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De le persuasion clandestine à la persuasion transparente

Pour le commun des consommateurs visés par la publicité, la saine méfiance à son égard, si elle existe, prend la forme d'une vague inquiétude à propos de ce que Vance Packard, auteur de La persuasion clandestine (1958,) appelait la publicité subliminale. Il semble bien qu'on a exagéré et l'importance et l'efficacité de ce type de publicité, qui agirait sur notre inconscient au moyen de messages invisibles. Il ne fait pas doute cependant que les publicitaires ont tenté et tentent encore par divers procédés, dont la répétition d'un même message, de nous faire désirer ce que nous ne désirons pas et de nous faire choisir ce que nous n'aurions pas choisi.

Or en à juger par le foudroyant succès du moteur de recherche Google dans ce domaine, la publicité obéit désormais à des principes diamétralement opposés. Non seulement elle respecte le libre choix des individus, mais elle le cultive, l'exalte même.
À moins qu'il n'ait désactivé cette fonction sur son ordinateur, chaque internaute a son sosie dans une banque de données, le plus souvent celle de Google. Chaque fois que nous faisons une recherche sur cet engin nous y laissons notre trace sous la forme d'un minuscule programme appelé cookie. C'est ensuite un jeu d'enfant pour les programmeurs de Google que de rassembler tous nos thèmes de recherche autour de notre cookie. Et c'est un jeu d'adolescent pour lesdits programmeurs de dresser le tableau de nos intérêts et de nous offrir  dans les résultats de recherche des annonces faites sur mesure pour nous. Nous cliquerons ainsi plus souvent sur le adword et par là, le plus librement du monde, nous ferons un cadeau à Google, car c'est le clic et seulement le clic qui est facturé au client. Ce qui permet à Google de le rassurer: il en a pour son argent.

John Battelle, l'auteur du dernier best-seller sur la publicité, The Search, a trouvé le mot qui convenait pour désigner les bases de données de Google et ses homologues: data base of intentions. Tout cela est parfaitement transparent, conformément à ce que semble dicter l'esprit du temps en ce moment où la téléréalité et les maisons de verre sont à la mode.

Occasion de réfléchir sur ce mot de Charles Taylor dans Grandeur et misère de la modernité: «Toutes les options se valent, puisqu’elles se font librement et que c’est le choix qui leur confère à lui seul une valeur.»1 Le choix est aujourd'hui l'absolu. Nous ne choisissons pas une chose parce que nous la savons bonne, elle devient bonne parce que nous la choisissons. Le bien c'est que je choisis, le mal c'est ce que je rejette. Le critère du bien et du mal c'est moi. Je suis suis la mesure de toutes choses. . C'est cette démesure que cultive en nous la nouvelle publicité, sous la protection des chartes de droits individuels. Spinoza et Descartes, par ses propos sur la liberté d'indifférence, nous ont pourtant appris que le choix est une illusion induite par l'ignorance des causes qui le détermine. Qu'elle respecte le choix dans l'ignorance des causes qui le déterminent ou qu'elle le manipule en agissant sur les mêmes causes, la publicité a le même effet.

Le président de Google, Eric Schmidt a créé tout un émoi à Londres en mai dernier quand il a déclaré, selon le Daily Mail que Google «n'en était qu'à la première étape d'une démarche visant à obtenir la totalité de l'information relative à ses usagers. [...] Le but, ajouta-t-il, est de permettre aux usagers de Google de poser des questions du genre 'Qu'est-ce que je vais faire demain?' et 'Quel emploi devrais-je accepter?'»

Google a beau recevoir de mauvaises notes pour ce qui est de ses politiques sur le respect de la vie privée, cele ne semble guère émouvoir ses usagers, preuve qu'ils aiment la transparence au point de trouver normal qu'on ait autant de fiches sur eux qu'ils ont fait de recherches sur Internet.

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Essentiel

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Enjeux

De le persuasion clandestine à la persuasion transparente

Pour le commun des consommateurs visés par la publicité, la saine méfiance à l'égard de la publicité, si elle existe, prend la forme d'une vague inquiétude à propos de ce que Vance Packard, auteur d'un best-seller paru en 1958, appelait la publicité subliminale. Il semble bien qu'on a exagéré et l'importance et l'efficacité de ce type de publicité, qui agirait sur notre inconscient au moyen de messages invisibles. Il ne fait pas doute cependant que les publicitaires ont tenté et tentent encore par divers procédés, dont la répétition d'un même message, de nous faire désirer ce que nous ne désirons pas et de nous faire choisir ce que nous n'aurions pas choisi.

Or en à juger par le foudroyant succès de Google dans ce domaine, la publicité obéit désormais à des principes diamétralement opposés. Non seulement elle respecte le libre choix des individus, mais elle le cultive, l'exalte même.
À moins qu'il n'ait désactivé cette fonction sur son ordinateur, chaque internaute a son sosie dans une banque de données, le plus souvent celle de Google. Chaque fois que nous faisons une recherche sur Google nous y laissons notre trace sous la forme d'un minuscule programme appelé cookie. C'est ensuite un jeu d'enfant pour les programmeurs de Google que de rassembler tous nos thèmes de recherche autour de notre cookie. Et c'est un jeu d'adolescent pour lesdits programmeurs de dresser le tableau de nos intérêts et de nous offrir sur le côté droit de la page des résultats de recherche des annonces faites sur mesure pour nous. Nous cliquerons ainsi plus souvent sur le adword et par là, le plus librement du monde, nous ferons un cadeau à Google, car c'est le clic et seulement le clic qui est facturé au client. Ce qui permet à Google de le rassurer: il en a pour son argent.

John Battelle, l'auteur du dernier best-seller sur la publicité, The Search, a trouvé le mot qui convenait pour désigner les bases de données de Google et ses homologues: data base of intentions. Tout cela est parfaitement transparent, conformément à ce que semble dicter l'esprit du temps en ce moment où la téléréalité et les maisons de verre sont à la mode.

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