Hélène de Champlain
Mardi le 02 décembre 2003
Un roman d'amour sur la femme qu'on a obligée à épouser
Samuel de Champlain à 12 ans, lui qui avait deux fois son âge. Cest aussi un roman féministe sur l'emprise des hommes sur le destin des femmes, qui ne sont qu'une monnaie d'échange dans le jeu des intérêts masculins. C'est aussi un roman sur la différence psychologique entre les hommes et les femmes: on pourrait dire que les femmes ont un moi alors que les hommes seraient plutôt affligés d'un ego. Le bonheur individuel, l'amour, telle est la première valeur de la femme. L'homme recherche plutôt la conquête, la maîtrise, le monopole: il s'affirme en étendant son empire. C'est la loi du plus fort et dans ce monde à l'aube de la découverte du Nouveau Monde, l'humanité des femmes ne pèse pas lourd. Comme le rappelle l'héroïne à son amoureux qui voudrait l'épouser, «elles ne détiennent pas les clefs de leur destin». (J.L.)
«Le sieur de Champlain avait le geste rare et saccadé. Son front haut, son nez arqué et sa bouche mince confortaient le sérieux de ses propos. Sa peau avait été cuivrée par les vents du large. On m'avait rapporté qu'il avait traversé près d'une quinzaine de fois les eaux de l'Atlantique, exploré les Indes occidentales, longé les côtes du nouveau continent vers le sud et fraternisé avec des nations indigènes croisées en route. On m'avait dit encore qu'il avait défié d'abominables froidures au cours de deux hivers passés à Port-Royal en Acadie. Il fit tout cela, après une brillante carrière militaire dans les armées françaises à la fin des guerres de Religion. Je l'imaginai officier d'armée en Bretagne portant oriflamme et mousquet puis capitaine de navires, astrolabe et cartes à la main, et plus j'imaginais, moins je comprenais. Comment un homme au passé si exceptionnel en était-il venu à conclure ce marché avec mon père? Comment avait-il pu concevoir de me voler ma vie en foulant de ses bottes d'explorateur toutes mes espérances et cela sans même me connaître?
De temps à autre, d'un geste de la main, il repoussait ses cheveux grisonnants derrière ses épaules. Une fois, il me regarda. Je soutins froidement son regard. Il retourna à la discussion.
Nous appartenions à deux univers incompatibles, à deux mondes étrangers. Aucun avenir n'était possible entre nous. Pourquoi? Autant sa motivation m'était énigmatique, autant ma pensée était nette, précise et déterminée. Jamais je n'aimerais ce personnage, aussi illustre fût-il! Jamais je ne serais son épouse.
Séléné serait la compagne de ma résistance secrète. Ma chatte aux couleurs du rêve perdu, le vert et l'ambre, l'ambre et le vert... Sa chaleur réchauffait ma joue et réconfortait mon coeur.
- Ludovic, chuchotai-je faiblement dans le fin duvet couleur de lune.
- Miaou ! fit-elle en léchant le bout de mon nez.» (p. 112-113)