Torture

Essentiel

"Depuis bien des millénaires, depuis toujours peut-être, le barbare n'est qu'un civilisé dégradé. Les tortureurs de Dachau et de Buchenwald avaient beau ne plus présenter qu'un très petit nombre des réflexes psychiques supérieurs de l'homme normal, ils n'en étaient pas plus simples pour cela, au contraire. Ce qui paraissait en eux aboli, n'était que refoulé, altéré, dénaturé, perverti. La force d'une telle espèce d'êtres humains ne serait pas dans leur simplicité, mais dans leur cruauté profonde, et la cruauté est de toutes les perversités de l'homme la moins simple. L'homme féroce ne ressemble qu'apparemment à la bête féroce. L'attitude de la bête féroce qui dévore une proie vivante n'exprime rien de plus que celle de l'amateur de Bourgogne remplissant son verre d'un Romanée-Conti, ou celle d'un Normand étalant sur son pain une tranche de camembert. Mais l'homme qui torture ou qui tue avec la même gourmandise, loin de se rapprocher ainsi de l'animal innocent, c'est-à-dire de la nature, viole sa propre nature d'homme, et devient un monstre."

Georges Bernanos, "L'esprit européen et le monde des machines", conférence prononcée en septembre 1946 aux Rencontres de Genève; texte reproduit dans La liberté pour quoi faire?, Paris, Gallimard, © 1953; cité d'après l'édition Gallimard, "Idées", impress. 1972, p. 162-163.

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