Marseille au cours des années 1920: impressions de voyage
Le soir, la promenade en auto le long de la Corniche, dans une brume légère qui laisse filtrer des lumières tremblantes sur les eaux, nous happe vers l'inconnu. Partout, autour du Prado et au delà, des hôtels cossus, des quartiers neufs ont surgi. Voici le monument des morts de Salonique, arc de triomphe, porte ouverte sur l'immensité.
Le lendemain, la promenade matinale vers l'Estaque, vers la jetée neuve et l'entrée du tunnel, donne l'idée du gigantesque dans le mesuré. Rien d'emphatique, un ton naturellement noble par sa sobriété même: tout le nécessaire, mais rien que l'utile. Sur terre et sur mer, l'obstacle s'est aplani et comme lissé sous la forte main de l'homme moderne. Ni barrière, ni remparts; le passage largement ouvert s'offre à tous. C'est, sans nul doute, une psychologie nouvelle de l'humanité, brisant les portes et laissant à qui survient la voie libre.
Au retour, mon regard hésitant cherche, non sans mélancolie, les souvenirs de mes anciennes visites, la survivance d'un passé qui s'efface: le vieux port qui a vu débarquer les Phocéens, l'hôtel de ville qu'illustra Puget, le quai raboteux où les saltimbanques, - tel un La Belle, - font leurs tours devant une troupe d'enfants et de loqueteux. Joie de retrouver cette charmante église de la Samaritaine dont la façade, d'une touche si délicate, si française, est écrite d'un trait menu et fin comme un frontispice de Moreau ou d'Eisen! Délicieux jadis!... Mais, quoi! la vieillesse s'appesantit à ses regrets; elle gronde toujours; elle a peur de l'avenir qu'elle ne verra pas : "- Que seront les élections?" Ainsi va le monde, toujours inquiet, toujours tremblant depuis les Phocéens.