Discours de Louis-Joseph Papineau
Admiratif pendant les années 1820 de la Constitution et des libertés anglaises, Louis-Joseph Papineau commença vers 1830 à douter de la pertinence du modèle anglais. Le refus de Londres de rendre électif le Conseil législatif et celui des gouverneurs de sanctionner des lois affirmant le droit de regard de l'assemblée sur l'exécutif, de même que la double tentative, menée en 1811 et en 1822 par des colons anglais, de précipiter l'union des deux Canadas le convainquirent de tourner ses regards vers les États-Unis, jeune république prospère qui ne laissait pas de le fasciner. Ses discours prirent dès lors une orientation franchement républicaine. Ce sont quelques extraits des plus significatifs des discours de cette période que nous reproduisons ici, discours uniques dans l'histoire politique du Québec. Pour Papineau, la république américaine en vint à incarner un modèle de vertu publique et du libéralisme que le monarchisme constitutionnel anglais, imparfaitement transplanté au Bas-Canada en 1791, n'avait su procurer aux Canadiens.
Prononcés entre 1831 et 1834, ces discours sont remarquables en ce que d'une part Papineau y décrit les promesses et les espoirs que les différents régimes constitutionnels de la colonie, de la proclamation royale de 1763 à l'acte constitutionnel de 1791, avaient fait naître, ainsi que les déceptions engendrées par les lacunes de ces régimes et les rivalités nationales. D'autre part, ils montrent tout l'attrait que le républicanisme américain exerçait sur sa pensée, qui constituait à ses yeux la version moderne du républicanisme de la Rome et de la Grèce antiques. Désormais, mieux que le monarchisme anglais dont les révolutionnaires américains s'étaient départis, les institutions républicaines américaines paraissaient les plus aptes à garantir au Bas-Canada, également une société du Nouveau Monde caractérisée par l'égalité naturelle des conditions sociales, un gouvernement véritablement constitutionnel. Le regard jeté par Papineau sur la société bas-canadienne rejoint les observations faites par Tocqueville en 1831 : cette société est elle aussi égalitaire dans ses moeurs et dans sa composition, dépourvue d'aristocratie héréditaire ou de grandes fortunes. Papineau en tira une conséquence politique : il est absurde de vouloir y introduire les institutions monarchiques de la vieille Europe, alors que l'état social de la jeune colonie réclame un gouvernement démocratique dans tous ses aspects, capable de canaliser les talents et l'industrie de ses citoyens.
[...] On peut encore expliquer les sentiments de ceux qui opposent cette mesure en supposant qu'ils écoutent les suggestions de l'amour-propre qui leur assure que le pays ne peut rien fournir de mieux. Cependant quels membres parmi nous peuvent assurer que si le champ eut été plus libre, plus ouvert à la compétition, quelques autres n'eussent pas été élus? Pour donner à un peuple l'entier exercice de ses droits, il faut aussi lui donner l'estime de lui-même, exciter une noble émulation, lui assurer la liberté du choix. Pourquoi dans le Bas-Canada seulement ne donnerait-on pas cette facilité au peuple comme on l'a fait dans les États-Unis et dans toutes les colonies anglaises. Le peuple exigerait alors que ses membres fussent à lui, qu'ils dépendissent de lui et qu'ils servissent d'écho à ses sentiments. Un choix plus libre serait laissé aux électeurs; la société aurait un grand droit d'exiger le service de quelque personne qui méritât sa confiance, mais qui n'aurait pas les moyens pécuniaires d'accéder à sa demande...
En France où le gouvernement est représentatif, les députés du peuple, qui ne doivent être que des personnes possédant de forts revenus, et où pour être électeur il faut aussi jouir de quelque fortune; ces députés sont cependant indemnisés pour leurs services.
L'Angleterre ne doit pas être citée comme exemple, parce que là il y a des fortunes colossales, un achat et vente de sièges que nous ne connaissons pas ici... Ce n'est donc pas dans la mère patrie non plus que dans le reste de l'Europe, où l'organisation sociale est différente, où la répartition des richesses est très inégale, qu'on doit chercher des exemples; c'est plutôt en Amérique où l'on ne voit ni fortune colossale, ni pauvreté dégradante, où l'homme de génie parcourt les divers rangs sociaux sans obstacle. Dans ce pays où nous n'avons ni marine, ni armée, en un mot, où l'on ne voit aucun patronage, ce serait étouffer le germe des plus beaux talents que de ne pas faciliter les moyens à ceux qui font preuve d'heureuses dispositions, mais à qui la fortune a été ingrate, de siéger dans cette chambre. En les voyant jeunes, doués d'une capacité brillante, d'un cœur pur, pleins de courage, nous pouvons concevoir les plus grandes espérances. Le premier besoin d'un pays est d'encourager les talents, d'exciter une louable émulation, et nous devons saisir avec avidité toutes les occasions qui se présentent pour parvenir à ce but. Nous ne devons pas demeurer stationnaires à côté des habitants des pays qui nous avoisinent, où tout le système est représentatif, où tout concourt à faire naître l'émulation, à développer l'industrie. [...]
La Minerve, 17 février 1831, dans Fernand Ouellet, Papineau,textes choisis et présentés par Fernand Ouellet, Québec, Les Presses universitaires Laval, 1959, p. 44-45.
Discours sur le conseil législatif (1833)
(Des sous-titres ont été ajoutés.)
-I-
La Proclamation royale de 1763
[...] Du moment que nous devenions sujets britanniques, c'était un droit acquis, un droit de naissance et imprescriptible pour nous d'avoir une représentation. Devenus sujets britanniques nous reç[û]mes de ce titre " payant des impôts ", nous dûmes à cette charge bien plus qu'à aucun acte du parlement, notre droit inaliénable de jouir du système représentatif. Aussi dès que le traité de Paris eut consommé la cession du Canada, lorsqu'il n'y avait encore ni Charte royale, ni acte du Parlement pour introduire ce système dans la Province de Québec, le Général Murray publia-t-il une Proclamation par laquelle il invitait le pays à élire des représentants. Il eut sans doute pour prendre une démarche aussi solennelle et importante des directions des Ministres; on ne peut supposer qu'il ait adopté cette mesure de lui-même. Sans doute on se conduisit d'après l'exemple qu'offrait l'histoire d'une autre [la Jamaïque] colonie... Pourquoi la mesure adoptée par le Général Murray en 1764 ne fut-elle point suivie d'aucun effet? Ce fut dû au système d'exclusion dirigé contre les Français et les Canadiens et les Catholiques Romains. Des conseils pernicieux, étroits et persécuteurs prévalurent contre nous. Ce mal commencé d'alors dure encore, et, combiné avec cette mauvaise constitution il continue à peser sur le pays. Les représentants élus furent Canadiens et Catholiques. Leur religion qui pour eux, dans le pays de leur naissance, ne dut jamais créer aucune incapacité civile ou politique les priva de l'introduction du système représentatif des affaires... Le droit municipal anglais parut à des esprits persécuteurs et rétrécis incompatible avec le droit des gens, avec le droit international de l'Europe moderne. Des hommes honnêtes et éclairés n'auraient pas suscité cette frivole chicane, cette difficulté imaginaire... Ce furent une injustice et une erreur capitale que d'avoir laissé le pays sans gouvernement. De 1763, époque de la cession du pays, il n'y eut point à proprement parler de gouvernement légitime, mais un régime militaire; l'empire de la force, un pays caserné. [...]
-II-
L'Acte de Québec de 1774
En 1774, on déclare nul tout ce qui avait été fait précédemment; l'acte révoqua et annulla les proclamations, les ordonnances, les commissions à des officiers publics, et pour la première fois l'Angleterre publia des actes de législation pour nous, et nous eûmes une nouvelle et singulière forme de gouvernement. Il suspendit aussi l'introduction du système représentatif. Il n'est ni nécessaire, ni prudent de remonter aux premiers principes; d'examiner si ce nouvel essai de législation fut strictement légal. La province se soumit alors à ce régime et il a cessé depuis. Qu'il y eût empiétation dans la métropole ou qu'il n'y en eût pas, du moins ses intentions ne furent pas blâmables. La première fois qu'elle statua pour le Canada, elle proclama en conformité aux règles du droit public des temps modernes et des peuples chrétiens... Ces principes étaient sages et vrais. Mais le système politique donné pour les défendre et les protéger était insuffisant. Il ne donnait aucune garantie au peuple qu'il put en aucune manière repousser les agressions de gouverneurs et de conseillers rendus les maîtres de son sort, quand il n'y avait aucune participation à leur nomination. Avec une nouvelle forme de constitution le peuple n'en continua pas moins à gémir sous le poids de l'injustice et l'oppression. Ce système était arbitraire, tout dépendait du caractère personnel du gouverneur. Néanmoins l'excuse du gouvernement anglais, c'est qu'il connaissait peu le pays; non beaucoup plus alors qu'il le fait aujourd'hui. Il venait de publier des maximes saines. Il eut fallu ajouter la pratique à la théorie, et nous donner des institutions politiques au moyen desquelles nous aurions pu repousser les agressions tentées contre nos institutions. Mais on omit de nous accorder le pouvoir de participer à la nomination du Conseil législatif. Un gouverneur envoyé ici du dehors, sans affection pour le pays, sans liaison avec ses habitants, avec le pouvoir de placer et de déplacer ses créatures pour en composer toute la législature, toute l'administration, tous les tribunaux d'un pays, pouvait occasionner et perpétuer tous les criants abus. Dans les tribunaux, des hommes qui n'eurent aucune connaissance des lois, furent alors choisis par une contradiction dans des termes trop choquants, tirés de leurs comptoirs pour devenir les fléaux de la province, des juges politiques. Depuis l'époque de 1774 à 1790, il n'y eut point de tranquillité ou de bonheur, ou du moins il fut précaire dans la province. Tout dépendait du gouverneur... Tous les pouvoirs législatifs, administratifs et judiciaires se trouvèrent réunis et confondus dans les mêmes mains… […]
- III-
La Constitution de 1791 et la naissance du gouvernement représentatif
L'éducation politique en faisant des progrès nécessite des réformes que redoutent ceux qui ont accaparé tous les pouvoirs. En effet il y a un moindre pas à faire pour étendre aujourd'hui le principe d'élection dans toutes les parties du gouvernement qu'il n'y en eut après de si longs refus d'en demander l'introduction. Lorsque cette question fut agitée les bons sujets d'alors étaient ceux qui comme aujourd'hui voulaient conserver l'ancien ordre des choses. Le temps demande des changements; quel est celui qui voudrait rétrograder et repasser sous le régime militaire, qui prévalut avant 1774, sous le despotisme organisé qui le suivit? Personne sans doute. Néanmoins il y eut moins de plaintes contre les combinaisons politiques qui prévalaient alors, qu'il n'y en a contre celles qui prévalent aujourd'hui. En parcourant les journaux de ces temps d'ignorance politique, chacun de nous baissons un front humilié, ou levons la tête avec une honnête fierté, selon que nous voyons les noms de nos pères inscrits sur la liste abjecte de ceux qui soutinrent alors le gouvernement établi par une mauvaise loi, ou dans la liste glorieuse de ceux qui ont attaqué ou renversé cette constitution vicieuse, et aujourd'hui universellement réprouvée. Je prédis le même sort qu'à ceux qui soutinrent alors le gouvernement établi par une mauvaise loi, [à] ceux qui sont engagés dans la discussion qui nous occupe. Les esprits stationnaires et paresseux qui se refusent aux soins et à la peine d'examiner si ce qui existe est bon ou mauvais, qui soutinrent tout ce qui est établi non parce que c'est bon, mais parce qu'ils le trouvent établi, verront leurs enfants rougir pour eux du vote qu'ils donneront aujourd'hui… Ceux qui sont les plus disposés à passer par-dessus les abus et à souffrir avec patience ceux d'aujourd'hui, ne voudraient point retourner en arrière et se soumettre à ceux qui régnaient alors. Ils ne regrettent pas que nos pères aient insisté sur la nécessité d'un changement; ils ne s'écrient pas qu'ils furent dans l'erreur de consentir à des altérations dans leur constitution. Nous les louons au contraire : nous nous réjouissons que nos pères aient demandé le système représentatif. On leur objecta que la population n'était pas assez éclairée pour en jouir. Telle est l'éternelle objection dans tous les temps, dans tous les lieux, de ceux que des lois partiales favorisent au point que saisis de tout le pouvoir, gorgés de toute la richesse publique, ils tombent dans l'indolence et font ordinairement des hommes médiocres. Nos pères durent répondre à ces objections intéressées, que ce n'est point par de vaines théories que l'on forme les hommes à la liberté; c'est en les forçant de prendre part à la vie publique. C'est là, que naît l'étude de la politique... Après de longues et urgentes représentations, le pays obtint enfin le système représentatif. Quels sont les avantages de ce système, si ce n'est que le peuple n'obéira qu'à ses lois et ne perdra pas un sol de sa propriété sans y avoir consenti par une loi à la passation de laquelle il aura contribué. Il en était ainsi en quelque sorte dans les temps de la Grèce et de Rome. On recourait alors à la majorité des suffrages. Mais comme on a trouvé qu'il n'était pas possible de réunir tout un peuple dans un même lieu pour donner sa décision, on a imaginé d'avoir recours à des représentants pour le remplacer.
En remontant aux principes, quelles sont les considérations premières qui ont fait adopter cette forme de gouvernement? Quelles sont les maximes fondamentales qu'il consacre? C'est que personne n'est obligé d'acquiescer à la loi sans avoir eu l'occasion par lui-même ou son représentant d'en discuter les motifs. C'est reconnaître que si tout le peuple qui forme un État pouvait être commodément réuni dans un seul local, sa séparation à droite ou à gauche faisant connaître où est la majorité; elle porte la loi. Sans doute elle ne choisirait pas dans la minorité le magistrat chargé de faire exécuter fidèlement la loi, qu'il vient de combattre. Le magistrat de tous les grades dans le gouvernement représentatif doit donc appartenir à la majorité. C'est ce principe qui vivifie tous les départements dans le gouvernement anglais; et son oubli qui porte la corruption dans cette province.
L'on a cherché la combinaison politique que l'on a cru propre à faire connaître l'expression de la volonté générale qui est la loi. Une représentation sans influence sur la marche du gouvernement et le choix de ses agents n'est qu'une duperie contre un peuple et un piège tendu à ceux qui défendent ses droits.
Est-il aucune analogie entre l'état actuel du pays et les maximes qui découlent du gouvernement? Non. Nous n'avons qu'une ombre trompeuse de la constitution anglaise; nous n'avons aucuns des avantages qui doivent en découler. [...]
-IV-
Le Conseil législatif
Il est de droit naturel qu'un demi-million situés comme nous le sommes aient une législature locale. Il est de droit positif anglais que les colons doivent partout où il est praticable jouir du système représentatif : qu'une des parties constitutives essentielles de cette législature soit une assemblée nombreuse, élective, fréquemment réunie, fréquemment renouvelée. Il n'est pas de droit positif anglais que dans ses autres parties, elle soit moulée et modelée sur celle de la Grande-Bretagne. Dans aucune autre des Colonies britanniques jusqu'au fatal essai de 1791, l'on avait songé à constituer quelque corps que ce fût de personnes nommées à des fonctions publiques pour la vie. L'on n'y avait jamais rêvé l'existence de rien d'analogue à l'Aristocratie anglaise, parce qu'aucune d'elles n'en contenaient les éléments, excepté un essai risible dans la Caroline; sa noblesse n'eut pas trois ans de durée quoiqu'imaginée par un homme d'un génie transcendant [John Locke], mais européen, incapable dès lors de bien comprendre l'état social en Amérique. On n'a vu ce système établi nulle part. Par quel hasard devait-il régner dans le Canada seul? Il faut pour en trouver la cause remonter aux événements et rapporter les circonstances qui occasionnèrent cet égarement. Non seulement on y a établi une magistrature à vie, mais on y a tenté la fatuité par l'offre et l'appas d'une noblesse titrée héréditaire. Le Canada, pays que l'âpreté de son climat rend pauvre et où ses lois et ses mœurs avaient toujours favorisé la division égale de la propriété, repousse les substitutions, condamne les privilèges de primogéniture, devait être le dernier où l'on dût tenter une mesure aussi inepte. On ne peut concevoir que ceux qui n'avaient jamais offert des titres si recherchés par la vanité européenne, aux riches planteurs des colonies méridionales, aux riches négociants que les institutions républicaines de la Nouvelle-Angleterre avaient rendus si industrieux et millionnaires éclairés, soient venus les prodiguer pour des provinces pauvres au moment où ils en perdaient de riches.
Elles avaient été bien gouvernées, avaient prospéré, et au premier mécontentement, elles s'étaient séparées. C'était le résultat naturel du degré de force que deux millions d'hommes avaient acquis. La première injustice de la métropole leur apprit qu'ils étaient en état de se gouverner mieux par leurs mandataires, que par des maîtres éloignés. Au lieu d'apprendre la modération par une si forte leçon, l'Angleterre était froissée par l'orgueil; piquée de la perte de ses colonies, elle semble avoir peur de l'agrandissement et de la liberté de celles qui lui restaient, et eut recours à ce système.
L'écroulement de la monarchie française avait exalté les craintes des classes privilégiées, et on voulut empêcher les idées de liberté de prévaloir en Amérique. Burke le plus éloquent écrivain de cette époque, déserteur de la cause de la liberté pour devenir pensionnaire de Pitt, effrayé des crimes qui accompagnaient la révolution française, et ne fesant pas attention que c'était une éducation monarchique qui avait formé les auteurs de ces crimes, se fit le champion persuasif des privilèges nobiliaires, et pour la première fois les introduisit dans le régime colonial anglais...
La tentative de créer une noblesse titrée aurait pu être offerte à ces orgueilleux planteurs du Sud. C'est donc l'œuvre du hasard; la réunion de circonstances toutes et chacune d'elles étrangères à l'état de la Province de Québec qui l'a soumise à ces essais funestes; à ces tâtonnements inhabiles de nouveautés politiques, qui ne pourraient manquer de nous rendre les victimes de recherches que faisaient les Théoristes européens sur les meilleurs moyens d'enchaîner longtemps à la métropole les colonies restantes, soient qu'elles fussent bien ou mal gouvernées. Le dépit d'avoir perdu d'autres colonies, l'épouvante de l'aristocratie anglaise à la vue de l'écroulement de la monarchie française, et la folie coupable de fomenter des dissentions, qui dans les premières années après la révolution des États-Unis en agitèrent quelques parties par suite des malheurs qu'entraîne toujours une guerre civile, ont été les inspirations ignobles, qui, je le crains, ont eu leur influence dans la rédaction de notre acte constitutionnel. Comment en effet expliquera-t-on ce fait isolé, dans l'histoire coloniale anglaise toute entière, qu'avant, comme depuis 1791, il n'y ait rien d'analogue à notre conseil législatif de donné à aucune autre des colonies britanniques? Le conseil législatif de demain ne sera pas plus considéré que celui d'aujourd'hui. Croit-on avoir assez dépravé le bon sens du pays pour lui faire croire qu'il y a la moindre analogie entre ce conseil et la Chambre des Lords? En appelant au conseil un individu on ne lui donne pas plus de respectabilité qu'il n'en avait avant d'y entrer... Il n'y a pas ici d'assez grandes fortunes, de noms historiques, d'illustrations d'antiques souvenirs pour conférer à leurs possesseurs, des privilèges, un respect, une estime, une magistrature à vie, qui seraient fortifiés par l'opinion et la reconnaissance publiques. C'est une mauvaise loi que celle qui est consignée dans un livre et qui n'est pas enregistrée dans les cœurs.
Ceux qui s'opposent avec opiniâtreté à ce qu'il se fasse aucun changement dans la constitution et la composition du conseil, sous le prétexte que ce serait agir contre la constitution anglaise, se font illusion. Ce sont eux qui aiment les innovations qui ont été conçues et imaginées pour les Canadas seulement. À la vue du mot Convention, il[s] s'imaginent parce qu'il est possible qu'elle voulut tout rendre électif, (sic) elle introduirait un système tout nouveau qui ne produirait que du mal. C'est parce qu'ils n'ont pas étudié avec attention, et qu'ils ignorent à un degré honteux l'histoire des anciennes colonies qu'ils regardent ces propositions presque comme criminelles. Mais l'Angleterre ne doit être ni surprise ni offensée si nous lui disons, que dans notre intérêt mutuel et réciproque, elle nous doit donner tout autant de libertés, de privilèges, de franchises comme elle en a pu accorder à d'autres colonies... La grande frayeur de certaines personnes au sujet du système électif, vient de ce qu'elles s'imaginent que tout est précaire et passager, qu'il n'y a rien de stable dans le pays où règne ce système. Leurs suppositions se trouvent démenties par l'histoire des colonies... [...]
-V-
Le modèle américain
De tous ces gouvernements ceux dont le régime a sans comparaison produit les plus heureux fruits, a été le républicanisme pur ou très légèrement modifié des états confédérés de la Nouvelle-Angleterre. Il produisit sur les habitudes de ses habitants une amélioration qui jusqu'à ce jour est senti et visible. Tous les voyageurs d'un consentement unanime, vous disent qu'ils reconnaissent partout dans les états méridionaux ou dans ceux de l'ouest, le vrai yankee qui est venu s'y établir et qui par son mérite parvient le plus souvent à se placer à la tête de la direction des affaires publiques, du négoce, des universités, des ateliers et manufactures, par la supériorité d'activité, d'industrie, d'éducation qu'il déploie sur tous ses compatriotes du reste de l'union. Et comme tous sont d'une même origine, une nuance si fortement tranchée ne peut appartenir qu'à la différence des institutions politiques qui les régirent dans les premiers âges de leur existence sociale. Ces distinctions s'effaceront bientôt par la similarité du régime, du moins dans tous les états qui n'ont pas été condamnés au malheur irréparable de voir subsister chez eux l'esclavage domestique; cause principale qui empêche que le républicanisme ancien [Rome et la Grèce] auquel l'Europe doit la supériorité de sa civilisation sur celle de l'Asie, n'ait produit pour l'humanité d'aussi grands et heureux résultats comme en produira le républicanisme moderne des Américains...
C'est du bon gouvernement qui sera donné au pays, non de l'étendue du patronage que possèdera (sic) et qu'exercera l'exécutif, que doit dépendre la force et la durée de l'attachement pour la métropole... Un gouverneur qu'on envoie dans une colonie y porte avec lui ses préjugés et est accompagné de ses favoris. Ces gouverneurs royaux furent dans des luttes fréquentes avec le peuple, quand on y voulait tenter de faire ce qu'on y fait ici; disposer sans autorité des taxes payées par le peuple; les tentatives réitérées ne réussirent jamais; le peuple sortit toujours triomphant de la lutte où il était engagé, et ces colonies nous offrent des leçons instructives à étudier plus généralement qu'elles ne le sont; des modèles à suivre pour savoir résister aux empiétements sur nos droits, par la persévérance dans les voies constitutionnelles d'une résistance systématique à tout projet de fortifier et de concentrer le pouvoir dans les mains du petit nombre. [...]
-VI-
Nécessité des institutions démocratiques
Nos motifs d'attachement à la métropole, se trouvent avant tout dans la protection puissante qu'elle nous offre contre les agressions du dehors. Dans le débouché avantageux qu'elle offre à nos produits par un échange réciproquement utile. C'est dans ce but qu'elle doit multiplier ses possessions coloniales, non pour y planter des institutions aristocratiques si elles n'y plaisent pas. Ce qui donnera le plus de contentement au peuple l'attachera davantage à l'Angleterre. Nos intérêts seront d'accord avec nos devoirs si nous sommes biens gouvernés...
Dans les colonies, il faut au peuple des institutions démocratiques parce qu'elles coûtent moins cher et sont moins onéreuses que les institutions plus dispendieuses. Il faut dans un pays nouveau des hommes robustes et accoutumés au travail, aux privations et à l'économie pour exploiter les forêts. Il est dans les mœurs, la nature et l'intérêt commun de la colonie et de la métropole que les institutions du gouvernement soient économiques, car tout ce qui sera ôté aux jouissances du luxe, dotera de nouvelles familles qui se marieront plus jeunes; défrichera de nouveaux arpents de terre; créera un nouveau capital productif qui achètera les produits manufacturés utiles du drap et du fer plutôt que des soies et des liqueurs...
Donnez des institutions où il n'y aura pas de motifs pour l'adulation, et les distinctions nationales cesseront. Dans l'état actuel, le Gouvernement recueille les fruits qu'il a semés. Il lui faut, dit-il, un conseil pour défendre une partie de la population qui ne peut être en majorité dans l'assemblée. Il lui faut un parti dans la Chambre pour soutenir le Conseil : et d'intrigues en intrigues, il a fallu faire sentir son action directe dans les plus petits détails... Les plaintes de ce pays contre les vices de la constitution du Conseil sont trop unanimes pour qu'il soit nécessaire de s'étendre davantage sur ce sujet. L'Acte constitutionnel a donné au Conseil une prépondérance désastreuse qui lui permet de paralyser tous les travaux de la Chambre d'Assemblée. On avait voulu que cette dernière eut de l'influence; puisque l'on avait divisé la Province de Québec pour que l'ancienne population dans le Bas-Canada put protéger ses propres institutions. Mais l'acte constitutionnel donnait un moyen facile de détruire cet espoir : c'était de porter le Haut-Canada dans le Conseil législatif du Bas-Canada. Et il y est rendu. [...]