourer et lui fermer le passage. Son cheval asturien qu'il idolâtrait, lui apparut transformé en singe, à l'exception de la tête, et poussant des hennissements harmonieux. Les portes du mausolée s'ouvrirent d'elles-mêmes, et l'on entendit une voix qui l'appelait par son nom. Les dieux Lares, ornés pour les calendes de janvier, tombèrent au milieu des préparatifs du sacrifice. Au moment où il allait prendre les auspices, Sporus lui fit présent d'un anneau où était gravé sur la pierre l'enlèvement de Proserpine. Dans la cérémonie solennelle des vœux qu'il devait prononcer en présence de tous les ordres de l'État, on eut beaucoup de peine à trouver les clefs du Capitole. Lorsqu'on lut dans le sénat ce passage de sa harangue contre Vindex: «Les coupables seront punis et subiront une mort digne de leurs crimes,» tous s'écrièrent: «Tu la subiras, César.» On observa aussi que dans la pièce d'Œdipe exilé, la dernière qu'il ait jouée en public, il finit par ce vers:
    Tous ordonnent ma mort, épouse, père et mère.

XLVII. Bientôt on lui annonça la défection des autres armées. Il déchira la lettre qu'on lui remit pendant son dîner, renversa la table, brisa contre terre deux vases dont il aimait à se servir, et qu'il appelait homériques, parce qu'on y avait sculpté des sujets tirés d'Homère; puis il se fit donner du poison par Locuste, le mit dans une boîte d'or, et passa dans les jardins de Servilius. Là, il envoya à Ostie ses plus fidèles affranchis pour y préparer une flotte, et voulut engager les tribuns et les centurions du prétoire à l'accompagner dans sa suite. Mais les uns hésitèrent, les autres refusèrent sans détour. L'un deux s'écria même:
    Est-ce un si grand malheur que de cesser de vivre?

Alors il délibéra s'il se retirerait chez les Parthes, s'il irait se jeter aux pieds de Galba, ou s'il paraîtrait en public avec des habits de deuil pour demander du haut de la tribune aux harangues de la voix la plus lamentable, qu'on lui pardonnât son passé. Il espérait, s'il ne parvenait à toucher les cœurs, obtenir du moins le gouvernement de l'Égypte. On trouva même dans son portefeuille un discours sur ce sujet. Mais il fut détourné, dit-on, de ce dessein, par la crainte d'être mis en pièces avant d'arriver au Forum. Il remit donc au lendemain à prendre un parti. Réveillé vers minuit, il s'aperçut que ses gardes l'avaient abandonné. Il sauta de son lit et envoya chercher ses amis. Mais, n'en recevant aucune réponse, il alla lui-même avec peu de monde se présenter chez eux. Il trouva toutes les portes fermées, et personne ne lui répondit. Il revint dans sa chambre: les sentinelles avaient pris la fuite en emportant jusqu'à ses couvertures et la botte d'or où était le poison. Il demanda aussitôt le gladiateur Spicillus ou quelqu'autre qui voulut l'égorger. Mais, ne trouvant personne: «Je n'ai donc, dit-il, ni amis, ni ennemis,» et il courut comme s'il allait se précipiter dans le Tibre.

[Il se réfugie chez Phaon, son affranchi]
XLVIII. Revenu de ce premier mouvement, il chercha quelque retraite obscure pour reprendre ses esprits. Phaon, son affranchi, lui offrit sa villa située vers le quatrième milliaire, entre la voie Salaria et la voie Nomentana. Il monta à cheval, pieds nus et en tunique, comme il était, enveloppé d'une casaque usée, la tête couverte et un voile sur le visage, n'ayant pour suite que quatre personnes parmi lesquelles étaient Sporus. Un tremblement de terre et un éclair le glacèrent d'effroi. Du camp voisin il entendit les cris des soldats qui faisaient des imprécations contre lui et des vœux pour Galba. Un des passants qu'on rencontra se mit à dire: «Voilà des gens qui poursuivent Néron.» Un autre demanda: «Que dit-on à Rome de Néron?» Son cheval s'étant effarouché de l'odeur d'un cadavre abandonné sur la route il découvrit son visage et fut reconnu par un ancien soldat prétorien qui le salua. Arrivé à la traverse, il renvoya les chevaux et dans un sentier planté de roseaux, que, pour parvenir derrière la maison de campagne, il fut obligé de mettre son vêtement sous ses pieds. Phaon lui conseilla de se retirer dans une carrière d'où l'on avait extrait du sable; mais il répondit «qu'il ne voulait pas s'enterrer tout vif.» En attendant qu'on trouvât le moyen de pratique une entrée secrète dans cette villa, il puisa de l'eau d'une mare dans le creux de sa main et la but en disant: «Voilà donc les rafraîchissements de Néron.» Puis il se mit à arracher les ronces dont sa casaque était percée. Enfin il se traîna sur les mains par une ouverture étroite jusque dans la chambre la plus voisine où il se coucha sur un lit garni d'un mauvais matelas et d'un vieux manteau pour couverture. Quoique tourmenté par la faim et la soif, il refusa le pain grossier qu'on lui présentait, et ne but qu'un peu d'eau tiède.

XLIX. Cependant on le pressait de tous côtés de se soustraire le plus tôt possible aux outrages qui le menaçaient. Il fit donc creuser devant lui une fosse à la mesure de son corps, voulut qu'on l'entourât de quelques morceaux de marbre, si l'on en trouvait, et qu'on apportât de l'eau et du bois pour rendre les derniers devoirs à ses restes. Chacun de ses préparatifs lui arrachait des larmes, et il répétait de temps en temps: «Quel artiste va périr!» Au milieu de tous ces délais, un coureur remit un billet à Phaon. Néron s'en saisit, et y lut que le sénat l'avait déclaré ennemi public, et qu'on le cherchait pour le punir selon les lois des anciens. Il demanda quel était ce supplice. On lui dit qu'on dépouillait le coupable, qu'on lui passait le cou dans une fourche, et qu'on le battait de verges jusqu'à sa mort. Épouvanté, il saisit deux poignards qu'il avait sur lui, en essaya la pointe, et les remit dans leur gaine en disant «que son heure fatale n'était pas encore venue.» Tantôt il engageait Sporus à entonner les lamentations et à commencer les pleurs, tantôt il demandait que quelqu'un lui donnât l'exemple de se tuer; quelquefois enfin il se reprochait sa lâcheté en ces termes: «Ma vie est honteuse et infâme. Cela ne sied pas à Néron, non. Il faut être sage dans de pareils moments. Allons, réveillons-nous.» Déjà s'approchaient les cavaliers qui avaient ordre de l'amener vivant. Dès qu'il les entendit, il prononça en tremblant ce vers grec:
    Le galop des coursiers résonne à mes oreilles

puis il s'enfonça le fer dans la gorge, aidé, par son secrétaire, Épaphrodite. Il respirait encore lorsqu'un centurion entra. Feignant d'être venu à son secours, il appliqua sa casaque sur la blessure. Néron ne lui dit que ces mots: «Il est trop tard,» et ceux-ci: «Voilà dont la fidélité!» Il mourut en les prononçant. Ses yeux étaient hors de sa tête, et leur fixité saisissait d'horreur et d'effroi tous les spectateurs. Il avait surtout expressément recommandé à ses compagnons qu'on abandonnât sa tête à personne, mais qu'on le brûlât tout entier, de quelque manière que ce fût. Ils obtinrent cette grâce d'Icélus, affranchi de Galba, qui venait d'être délivré de la prison où on l'avait jeté au commencement de l'insurrection.

L. Ses funérailles coûtérent deux cent mille sesterces. On se servit pour l'ensevelir d'une étoffe blanche brodée d'or, qu'il avait portée aux calendes de janvier. Ses nourrices Églogé et Alexandra, avec sa concubine Acté, déposèrent ses restes dans le monument de Domitius, que l'on aperçoit du Champ-de-Mars, au-dessus de la colline des jardins. La tombe est de porphyre; elle porte un autel de marbre de Luna, et est entourée d'une balustrade en marbre de Thasos.

[Portrait de Néron]
LI. Néron avait une taille ordinaire. Son corps était hideux et couvert de taches, sa chevelure blonde, sa figure plutôt belle qu'agréable, ses yeux bleus et faibles, le cou fort, le ventre gros, les jambes grêles, le tempérament vigoureux. Malgré l'excès de ses débauches, il ne fut malade que trois fois en quatorze ans; encore ne le fut-il pas au point d'être obligé de s'abstenir de vin, ou de rien changer à ses habitudes. Il avait si peu de décence et de tenue que, dans son voyage en Grèce, il laissa retomber derrière sa tête ses cheveux, qui d'ailleurs étaient disposés en étages, et que souvent il parut en public vêtu d'une espèce de robe de chambre, un mouchoir autour du cou, sans ceinture ni chaussures.

LII. Dès son enfance, il cultiva presque tous les arts. Sa mère l'éloigna de la philosophie, qu'elle lui représentait comme nuisible à un empereur, et son maître Sénèque le détourna de l'étude des anciens orateurs, afin de fixer plus longtemps sur lui-même l'admiration de son disciple. Porté vers la poésie, il faisait des vers avec plaisir et sans travail. Il est faux, comme le croient quelques personnes, qu'il ait donné pour siens ceux d'autrui. J'ai entre les mains des tablettes ete des écrits où se trouvent quelques vers de lui fort connus. Ils sont tracés de sa main et l'on voit aisément qu'ils ne sont ni copiés, ni dictés, tant il y a de ratures, de mots effacés et intercalés. Il eut aussi beaucoup de goût pour la peinture et la scultpure.

LIII. Jaloux surtout de plaire au peuple. Il était le rival de quiconque agissait sur la multitude par quelque moyen que ce fût. Le bruit se répandit que, après ses succès de théâtre au prochain lustre, il descendrait dans l'arène avec les athlètes aux jeux olympiques. En effet, il s'exerçait assidûment à la lutte, et dans toute la Grèce, lorsqu'il assistait aux combats gymniques, c'était à la manière des juges, en s'asseyant par terre dans le stade. Si quelques couples s'éloignaient trop, il les ramenait lui-même au centre. Voyant qu'on le comparait à Apollon pour le chant, et au soleil dans l'art de diriger un char, il voulut imiter aussi les actions d'Hercule. On dit même qu'on avait préparé le lion qu'il devait combattre nu dans l'arène, et assommer de sa massue ou étouffer dans ses bras en présence du peuple.

LIV. Sur la fin de sa vie, il avait fait voeu, dans le cas où l'empire lui resterait, de paraître aux jeux qui seraient célébrés en l'honneur de sa victoire, et d'y jouer de l'orgue hydraulique, de la flûte et de la cornemuse, et de danser le Turnus de Virgile, au dernier jour de ces jeux. Quelques-uns prétendent qu'il fit périr l'histrion Pâris comme un trop redoutable adversaire.

[Son désir d'immortalité]
LV. L'envie de s'immortaliser n'était chez lui qu'une aveugle manie. Il changea le nom de plusieurs choses et de plusieurs lieux pour y substituer des noms dérivés du sien. Il appela Néronien le mois d'avril, et voulait appeler Rome Néropolis.

LVI. Il affichait partout le mépris de la religion, à l'exception du culte de la déesse Syria. Mais, dans la suite, il en fit si peu de cas, qu'il la souilla de son urine. Il eut une autre superstition, la seule à laquelle il fût opiniâtrement attaché: c'était la statuette d'une jeune fille dont un plébéien qu'il ne connaissait pas lui avait fait présent, comme d'un préservatif contre les embûches. Une conspiration fut découverte dans le même temps; et dès lors il fit de cette idole sa divinité suprême, et l'honora constamment de trois sacrifices par jour. Il voulait qu'on crût qu'elle lui faisait connaître l'avenir. Quelques mois avant sa mort, il observa aussi les entrailles des victimes, sans jamais en tirer un heureux présage.

LVII. Il mourut dans la trente-deuxième année de son âge, le même jour où il avait fait périr Octavie. L'allégresse publique fut si grande, que le peuple, coiffé de bonnets de laine, courut ça et là par toute la ville. Cependant il y eut des gens qui ornèrent longtemps son tombeau de fleurs du printemps et de l'été. Elles portaient à la tribune aux harangues tantôt des images vêtues de la robe prétexte, tantôt des proclamations qu'on lui attribuait, comme s'il eut été vivant, et qu'il dût bientôt reparaître pour se venger de ses amis. Vologèse, roi des Parthes, envoya au sénat des députés pour renouveler son alliance, et il insista vivement pour qu'on honorât la mémoire de Néron. Enfin, vingt ans après sa mort, lorsque je sortais de l'enfance, il parut un aventurier qui se disait Néron. À la faveur de ce nom supposé, il fut très-bien accueilli chez les Parthes, en reçut de grands secours, et ne nous fut rendu qu'avec beaucoup de peine.

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